« Penser la ville dans de nouvelles dimensions est un exercice créatif »

« Penser la ville dans de nouvelles dimensions est un exercice créatif »

Interview de Carole Dieschbourg, ministre de L’environnement, du Climat et du Développement Durable

Déployé sur les dents creuses, toitures plates et autres surfaces actuellement inexploitées en ville, l’urban farming apporte une réponse à de multiples problématiques environnementales, sociétales et économiques. En se positionnant comme le premier pays à se doter d’une stratégie dans ce domaine, le Luxembourg lance un signal fort et démontre sa volonté politique d’aller vers une société plus résiliente.

Pourquoi le ministère de l’Environnement,
du Climat et du Développement durable a-t-il choisi de s’intéresser à l’urban farming ? En quoi peut-il contribuer à atteindre les objectifs que le gouvernement s’est fixés en matière de changement climatique et de protection des ressources ?

Il y a de multiples raisons environnementales d’exploiter au mieux le potentiel des surfaces scellées existantes (les toitures, par exemple) et de trouver des synergies (récupérer la chaleur émise par les bâtiments pour faire pousser des fruits et légumes sains, par exemple) : approvisionner les consommateurs en circuits courts, c’est aussi réduire les transports, donc les émissions de CO2 ; apporter plus de plantes en ville, c’est aussi améliorer la qualité de l’air ; produire de manière raisonnée, c’est aussi protéger nos ressources, etc.

Il y a également de nombreux éléments sociétaux qui sont liés à l’urban farming : la transition vers un monde plus résilient, l’autonomie alimentaire (comme pour l’énergie, tout citoyen peut devenir un prosumer, c’est-à-dire un producteur et consommateur), le fait de retrouver une proximité entre l’homme et son alimentation et de redonner ainsi de la valeur aux produits que l’on consomme parce qu’on connaît le travail qu’il y a derrière, qu’ils ont poussé à proximité et qu’on sait qu’aucun pesticide n’y a été appliqué, mais aussi la création de lien social dans le cadre de coopératives.
Ce modèle peut, en outre, intéresser divers secteurs et ouvrir de nouvelles perspectives économiques.
Penser la ville dans de nouvelles dimensions est pour moi un exercice créatif qui permet de trouver des synergies qui n’existaient pas encore.

Le Luxembourg est le premier pays à se doter d’une stratégie urban farming. Comment sera-t-elle appliquée ? Quelles seront les différentes étapes ?

Être un petit pays offre certains avantages, notamment celui de nous permettre d’être à la pointe dans le domaine de l’urban farming en nous dotant d’une stratégie nationale, là où d’autres se sont dotés d’une stratégie communale ou régionale.
Devenir plus résilient face au changement climatique est un élément majeur de cette stratégie, comme protéger les ressources, renouer le contact avec la production alimentaire et porter cette discussion au niveau des citoyens qui vivent en milieu urbain, mais aussi développer un potentiel économique.

Un premier pas très important sera d’annoncer cette stratégie ambitieuse avec des messages forts. Elle doit embarquer tous les acteurs, privés et publics (ministères, communes, citoyens, entreprises, etc.), issus de différents secteurs (agriculture, construction, énergie, etc.). Il s’agira ensuite de calculer le potentiel de développement en établissant une cartographie des surfaces exploitables et, enfin, de démontrer qu’on peut faire du Luxembourg un pays pionnier en déployant, au fur et à mesure, des projets concrets avec tous les acteurs concernés.

Quels objectifs souhaitez‑vous atteindre ?

Avoir une stratégie nous permet de travailler de manière conceptuelle, c’est-à-dire de nous donner des objectifs clairs. Le programme gouvernemental prévoit d’atteindre un certain pourcentage de production organique, mais aussi de production locale : nous visons l’autosuffisance d’ici 2050 dans les domaines où c’est possible. Nous produisons aujourd’hui beaucoup pour l’exportation (c’est notamment le cas pour le lait et la viande) et le mode de production actuelle nuit à l’état de nos rivières et ruisseaux. Le fait de transporter les produits pose aussi des problèmes en matière de protection du climat. Notre consommation actuelle ne protège pas nos ressources, pas plus qu’elle n’est neutre en matière de changement climatique. Il est donc temps de changer de modèle en utilisant le potentiel existant et de donner des signaux très forts dans ce sens.

Avez-vous développé ou allez-vous développer des outils à destination des acteurs qui souhaiteraient s’impliquer dans cette stratégie ?

Nous intégrerons des éléments liés à l’urban farming dans des instruments existants, comme le Pacte climat par exemple. Nous y avons déjà introduit des éléments relatifs aux objectifs de développement durable ou à l’économie circulaire. L’urban farming pourrait aussi en faire partie. Intégrer la biodiversité dans les politiques communales, produire plus de fruits et légumes soi-même, utiliser intelligemment les surfaces à disposition ou encore recréer le lien entre citoyens fait partie d’un développement durable. Le lien avec le Pacte climat est déjà là.

Y a-t-il déjà des projets pilotes qui sont programmés ?

Cinq projets pilotes devraient naître dans les années à venir, en concertation avec les acteurs qui mènent le projet (CDEC, IFSB, Neobuild et Cocert). Ils permettront de démontrer très concrètement ce que l’urban farming apporte aux citoyens, que les synergies fonctionnent, que c’est économiquement viable.

Mélanie Trélat
Article tiré du NEOMAG#22
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Publié le vendredi 7 juin 2019
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