L'Économie circulaire comme nouveau modèle : donnons-nous les moyens de nos ambitions ! 

L’Économie circulaire comme nouveau modèle : donnons-nous les moyens de nos ambitions ! 

Nous connaissons tous cette phrase, presque devenue un proverbe, du grand chimiste Lavoisier  : «  Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.  » La proposition d’un système circulaire, déjà  !

Ce n’est sans doute pas un hasard si cette pensée a émergé pendant les Lumières, à la veille immédiate de la Révolution. Car, en effet, cette assertion, cette constatation, implique une vision du monde radicalement nouvelle et proprement révolutionnaire.

Cette révolution, elle s’impose à nous aujourd’hui. Cette vision radicalement nouvelle du monde, révolutionnaire, disruptive, dirait-on aujourd’hui, c’est à présent à nous de la mettre en œuvre. Devant l’épuisement des ressources de notre planète et avec le confort égoïste de nos modes de vie, nous n’avons pas d’autre choix que d’inventer un nouveau modèle. Modèle économique certes, mais qui implique des changements dans tous les domaines qui composent notre vie.

Mais soyons clairs  ! Je ne me rajouterai pas au concert des innombrables Cassandre, prophètes d’Apocalypse et autres collapsologues indignés  ! Notre énergie est mieux employée à trouver des solutions et à se retrousser les manches. Plusieurs pistes rendent optimistes. Une de celles qui me semble la plus stimulante est celle de l’économie circulaire à impacts positifs. De quoi parle-t-on exactement  ?

Un modèle bien plus qu’économique

La caractéristique principale de l’économie circulaire réside dans son objectif de mettre fin à l’économie linéaire par des systèmes industriels de régénération. Le modèle économique actuel est dit linéaire du fait qu’il extrait des ressources, les transforme en produits finis qu’on utilise et jette, soit directement, soit, pour certains après un recyclage plus ou moins réussi.

Le modèle circulaire a recours aux énergies renouvelables et tend à éliminer la notion de déchet en mettant en place une logique de conception nouvelle de chaque produit et en y associant des modèles économiques également nouveaux (les modèles de service ou de performance en sont un exemple connu à travers les exemples récent de musique comme service ou software comme service) . Le but est d’éviter ainsi toute production de déchets en développant de nouveaux matériaux, de nouveaux modèles de production et de nouveaux modèles commerciaux. De plus, la notion de « consommateur » doit disparaître au profit de « l’utilisateur », au moins pour les produits non alimentaires. On n’achète plus, mais on « emprunte », on loue, on achète le service ou la performance (et pas le produit) ou encore on échange. L’économie circulaire répond donc à un nouveau modèle de production et de consommation qui implique le partage, la location, l’utilisation intensive et finalement la réutilisation des composantes et des matériaux.

Ainsi, la notion même de recyclage au sens linéaire du terme devient caduque – ainsi que la notion de déchet. On ne recycle pas, dans l’économie circulaire, on transforme et chaque composant est réinjecté pour une nouvelle utilisation dans une autre vie.

On le voit, ce modèle économique ne concerne pas que l’économie, bien sûr ! Il met en jeu plusieurs pans de notre société. Il remet en question nos modes de vie.
Si le Luxembourg veut implémenter un tel modèle, il lui faudra mettre en œuvre une stratégie nationale globale, structurante et structurée… et impulser et favoriser une stratégie européenne et transnationale.

À quoi pourrait donc bien aboutir une économie circulaire qui ne serait développée que dans une poignée d’entreprises, ou qui ne serait que l’objet de colloques universitaires  ? Ce serait une économie circulaire qui tournerait à vide, ou mieux, qui tournerait court  !

Doté d’une vision, d’objectifs clairs et d’un calendrier - et en ayant fait une priorité dans l’ensemble de ses actions -, notre gouvernement est en train de créer et de développer un écosystème complet d’acteurs très divers.

À mon sens, cinq grandes familles constituent les cinq piliers de ce vaste modèle  : l’éducation, l’innovation, la législation, le financement et évidemment l’utilisateur, ici plus que jamais le consommacteur.

Une stratégie nationale devra reposer sur ces cinq piliers, piliers doivent obligatoirement être développés en parallèle pour garantir sa réussite.

Éduquer et former

Nous sommes sur une échelle de temps longue et les ingénieurs et économistes de demain sont aujourd’hui en culottes courtes  ! Aussi, apprenons très tôt à la jeunesse à avoir une vision systémique des choses et du monde. C’est-à-dire très concrètement, à ne pas scinder les matières apprises en classe. Tout forme un tout  !

L’Histoire, c’est aussi de la géographie («  On a l’Histoire de sa géographie  » disait d’ailleurs un certain Napoléon Bonaparte) ainsi que de l’économie et de la culture. Et les sciences dures, mathématiques, physique, chimie, etc. ont un impact sur l’histoire d’un pays et sa société, et donc son histoire et son économie  ! La boucle est bouclée  !

Poursuivons ce bon début en créant, à l’université, une chaire dédiée à l’analyse, aux problématiques et aux enjeux de l’économie circulaire.

Des modules spécifiques et variés peuvent y être associés comme par exemple… le biomimétisme (la nature est une source inépuisable d’inspirations). Sujet pas si éloigné puisque certains auteurs y voient une voie nouvelle de développement soutenable et intégré dans la biosphère permettant de mettre au point des procédés et des organisations qui ouvrent la possibilité d’un développement durable des sociétés.

Ce processus peut ainsi aboutir à la formation de jeunes (ou moins jeunes) experts qui pourraient être formés dans un centre de compétences dédié aux métiers de l’économie circulaire (le démontage, la préfabrication, la réparation, ...) compétences cruciales pour les entreprises dans leur transition vers le nouveau modèle d’économie circulaire. Les Babyboomers y auraient tout autant leur place pour leur expérience, comprendre et réparer certains modèles plus anciens et dont la technologie a été dépassée.

Favoriser l’innovation

Le souci constant de l’innovation doit en toute logique poursuivre ce dispositif d’éducation car le modèle d’économie circulaire a besoin de beaucoup de recherches fondamentales et de recherches appliquées pour exister et être viable.

Là encore, c’est au politique de prendre la main, dès le début, en créant une grille de programmes de recherches et de programmes de soutien à l’innovation, ou développer plus amplement les programmes d’assistance pour les entreprises comme le fit4Circularity ou le fit4innovation, par exemple. Parallèlement, sur le modèle allemand du Materialprüfanstalt affilié aux universités fédérales, l’État peut mettre en place un Institut d’essai des matériaux qui piloterait des essais de matériaux et de composantes lors de leurs multiples usages dans les chaines de valeurs.

Pour stimuler le marché, le gouvernement peut confier aux acteurs publics de plus en plus de projets pilotes, innovants et challengeant, démarche vertueuse qui entraîne après elle d’autres initiatives du même type.

L’innovation n’existe pas seulement dans la recherche mais aussi dans les choix politiques et dans la normalisation. Ainsi, notre gouvernement peut choisir de développer et de promouvoir systématiquement une initiative mise en place récemment, le PCDS, le Product Circulary DataSet. L’idée étant de développer une norme industrielle au niveau européen qui fournit un cadre réglementé pour les données circulaires sur les produits tout au long de la chaîne de valeur, des matières premières aux produits finis, de la phase d’utilisation au recyclage. Les objectifs sont d’augmenter l’efficacité de l’échange de données à travers les chaînes d’approvisionnement. En travaillant avec des acteurs clés de l’industrie, l’initiative vise à développer un processus et un modèle de jeu de données internationalement accepté pouvant être utilisé par n’importe quel fabricant, quelle que soit sa position dans la chaîne d’approvisionnement.

Imaginer un cadre législatif

Bien évidemment, rien n’est possible sans un cadre législatif stimulant, mis en place par une coordination interministérielle volontariste et dotée d’un ensemble d’indicateurs permettant de suivre et d’évaluer l’évolution des processus.

Sur le plan fiscal, c’est ainsi au législateur de créer un cadre propice au développement de nouveaux modèles économiques tel que les modèles de performance, les modèles de service, les modèles de partage… Ce cadre peut prendre la forme d’un accompagnement fiscal favorable et/ou la mise en place d’une garantie d’État pour les entreprises changeant radicalement de modèle économique.

Et, puisque nous entendons changer de paradigme, certaines grilles de lecture ne conviennent plus. Ainsi, il serait indispensable de repenser la notion de plan comptable pour l’adapter aux spécificités de l’économie circulaire, en ce qui concerne notamment la logique de l’amortissement qui, dans notre cas, prend un tout autre sens  !

Sur le plan purement légal, l’État doit permettre l’adoption de licences ouvertes, la promotion des technologies « ouvertes », et favoriser l’innovation ouverte. En effet, aujourd’hui, il semble inconcevable qu’une entreprise continue d’innover en vase clos.

Crise oblige, elle ne peut plus se permettre d’avoir des équipes internes de R&D aussi étoffées. Surtout, l’innovation s’est complexifiée et accélérée. Le cycle de vie de l’innovation, de plus en plus court, impose de s’ouvrir sur l’extérieur afin de raccourcir le « time to market ». Parallèlement, la coopération interne ou externe se voit grandement facilitée par l’utilisation de nouveaux outils permettant de multiplier les échanges (plateformes collaboratives, intranets, réseaux sociaux, etc.).

Ainsi, la collaboration entre grand groupe et start-up, notamment, est en fort développement. Ce mode d’innovation ouverte permet à une entreprise traditionnelle de trouver une nouvelle agilité. De son côté, la start-up bénéficie de l’expérience de son partenaire, de son réseau de contacts et de son appui financier.
Mais pour que cette collaboration soit un succès, il est nécessaire de lui donner un cadre clair que seul le législateur peut créer.

Accompagner l’investissement

Investir dans des entreprises qui s’engagent en faveur de l’économie circulaire peut se révéler un choix payant sur le long terme.

Du côté du secteur privé, les fonds d’investissement s’intéressent de plus en plus à l’économie circulaire. Un indice a même été créé, l’ECPI Circular Economy Learders Equity, qui se base en premier lieu sur les critères environnementaux, sociétaux et de gouvernance (ESG) d’entreprises cotées d’envergure mondiale. Les sociétés sont ensuite sélectionnées pour leur participation à l’économie circulaire et répertoriées selon plusieurs catégories : conception circulaire, récupération des matériaux, extension de la durée de vie du produit, plateformes de partage et offre de produits en tant que services (cloud, leasing, échange de biens). L’indice sélectionne une liste finale de 50 sociétés ayant la plus importante capitalisation boursière en veillant à conserver une diversification sur les secteurs considérés comme éligibles par les analystes d’ECPI.

L’économie circulaire est de plus en plus adoptée par les grandes entreprises internationales qui y perçoivent une opportunité de croissance et d’innovation. Aidons maintenant les entreprises plus modestes et les PME pour qu’elles puissent elles aussi développer ce modèle en toute sérénité.

Il conviendrait de plus que la force politique rattrape la balle au bond et accompagne cette tendance en privilégiant, par exemple, pour ses marchés publics, des solutions circulaires.

Informer et convaincre

Reste l’acteur finalement essentiel au cœur de ce nouveau modèle  : l’utilisateur, vous, nous tous.

C’est nous tous qu’il faut convaincre car nous sommes chacun la clé de la réussite de cette transition économique qui constitue surtout un nouveau modèle de civilisation.

Adopter des nouveaux réflexes, avoir confiance dans les nouvelles offres qui lui seront proposées, acheter moins, prêter, échanger plus n’est pas chose facile tant nous sommes ancrés dans de très très vieilles habitudes de vie et de consommation.
Rien ne se fera ainsi sans une bonne communication vers le grand public pour le sensibiliser et l’informer. La tâche sera longue et difficile mais les arguments ne manquent pas  !

Le développement d’une économie circulaire permet aux citoyens-consommacteurs d’avoir accès à des produits écoconçus de meilleure qualité. L’approvisionnement durable et la mise en place de circuits courts induisent une meilleure traçabilité des produits, notamment alimentaires, avec des bénéfices environnementaux et sociaux importants (économie locale, emplois, santé, etc.).

De plus, l’allongement de la durée de vie des produits permet, outre ses bénéfices environnementaux, de limiter les dépenses des citoyens, et de les faire bénéficier de sources de revenus complémentaires (revente d’occasion, etc.). Les structures de l’économie sociale et solidaire spécialisées dans le réemploi et les plateformes de dons contribuent à optimiser l’usage des ressources tout en générant des gains socio-économiques importants.

L’économie de fonctionnalité permet également au citoyen de se détacher du processus d’achat, ainsi que de l’ensemble des contraintes liées (entretien, stockage, réparation, fin de vie).

Enfin, la mise en place de réseaux locaux de consommation collaborative diminue les coûts acquisition et d’usage des produits tout en favorisant le lien social entre les citoyens.

« Quiconque croit que la croissance exponentielle peut continuer sans fin dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste », plaisantait l’économiste et philosophe Kenneth Boulding, pour qui environnement et économie sont désormais indissociables.

L’économie circulaire n’est pas une mode, c’est notre nouveau modèle.
La mise en œuvre de stratégies pour y parvenir nécessite non seulement des solutions transversales, mais aussi des solutions qui visent tous les échelons et instances politiques. Cela concerne aussi bien des mesures prises au niveau européen que l’implication de chaque citoyen nécessitant une coordination globale et des coopérations à l’échelle communale, nationale et transnationale.

Anticipons, préparons-nous, posons déjà les bases de ce qui sera notre mode de vie de demain et celle des générations à venir. Le monde d’après commence aujourd’hui.

Par Romain Poulles / Tribune libre

Article
Publié le jeudi 19 novembre 2020
Partager sur
Nos partenaires