La ville à la campagne… pour les plus fortunés
Dans les années 1875, Luxembourg fut une des premières villes d’Europe à proposer à ses habitants (surtout fortunés) un système de villas construites en fusion avec un parc étendu (à l’emplacement du glacis défensif).
Elles attirent ces directeurs, propriétaires, administrateurs de sociétés commerciales et investisseurs, qui ne sont plus obligés de résider près des lieux de production industrielle. Les zones réservées aux villas sont aménagées loin des fumées et des quartiers industriels bruyants.
Les productions agricole et industrielle sont laissées en-dehors de la ville aux classes moyennes. La bourgeoisie aisée peut s’installer dans des villas, loin des pollutions désagréables. On voit fleurir, notamment sur le boulevard Royal, le boulevard Joseph II et le boulevard Emmanuel Servais, de nombreuses et prestigieuses propriétés, comme celle du banquier Pescatore, dessinée par l’architecte-ingénieur français Oscar Bélanger, ou celle de l’ingénieur des mines Thomas Byrne, dessinée par Victor Jamaer, célèbre architecte belge, la villa du gantier Gabriel Mayer, dessinée par Jean-François Eydt, aujourd’hui Villa Vauban, ou la villa Foch, dessinée par Charles Mullendorff et qui abrite depuis 1976 une banque russe, la East-West United Bank, une des rares résidences aristocratiques à avoir été épargnées par la destruction.
L’architecture de la ville à cette époque, bien que complètement façonnée par l’homme, recherche la réconciliation avec la nature. Créée sur des modèles entièrement nouveaux et avec un objectif philanthropique, elle traduit une vision idéaliste de la société et la confiance que les humanistes placent dans l’hygiène, l’éducation et la culture pour assurer l’épanouissement de l’humanité.
Les architectes puisent leur inspiration dans les livres appréciés à l’époque, par exemple Utopia de Thomas More ou l’abbaye de Thélème dans le Gargantua de Rabelais.
Construire les villes idéales
Dès le début du 20e siècle, le concept de cités- jardins, comme imaginé par Ebenezer Howard en Angleterre, regroupe au centre toutes les fonctions administratives et tertiaires, et à la périphérie des jardins et des avenues bordées d’habitations et de commerces. Ces villes sont entourées de terres agricoles et d’industries. On pourrait y voir les prémisses de nos futurs « lotissements ».
La véritable ville du 20e siècle apparaît aux États-Unis, où des villes-champignons se forment rapidement pour absorber l’afflux de millions d’immigrants. Située en plein cœur de l’Europe, Luxembourg s’est aussi construite, à son échelle, suivant les mouvements migratoires. Les entrepreneurs, industriels et commerçants, bien souvent établis à Luxembourg-ville pour y faire des affaires, ont également façonné le visage des villes grand-ducales.
Chaque quartier de Luxembourg-ville est représentatif d’une époque et des enjeux économiques et politiques qui la caractérisent. De plus, l’esprit de compétition entre les pays industrialisés amène toute une série de nouvelles constructions.
À la fonte, au fer, à l’acier, au verre du siècle précédent, s’ajoute le béton, qui permet toutes les extravagances pour ériger des bâtiments inédits pour l’époque, que ce soient des gares, des usines ou des édifices culturels. De nouveaux styles apparaissent dans les capitales européennes.
L’Académisme et l’Art déco, qui ont connu leur heure de gloire à l’Exposition universelle de Paris en 1925, sont combattus par des architectes d’avant-garde en Allemagne, avec Walter Gropius et l’école du Bauhaus, en France avec Le Corbusier et sa villa Savoye (1929). À Luxembourg, ces différents courants ont bien évidemment inspiré les architectes à chaque époque.
Il en reste encore des témoignages comme les magasins Hertz-Grünstein (rue du Fossé / Grand-Rue), l’ancien magasin À la Bourse ou Sternberg (House of Villeroy & Boch), qui traduisent l’influence de l’école allemande Bauhaus, par exemple.
« Progressivement, le boulevard Royal, relié depuis 1900 par le pont Adolphe à la gare centrale, va se muer en boulevard d’affaires. Le mouvement prend de l’ampleur dès 1921 lors de l’entrée du Luxembourg dans l’Union économique belgo-luxembourgeoise, avec la création de nombreuses compagnies d’assurances et l’installation de succursales de banques, tel le Crédit Lyonnais », précise Robert Léon Philippart. La compagnie d’assurances La Luxembourgeoise, par exemple, au cours de son premier exercice, acquiert un immeuble au coin de la Grand-Rue et du boulevard Royal.
Elle ne quittera plus le centre-ville et ses immeubles (boulevard Royal, rue Aldringen) jusqu’en 2011. Immeubles qu’elle va aménager, reconstruire et transformer au fil des années.
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Photographie : La sidérurgie se développe rapidement au Luxembourg avant de subir une grave crise dans les années 1970. Le pouvoir bascule du monde sidérurgique vers le monde de la finance. Les sites industriels sont en friches et de nombreux bâtiments voués à la destruction. Se mettent alors en place de nombreuses initiatives qui permettent de donner une seconde vie à ces témoins de l’histoire du pays, comme à Esch-Belval.