Eggshell Wonders, concept de mobilier imprimé en 3D à partir d'argile

Mobilier urbain : faire bonne impression

Trois ans après sa création, la start-up luxembourgeoise Äerd Lab pourrait décrocher deux contrats (inter)nationaux suite à sa participation au Circular by Design Challenge. La lauréate et ses deux compétiteurs ont séduit les coordinateurs de LUGA 2025 et du Luxembourg Expo 2025 Osaka GIE.

Angelika Bocian-Jaworska, fondatrice de la start-up Äerd Lab dans son atelier de Bettembourg (Neobuild)
Angelika Bocian-Jaworska, fondatrice de la start-up Äerd Lab dans son atelier de Bettembourg (Neobuild) - ©Marie Champlon

Depuis son « laboratoire de la terre », Angelika Bocian-Jaworska entend révolutionner le domaine de la construction. Cette jeune Polonaise diplômée en architecture de la University of Liechtenstein s’est spécialisée dans l’architecture en impression 3D d’argile avec un post-graduat en Catalogne et un programme d’été de la Harvard Graduate School of Design. Il y a 3 ans, elle lançait sa start-up Äerd Lab au Luxembourg.


« Pourquoi l’argile ? Elle peut remplacer durablement le béton. Nous sommes très habitués au béton mais il n’est pas durable. Les débats à ce sujet sont nombreux, mais il n’y a pas d’alternative viable sur le marché. Ce challenge devra être surmonté un jour, et ce jour-là, je serai prête avec ma solution. »

Bien consciente des défis liés à la construction en argile et des investissements nécessaires à son entreprise, la fondatrice a choisi de procéder par étapes. Elle a jusqu’à présent principalement créé des objets en céramique « classique », à l’aide de deux imprimantes 3D petit format (20 cm de diamètre, 40 cm de hauteur). « Imprimer les poteries permet d’épargner de la matière à l’éco-conception et ensuite à la fabrication puisqu’il n’y a pas de déchet », précise-t-elle. La terre est ensuite cuite, comme dans les processus traditionnels.

Évolution de l'impression d'une poterie d'environ 10 cm de hauteur. Durée : 1h
Évolution de l’impression d’une poterie d’environ 10 cm de hauteur. Durée : 1h - ©Marie Champlon

Trouver le mix idéal

L’artiste a tout récemment acquis une troisième imprimante - Delta WASP 40100 Clay -, bien plus imposante, qui lui permet de fabriquer des objets allant jusqu’à 40 cm de diamètre et 1 mètre de hauteur, tels que du mobilier ou des briques. « Si nous voulons créer des objets de plus grande envergure, cela n’a pas de sens de les cuire. Ils doivent pouvoir sécher naturellement. J’utilise mes connaissances sur le béton et j’essaie de les traduire en une version à base d’argile. Utilisée seule, elle ne peut supporter des charges lourdes comme le nécessite le mobilier, voire une maison. Il faut également anticiper les craquellements, en particulier si elle est exposée à la pluie. J’ai donc cherché une poudre magique semblable à du ciment, mais plus durable. »

L'imprimante 3D Delta WASP 40100 Clay, baptisée Roméo
L’imprimante 3D Delta WASP 40100 Clay, baptisée Roméo - ©Fanny Krackenberger

Partisane de la « zero kilometer architecture », elle souhaite travailler avec des produits locaux. Cela tombe bien puisque la terre glaise est disponible à peu près partout. Pour l’additif, les tests de la chercheuse portent sur les coquilles d’œufs. Selon l’éco-conceptrice, le Luxembourg est le troisième plus gros consommateur d’œufs à l’échelle européenne. « Cela signifie plus de 900 tonnes de coquilles jetées chaque année. »


« Nous n’accordons pas encore assez d’attention à ce qui est un déchet et ce qui est une ressource. Les coquilles d’œufs protègent parfois un être vivant, ce qui les rend fortes par nature. Elles sont composées à 98% de calcium et pourraient donc être une bonne alternative au ciment. Réduites en poudre, elles sont une ressource intéressante pour obtenir le mix idéal. »

Ses premières expérimentations avec du mobilier pour enfant sont concluantes : le prototype peut supporter jusqu’à 45 kg, là où la certification requiert de supporter 35 kg.

Lauréate du 3e Circular by Design Challenge

100% dédiée à ce projet « EggShell Wonders » qui lui tient à cœur, Angelika Bocian-Jaworska a participé cette année à la troisième édition du Circular by Design Challenge (CBDC), sur le thème du mobilier urbain multifonctionnel, et en est ressortie lauréate.


« Les 12 semaines de coaching du Circular by Design Challenge m’ont été très utiles. En tant qu’architecte, je n’avais par exemple aucune connaissance en business. Les sessions sur la propriété intellectuelle, la prise de parole en public, les pitchs, etc. étaient également très intéressantes. Je suis vraiment heureuse d’avoir participé à cette compétition de Luxinnovation. »

Le Circular by Design Challenge est une initiative du ministère de l’Économie, menée par Luxinnovation GIE qui sélectionne des partenaires nationaux afin de définir des thèmes qui répondent à des besoins concrets. Ainsi, pour cette édition 2023, le mobilier urbain multifonctionnel représentait une demande conjointe des organisateurs de la LUGA – Luxembourg Urban Garden 2025 et du pavillon luxembourgeois de l’exposition universelle d’Osaka 2025.

©Luxinnovation/Sophie Margue
©Luxinnovation/Sophie Margue

« Le pavillon démontrera l’expertise luxembourgeoise dans le domaine de l’économie circulaire, en commençant par sa construction qui sera entièrement circulaire », précise Daniel Sahr, Project Coordinator Luxembourg Expo 2025 Osaka GIE.

Ann Muller, coordinatrice générale LUGA : « Pour le pavillon d’Osaka comme pour la LUGA, nous étions à la recherche d’une entreprise Made in Luxembourg qui soit capable de produire sur place, donc aussi bien au Luxembourg qu’au Japon ».


Daniel Sahr : « L’intérêt, pour la LUGA comme pour le pavillon d’Osaka, c’est de mettre en avant l’ingéniosité luxembourgeoise dans la mise en place de pratiques circulaires ».

8.000 euros pour voir plus grand

- ©Marie Champlon

À ces critères de circularité et de production locale s’ajoutent d’autres exigences, et notamment les listes du matériel nécessaire à chaque événement, allant des panneaux signalétiques guidant les visiteurs jusqu’aux tables et chaises, en passant par des systèmes de gestion des déchets. « Les trois candidats nous ont plu, mais c’est Äerd Lab qui cochait le plus de cases du cahier des charges », explique encore la coordinatrice de la LUGA.

En remportant le concours, la lauréate empoche la somme de 8.000 euros. Daniel Sahr : « Ce montant va permettre à Äerd Lab de démarrer un cycle d’expérimentation, à l’issue duquel nous pourrons évaluer la faisabilité du projet. De notre côté, nous poursuivons notre processus avec notamment toute une scénographie qui doit être développée avant de pouvoir concrètement concevoir le mobilier. »

Installée sur le site de Neobuild, Äerd Lab poursuit donc son développement en vue de répondre aux demandes des deux événements d’envergure respectivement nationale et internationale.


Angelika Bocian-Jaworska : « Le mobilier que je prépare sera entièrement dessiné, imprimé et recyclé au Luxembourg, ce qui correspond aux critères de la LUGA. Pour Osaka, le principal challenge sera de reproduire le bon mix avec les matériaux japonais. »

Cercle vertueux

La destinée du mobilier à l’issue des deux expositions reste à définir. Ann Muller : « on peut envisager de faire du leasing du matériel, voire d’en revendre. Si certains objets doivent être déconstruits, cela ne pose pas de problème puisque la matière devient une nouvelle ressource ». Angelika Bocian-Jaworska : « On peut réutiliser la matière pour de nouvelles créations, ou la rendre à la terre tout en l’enrichissant. »

Cette dernière option est d’ailleurs la principale vocation actuelle des coquilles d’œufs de l’entreprise Arovo (Niederwampach), spécialisée dans la production de briques d’œufs liquides pasteurisés à destination de l’Horesca. Christophe Arend, responsable comptabilité et vente : « Pour l’instant nous avons 10 à 15 tonnes de coquilles d’œufs par semaine qui sont mises sur nos champs agricoles comme engrais calcaire. » Une collaboration entre Aerd Lab et Arovo est actuellement à l’étude.

La LuxPET-AL chair

Deux autres entrepreneurs avaient pris part au Circular by Design Challenge dans la catégorie « mobilier urbain multifonctionnel » et n’ont pas démérité.

Bricoleur et passionné de mobilier design, Jean-Christophe Bayard est ingénieur commercial chez Plastipak (LuxPET) à Bascharage. C’est à titre personnel qu’il a participé au Challenge, tout en s’inspirant des méthodes et connaissances liées à son métier :


« Depuis début 2022, je m’intéresse au retravail de nos matières secondaires et aux divers modes de production en plasturgie. Grâce à un chèque entreprise wallon, j’ai pu collaborer avec l’agence de design industriel 1POINT61 de Namur. Le CBDC était l’occasion de tester la recevabilité de l’idée, du concept et de booster nos travaux ».

L’ingénieur a présenté un système modulable : « une assise multi-orientable en forme de L, la ‘LuxPET-AL chair’, assemblable pour devenir banc, table, podium, meuble de présentation pour constituer des ensembles scénographiques. Accompagnée d’un second module cube creux pouvant accueillir toute sorte de végétation. » C’est par rotomoulage que les créations verraient le jour, sur base de matières PET issues de sous-produits du recyclage des bouteilles PET. « Les pièces rotomoulées pouvant être rebroyées et micronisées pour être remoulées, elles sont réutilisables à souhait. »

La LuxPET-AL Chair et ses concepteurs sur la photo de droite : Thibaut Fettweis, Jonathan Debouw, Tony Rey Paulino (1POINT61) et Jean-Christophe Bayard
La LuxPET-AL Chair et ses concepteurs sur la photo de droite : Thibaut Fettweis, Jonathan Debouw, Tony Rey Paulino (1POINT61) et Jean-Christophe Bayard - ©1POINT61/LuxPET

La robotique au service de la durabilité

L’entreprise Gradel est établie au Luxembourg depuis plus de 50 ans et est spécialisée dans les machines sur mesure pour usage nucléaire et spatial, ainsi que dans la fabrication de cibles de pulvérisation cathodique pour l’industrie du verre. Il y a quelques années, elle s’est lancée dans une nouvelle aventure avec Gradel Light Weight, une division et une start-up axée sur le développement de la technologie légère.

Gradel a développé un procédé d’enroulement filamentaire entièrement automatisé (GRAM) utilisé pour créer des pièces et structures en 2D et 3D. Rodrigo Perez, ingénieur en charge du développement de prototypes et du design conceptuel : « GRAM est un processus de fabrication rapide, à faible consommation d’énergie, réduisant les déchets et rentable, utilisé pour créer des structures légères et résistantes. En utilisant des matières premières biosourcées, nous pouvons recycler, réutiliser et même réparer nos pièces ».

Durant le Circular by Design Challenge, l’ingénieur-designer et son équipe se sont concentrés sur le design de mobilier urbain multifonctionnel pouvant être fabriqué avec les équipements GRAM. 

Rodrigo Perez démontre la solidité du mobilier créé par enroulement filamentaire à partir de matières recyclées
Rodrigo Perez démontre la solidité du mobilier créé par enroulement filamentaire à partir de matières recyclées - ©Gradel


« GRADEL LW souhaite développer un marché du meuble à la fois local et mondial en utilisant l’approche ‘Circular by Design’, où chaque pièce est conçue du début à la fin de sa vie avec plusieurs conceptions de cycle descendant. Cela signifie qu’après sa durée de vie, il sera récupéré en tant que matériau recyclable pouvant être utilisé pour une application industrielle différente, par ex. pièces décoratives automobiles, matière première pour le moulage par compression, panneaux renforcés, etc. »

Tant Daniel Sahr qu’Ann Muller s’accordent à dire que les trois projets proposés à l’occasion du Circular by Design Challenge étaient très bien pensés, avec chacun leurs avantages et leurs inconvénients, et leurs opportunités d’évolution.


Ann Muller : « Chaque entreprise qui commence à traiter de l’économie circulaire est gagnante. Même si ses solutions ne sont pas totalement abouties, elles ouvrent des portes sur de nouvelles réflexions et de nouvelles méthodes de production. »

Des synergies sont toujours possibles de toutes parts, des appels à projets innovants et durables étant encore prévus pour les deux événements.

Marie-Astrid Heyde

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Publié le jeudi 13 juillet 2023
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