Des coulisses à la scène : le développement durable mis sous les projecteurs
12e édition du Luxembourg Sustainability Forum : BEHIND THE SCENES - Acting for Real Change, de nombreux experts ont décortiqué notre quotidien à travers les prismes de l’eau, des voyages, des vêtements, de la nourriture et du travail. Retour sur un événement qui aura rassemblé plus de 400 personnes.
Manger, s’habiller, voyager, travailler... Ces actions recèlent toutes un énorme potentiel pour nous faire progresser vers un avenir souhaitable. Chaque action est loin d’être anodine. Les citoyens et les entreprises sont en première ligne du changement pour relever le défi de la « consommation et de la production durables ».
Pour cette 12e édition, le Luxembourg Sustainability Forum n’a pas manqué de nous faire réfléchir sur la portée de nos actes et de nos habitudes de consommation. Tout au long d’un après-midi riche en enseignements, les experts se sont réunis lors de plusieurs tables rondes pour échanger, alerter et conseiller un public captivé.
Behind Your Water
L’or bleu était le premier sujet abordé. Charlènes Descollonges, Ingénieure Hydrologue, n’est pas passée par quatre chemins pour tirer la sonnette d’alarme sur notre gestion de l’eau. « De grandes villes comme San Diego ou Los Angeles se préparent déjà à des scénarios avec des journées sans eau. C’est assez interpellant, surtout lorsque l’on sait que moins d’un pourcent de l’eau douce est disponible alors que c’est un élément vital. Les sols sont des incroyables réservoirs d’eau. J’ai découvert que depuis 1999, l’observatoire spatial du Luxembourg a calculé que chaque jour 5.000 m2 étaient artificialisés. En l’espace de 2 jours vous avez l’équivalent de la surface du parking à côté de nous qui est artificialisé. Et malheureusement, un sol qui est bitumé ne peut pas infiltrer l’eau de pluie, ne peut pas recharger les aquifères et ensuite s’écouler dans les rivières. Il faut vraiment revoir notre gestion de l’eau et des sols. Il ne faut pas non plus oublier l’eau virtuelle calculée dans notre consommation de produits comme une simple tasse de café qui correspond à 140 litres, si on tient compte du parcours entre la production et la dégustation finale. »
Behind Your Travel
Si partir à l’autre bout du monde pour se déconnecter de notre quotidien nous fait un bien fou, cela à des répercussions non négligeables sur la planète. Les experts Peigi Rodan, Ben Lynam et Felipe Koch ont mis en avant les bienfaits du slow travel afin de diminuer notre impact.
« Les voyages ont un impact indéniable sur le dérèglement climatique », a souligné Peigi Rodan. « De nombreux touristes ont pris conscience qu’il fallait voyager mieux. C’est pour cette raison que s’orienter vers des destinations moins connues, plus proches et responsables fait partie des solutions. On peut privilégier les balades en forêts, les découvertes et les activités sportives pour se ressourcer tout aussi bien que les plages de sable fin. »
« Le tourisme est un émetteur important de gaz à effets de serre, en particulier le trafic aérien. La tendance actuelle est de 4% de vol long-courrier, ce qui représente 40% des émissions totales pour le secteur du tourisme. Nous avons besoin de ralentir cette croissance voire d’avoir une décroissance en termes de trafic aérien de manière à limiter les émissions de gaz à effet de serre. »
Ben Lynam, Head of Communications, The Travel Foundation
Behind Your Style
Troisième sujet abordé, les vêtements. Après un défilé qui a mis en avant que les vêtements de seconde main étaient loin d’être ringards, Esra Tat, Joy Hellers, Elisabeth Adame, Bert Von Son et Kiki Boreel ont décortiqué l’impact environnemental et social du secteur de la mode ainsi que les solutions possibles.
Esra Tat a notamment souligné que la production de vêtements était devenue incontrôlable. « Elle a doublé en 15 ans alors que nous en avons de moins en moins besoin. Une étude a démontré qu’un tiers des vêtements dans nos armoires ne sont jamais portés. S’il y a moins de produits sur le marché, il y aura moins de consommation. Une équation simple mais réaliste. » Un avis partagé par Bert Von Son. « Chaque jour, il y a un camion-poubelle rempli pour rien. Les gens achètent beaucoup de choses pour aller mieux mais dont ils n’ont absolument pas besoin. Nous avons déjà produit suffisamment de vêtements pour habiller tout le monde jusqu’en 2100. »
IMS en partenariat avec l’association Spënchen, lance un appel à l’action auprès des entreprises membre du réseau IMS Luxembourg pour collecter un maximum de vêtements auprès des salariés sur le mois de novembre.
Behind Your Food
Les gourmands avaient rendez-vous avec le chef René Mathieu, venu préparer trois plats végétaliens, dégustés par les experts Jean Muller, Julia Gregor, Chuck de Liedekerke et Thomas Uthayakumar durant la table ronde.
« Les produits locaux et de saison représentent un gros potentiel autour de nous, mais nous en ignorons l’existence. Ils apportent beaucoup d’énergies insoupçonnées s’ils sont choisis et cuisinés de manière saine. Grâce à ces facteurs, il n’est pas nécessaire de manger beaucoup. Les gens doivent apprendre à privilégier les produits naturels et simples, à ne pas toujours vouloir des plats cuisinés avec plein de choses. Le problème, c’est la multitude. Si on prend un plat de carottes et qu’on ajoute huit autres produits, pour moi c’est trop. Nous essayons de travailler sur des produits purs. »
René Mathieu
Les autres experts se sont penchés sur l’importance de repenser les systèmes alimentaires, de lutter contre le gaspillage et d’aller vers l’agriculture régénérative. « 50 à 60% de nos besoins sont importés alors que la Grande Région propose un vaste choix de produits », explique Thomas Uthayakumar. « Malheureusement, cela engendre de la déforestation dans certaines régions du monde comme l’Amérique centrale. Si chacun mangeait en connaissance de cause, je suis persuadé que le monde irait mieux. Des initiatives voient le jour, comme en France où les grandes surfaces ont l’interdiction de rendre les invendus impropres à la consommation. C’est une première piste pour une consommation plus responsable et bénéfique à tout le monde. »
Behind Your Job
Le dernier acte était consacré au monde du travail. Un secteur pour le moins important dans la mesure où, en moyenne, nous lui consacrons 100.000 heures au cours de notre vie. Déconnexion et perte de sens au travail, équilibre vie pro/perso, repenser le rôle du travail sont quelques-unes des questions posées en fin d’après-midi au cours de la session. Au cœur de cet échange entre Pierre-Éric Sutter, Saskia Rotshuizen, Gwaldys Costant et Gabrielle Pastel, l’importance de la mission portée par les entreprises et de l’adéquation avec les valeurs des salariés ont été discutées.
« 25% des travailleurs luxembourgeois envisageraient de démissionner dans les 12 prochains mois », a précisé Gwaldys Costant. « Un chiffre qui nous place en tête du classement européen. Il faut vraiment rétablir un contrat de confiance entre les employeurs et les salariés. Il faut une perspective durable et engageante afin de motiver les employés. »
Quelques-unes des solutions mises en avant sont de retrouver du sens à l’existence, de questionner le pourquoi de nos actions, de notre engagement mais surtout la responsabilité portée par les entreprises. Ce besoin d’engagement, mis en avant par exemple avec le mouvement B Corp, ou la possibilité de se focaliser sur les valeurs humaines, de créer des communautés pour des projets qui donnent de la satisfaction, de la reconnaissance et de l’appartenance sont d’autres pistes à explorer. L’entreprise représente un lieu essentiel pour faire bouger les lignes et redonner l’espoir plus tangible d’un mouvement commun ?
« L’entreprise doit être exemplaire. Non pas pour une question d’acquisition de talents mais de rétention de talents. Qu’est-ce qui me fait rester dans une entreprise ? C’est l’alignement. L’alignement entre ce qui a été dit et ce qui se passe vraiment. »
Gabrielle Pastel, Youth Forever
Un 12e rendez-vous qui s’est achevé comme il avait débuté avec une performance du Collectif Minuit 12 qui a amené un regard positif vers la sauvegarde de la planète. « En travaillant avec la danse, avec le corps, c’est un message d’autant plus direct puisque le corps est notre premier outil pour affronter tous ces dérèglements climatiques. Quand il fait 40 degrés, qu’on n’a pas d’eau, que c’est la sécheresse dans le sud ou à l’autre bout du monde, c’est dans notre chair qu’on est touché, d’où l’importance de la danse, du corps et des images », a souligné Justine Sène, danseuse et cofondatrice du collectif.
Sébastien Yernaux
Photos : ©IMS