L'ACL s'interroge sur la pertinence des nouvelles mesures gouvernementales

L’ACL s’interroge sur la pertinence des nouvelles mesures gouvernementales

Les nouvelles mesures gouvernementales pour promouvoir l’électromobilité répondent- elles aux réels besoins de l’économie et des consommateurs ?

Après la période de confinement la question de la relance économique se pose désormais. Ce serait pour stimuler le secteur de la mobilité individuelle (automobiles et autres véhicules associés) que le gouvernement luxembourgeois a annoncé fin mai une révision des primes susceptible d’inciter le consommateur à acquérir un nouveau véhicule plus respectueux de l’environnement. À ces primes (reprises ci-dessous et en application jusqu’au 31 mars 2021) s’ajoute la déclaration du ministre de l’Énergie, Claude Turmes (Déi Gréng), qui a évoqué l’avenir d’un parc de voitures de société majoritairement électriques.

  • Prime à l’achat de voitures électriques augmentée de 5 000 € à 8 000 €
  • Prime à l’achat de vélos et pédélecs augmentée de 300 € à 600 €
  • Prime à l’achat de motocycles et quadricycles électriques de 500 € à 1 000 €
  • Prolongation de la prime existante de 2 500 € pour les voitures hybrides rechargeables

Ces annonces contribueront-elles vraiment à la relance du secteur du commerce automobile et répondront-elles aux réels besoins de mobilité des tranches de la population les plus affectées économiquement par la crise du COVID ? L’ACL s’interroge sur la pertinence des mesures proposées par nos politiques et vous livre ses réflexions.

Montant des primes

Si la majoration des primes pour les vélos, pédélecs et scooters électriques est sensée et louable, celle attribuée aux voitures électriques semble plus discutable aux yeux de l’ACL. En effet, pourquoi subsidier à la même hauteur les petites voitures et celles chères comme les luxueuses berlines ou autres gros SUV électriques dont les acheteurs n’ont nul besoin d’aide financière, alors que c’est le cas des acheteurs de modèles plus modestes ? C’est la question qu’avait déjà posée l’ACL en février dernier avec la proposition d’échelonner les primes selon la catégorie et la gamme des voitures pour plus d’équité sociale en rendant ainsi la motorisation électrique accessible aux faibles revenus.

Échéance des primes

L’autre question que soulèvent ces nouvelles primes concerne leur échéance. En effet, pourquoi les limiter au 31 mars 2021 alors que les délais de production des véhicules électriques se sont considérablement allongés avec la crise du COVID ? Ceci est d’autant plus dommage que l’offre des voitures électriques bas et moyen de gamme, donc plus abordables, s’étoffera seulement dans les deux à trois années à venir. Si le but était réellement de favoriser une large diffusion des motorisations électriques, pourquoi ne pas étaler ces primes sur plusieurs années afin de garantir un effet durable et rassurer les consommateurs par la même occasion ? Tout cela porte à croire que cette mesure tient plus de l’effet d’annonce plutôt qu’en une véritable action réfléchie et planifiée afin de favoriser l’électromobilité.

La problématique de la recharge

Le souci majeur de la voiture électrique ou hybride plug-in demeure son autonomie électrique et donc sa recharge sur secteur qui doit être fréquente. On comprendra que la capacité et la densité de l’infrastructure de recharge sont capitaux pour assurer ces recharges répétées. À ce sujet, le Luxembourg a lancé un programme de bornes de recharge publiques avec pour but d’installer 800 bornes dans tout le pays pour 2020. Le constat est qu’aujourd’hui on n’a pas encore atteint les 400 bornes pour un total de 5 662 véhicules électrifiés - 2 630 BEV(1) et 3 059 PHEV(2) - actuellement en circulation. Ce problème se pose d’autant plus pour les citadins vivant en appartement et susceptibles d’acquérir une voiture électrique. Le gouvernement n’a rien prévu à ce sujet ni d’ailleurs sur celui des bornes de recharge rapides qui sont essentielles pour répondre à des besoins de recharge ponctuels et fréquents. Dans ces conditions il est compréhensible que les consommateurs soient confus et manquent de confiance pour franchir le pas de l’électrique.

Les véhicules de société électriques

L’annonce du ministre de l’Énergie concernant l’avenir d’un parc automobile de société majoritairement électrique, n’a rien de concret ni de réfléchi. Tout d’abord cette annonce n’indique aucune date de mise en application, et ensuite, elle crée incertitude et inquiétude auprès des professionnels qui pourraient choisir de reporter le renouvellement de leurs véhicules avec l’effet négatif pour l’environnement de rallonger l’âge du parc automobile (sur les 428 000 véhicules en circulation, 10 % sont des voitures de leasing). Les spécialistes du secteur automobile s’accordent à dire qu’une telle décision est utopique à court et moyen terme pour bon nombre de raisons (disponibilité des véhicules électriques, déploiement des bornes de recharge au travail/domicile, capacité et robustesse du réseau électriques, visibilité sur l’évolution de la fiscalité et du tarif de l’énergie, etc.). L’infrastructure de recharge sur le lieu de travail et à domicile est d’autant plus critique que la majorité des véhicules de société parcourt des distances importantes et que près de deux tiers de leurs utilisateurs sont frontaliers et devront donc recharger à domicile (à l’étranger). La volonté de promouvoir des voitures de société électriques impose d’identifier et surmonter au préalable toutes ces questions qui sont autant obstacles, sans quoi on s’expose à bien des désagréments dans la réalité du quotidien !

Le constat des spécialistes en mobilité

Les spécialistes en mobilité, comme la FIA (Fédération Internationale de l’Automobile), les clubs automobiles et les cabinets d’experts, se sont réunis régulièrement par webinaires pendant le confinement pour discuter de la problématique de la mobilité après COVID. Le constat de ces consultations est clair, la priorité n’est pas de rouler électrique mais plutôt de proposer des moyens de transport individuels abordables pour endiguer la diffusion du virus via les transports publics… Selon ces spécialistes, cela se traduirait par l’augmentation des ventes des deux-roues et des voitures d’occasion qui reflète la diminution du pouvoir d’achat causée par la crise du COVID. Ce phénomène, d’ores et déjà visible à la sortie du confinement, irait en partie à l’encontre de la protection de l’environnement puisque cela signifierait l’augmentation des émissions polluantes et de CO2 par le biais des voitures d’occasions plus polluantes que les neuves respectant, elles, les dernières normes en vigueur.

L’autre problème lié au COVID est l’accumulation des véhicules thermiques neufs invendus qui grossissent les stocks des constructeurs et pénalisent toute la chaîne du commerce automobile dont dépendent les revendeurs et garagistes locaux.

Ces éléments posent la question de savoir s’il ne faudrait pas plutôt stimuler la vente de toutes les nouvelles voitures, qu’elles soient thermiques, hybrides ou électriques plutôt que celle des électriques seules disponibles en nombres très limités dans les mois à venir ? En effet, offrir une prime de 8 000 € permettrait juste de mettre la voiture électrique au prix d’une thermique alors qu’une prime à l’achat d’une nouvelle voiture thermique respectueuse des dernières normes d’émissions permettrait aux faibles revenus d’avoir accès à un nouveau véhicule « propre » plutôt que d’acquérir une voiture d’occasion plus polluante. De là découle la proposition de l’ACL pour une prime à la casse offerte aux possesseurs de voiture ancienne (il y a plus de 80 000 voitures de plus de 10 ans – non collection - sur notre territoire susceptibles de pouvoir bénéficier d’une telle prime).

Conclusion

Comme déjà évoqué lors de sa conférence de presse du 28 février dernier, l’ACL constate et regrette, une fois de plus, que nos politiques continuent de prendre des mesures de façon indépendante, désinvolte et irréaliste sans aucune concertation avec les acteurs et spécialistes de la mobilité au Luxembourg. Leurs annonces passées le prouvent, comme le but annoncé en 2010 d’atteindre 40 000 véhicules électriques en circulation en 2020… Au 31 mai 2020 on en était à peine à 2 630 unités ! En agissant de la sorte, nos politiques courent le risque de se décrédibiliser auprès des citoyens en s’isolant de la réalité du terrain et des technologies qu’ils ne semblent ni connaitre et encore moins maîtriser. L’ACL et les autres acteurs du secteur de l’automobile et de la mobilité estiment qu’il est grand temps que nos politiques comprennent qu’il nous faut coopérer de façon constructive afin de proposer des solutions de mobilité durables et réalistes pour tous. L’ACL s’interroge sur la légitimité d’une décision politique qui imposerait la technologie des motorisations de nos futurs véhicules. L’histoire ne nous a-t-elle pas enseigné que c’est dans la diversité, la concertation et la liberté de choix que les solutions durables ont émergé et se sont imposées d’elles même ? Dans ce contexte, l’ACL et bon nombre de spécialistes sont convaincus qu’il n’y a pas une seule solution pour tous (one fits all) mais bien une multitude de solutions répondant aux différents cas de figure en fonction des besoins de chacun.

Notes :
(1) BEV : Battery Electric Vehicle (véhicule 100% électrique)
(2) PHEV : Plug-In Hybrid Electric Vehicle (véhicule hybride rechargeable sur secteur)

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Publié le mardi 16 juin 2020
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