Upcycling textile : l'ACV révèle un fort potentiel de décarbonation

Upcycling textile : l’ACV révèle un fort potentiel de décarbonation

L’étude menée par le Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST) pour Hëllef um Terrain (HUT) montre que l’upcycling textile réduit fortement les impacts environnementaux, jusqu’à 87 % par rapport à la production neuve. Une analyse de cycle de vie montre le potentiel de cette stratégie.

En début de présentation, Marie-Sophie Roderich a rappelé quelques données clés sur l'impact environnemental du textile.
En début de présentation, Marie-Sophie Roderich a rappelé quelques données clés sur l’impact environnemental du textile. - ©Parlement européen

À la demande de Hëllef um Terrain (HUT), le Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST) a mené une étude sur la performance environnementale de l’upcycling.

Pour mesurer cette performance, les chercheurs du LIST ont réalisé une analyse comparative du cycle de vie de produits textiles neufs, et de leurs équivalents upcyclés, en partant de modèles concrets vendus par HUT dans sa boutique LëtzRefashion.

Marie-Sophie Roderich, analyste Cycle de vie au LIST, a présenté ce travail au nom de son équipe, composée également de Michaël Saidani (LIST), Ana Luisa Teixeira (HUT) et Enrico Benetto (LIST). C’était le 26 novembre au Casino – Forum d’art contemporain à l’occasion du lunch debate organisé par HUT.

Les vêtements et accessoires de LëtzRefashion sont conçus à partir de vêtements et uniformes de travail usagés collectés auprès des entreprises et organisations du Luxembourg. « Cette démarche a pour but de réduire les déchets textiles, réduire la consommation de ressources vierges et favoriser l’emploi local », complète l’analyste.

Qu’est-ce que l’analyse de cycle de vie (ACV), appliquée au textile ?

Marie-Sophie Roderich : « En bref, c’est une méthodologie standardisée dont les principes et prérequis sont définis par les normes ISO 14040 et ISO 14044 et qui permet d’évaluer les impacts environnementaux d’un produit, d’un procédé ou d’un service tout au long de son cycle de vie. »

- ©LIST

L’ACV en quatre étapes :

  1. Définition du but et de la portée : définir le système à étudier, sa fonction, les limites (ce qu’on inclut ou non). « On peut choisir de se concentrer sur l’ensemble du cycle de vie du produit ou sur certaines étapes. L’ensemble du cycle de vie s’étend de l’extraction des matières premières à la fin de vie, en passant par la production, la fabrication, l’assemblage et l’utilisation, en incluant les éventuelles étapes de transports à chacune de ces étapes. »
  2. Analyse d’inventaire : collecte de toutes les données associées à chaque étape étudiée, « des données relatives aux matières premières, aux déchets générés, à l’énergie consommée, aux pollutions émises… pour dresser un inventaire de tout ce qui entre et tout ce qui sort du système étudié. »
  3. Évaluation des impacts : Calcul des impacts environnementaux sur base des données collectées, en les classant par catégories d’impacts – dans ce cas-ci : « le changement climatique, l’eutrophisation, l’acidification, la toxicité, l’épuisement des ressources fossiles et minérales… »
  4. Interprétation  : Analyse des résultats obtenus, conclusions et éventuellement recommandations.

L’analyse du cycle de vie est une méthodologie itérative et holistique : comme elle est multicritères, elle prend en compte non seulement les émissions de CO2 mais également d’autres indicateurs d’impacts environnementaux.

Cas pratique d’ACV : comment le LIST a évalué l’upcycling d’uniformes usagés

Cette analyse ACV appliquée au textile permet de mieux comprendre les bénéfices environnementaux de l’upcycling.

1. Définition du but et de la portée :

- ©Lëtz Refashion
  • But : faire une analyse de cycle de vie comparative entre l’impact de la production des accessoires upcyclés et l’impact de la production des accessoires neufs, c’est-à-dire fabriqués à partir de matières premières vierges.
  • Unité fonctionnelle : la production d’un kilogramme d’accessoires textiles. Les impacts seront donc calculés et exprimés par kilogramme d’accessoires.
  • Portée : trois produits upcyclés par HUT :
    • une housse de bouillotte fabriquée à partir d’une veste en polaire,
    • une pochette laptop faite à partir d’un pantalon et
    • une sacoche de vélo réalisée avec une veste haute visibilité.

Marie-Sophie Roderich : « Ces trois articles upcyclés sont comparés avec des accessoires neufs de même fonctionnalité, qu’on va modéliser comme références pour la comparaison. »

  • Limites du système : approche cut-off, « c’est-à-dire que les uniformes usagés sont considérés comme des déchets, donc les impacts initiaux liés à leur fabrication ne sont pas attribués au système d’upcycling  ».
Les limites (ce qui est compris dans l'analyse vs ce qui ne l'est pas) sont représentées par les zones en pointillés rouges.
Les limites (ce qui est compris dans l’analyse vs ce qui ne l’est pas) sont représentées par les zones en pointillés rouges. - ©LIST
    • Pour les produits upcyclés : « Cela comprend la collecte de l’uniforme considéré comme déchet, le point de collecte et le transport jusqu’au centre d’upcycling, et la transformation qui est le processus d’upcycling lui-même et qui comprend essentiellement l’électricité qui a été consommée pour fabriquer les accessoires upcyclés. »
    • Pour les équivalents neufs : « On a bien comme limite du système l’extraction des matières premières, la fabrication et le transport de l’accessoire neuf. Nous n’avons pas pris en compte les étapes d’utilisation et de fin de vie, puisque l’objectif est vraiment de comparer l’impact de la production d’un kilo d’accessoires, donc en fait les étapes d’utilisation et de fin de vie non seulement sont assez incertaines, mais aussi elles ne vont pas influencer la comparaison puisqu’elles sont supposées équivalentes pour les deux scénarios. »

2. Analyse d’inventaire :

Pour la production upcyclée :

  • Des données primaires collectées directement auprès de HUT : consommation d’électricité (machine à coudre, éclairage, etc.), nombre d’uniformes utilisés pour produire un accessoire.
  • Des données secondaires : par exemple le mix électrique utilisé au Luxembourg (énergie nucléaire, énergie renouvelable).

Pour la production textile neuve :

  • Des données secondaires : issues de bases de données d’ACV, « que nous avons complétées par des données, des informations prises de fiches descriptives de modèles identifiés sur un site de commerce en ligne ».

Ces données ont été modélisées à l’aide d’un logiciel ACV – SimaPro v9.6 – et d’une base de données Ecoinvent v3.10 : « Cela permet de modéliser les flux physiques de matière et d’énergie associés aux activités humaines ».

3. Évaluation des impacts :

Méthode EF (Environmental Footprint) 3.1, développée par la Commission européenne et qui couvre 16 catégories d’impacts environnementaux

4. Résultats : l’upcycling réduit jusqu’à 87 % les impacts environnementaux

- ©LIST

Marie-Sophie Roderich : « On voit très clairement et sans surprise que la production d’accessoires upcyclés a un impact nettement plus faible que la production neuve. »

L’impact global de l’upcycling est réduit de 87% par rapport à celui de la production neuve. Une seule exception concerne les radiations immunisantes pour la pochette d’ordinateur : les émissions sont plus élevées pour l’upcycling que pour le neuf. Explication : « Cela vient du fait qu’on a utilisé le mix électrique luxembourgeois qui contient une part d’électricité importée de Belgique, issue de l’énergie nucléaire. »

Focus climat : pourquoi l’upcycling émet beaucoup moins de CO₂

  • En équivalent CO₂, l’impact est 3 à 19 fois plus important pour le neuf que pour l’upcycling, en raison de l’impact de la fabrication des fibres synthétiques, telles que le polyester et le polyuréthane.
  • Le transport joue un rôle négligeable pour la fabrication de HUT au Luxembourg
  • Produire par l’upcycling permet d’éviter jusqu’à 6,6 kg de CO2 équivalents par kg d’accessoires.
  • Ressources en eau : la production de HUT permet d’économiser jusqu’à quasiment deux mètres cubes d’eau par kilo d’accessoires.

Économie d’eau et ressources : des gains significatifs pour le textile


« La production upcyclée entraîne globalement 8 fois moins d’impacts environnementaux par rapport à la production neuve. »

Marie-Sophie Roderich, analyste Cycle de vie au Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST)

Sur base de ces cas simplifiés, issus d’une initiative locale, « on peut dire que l’upcycling est une stratégie prometteuse pour décarboner le secteur du textile et qui peut avoir un impact réel si ce genre d’initiative est déployée à plus grande échelle ».

Limites de l’étude et conditions de durabilité des produits upcyclés

Comme indiqué, cette étude reprend des cas simples et est loin de refléter toutes les possibilités d’upcycling, qui comprend des processus plus complexes, des déplacements sur de plus longues distances, des étapes de nettoyage ou de teinture supplémentaires, etc. L’étude considère également que les deux produits auront une durée de vie équivalente, mais les impacts pourraient varier si l’on estimait que les produits de HUT ont une moindre longévité.

Lors des échanges avec le public, Ana Luisa Teixeira a pu donner sa position sur ce point : « Notre but, ce n’est pas de produire de l’upcycling juste pour faire beau, mais que ce soient des accessoires que les gens puissent encore utiliser pour un bon moment. Pour cela, il faut que l’uniforme, en tout cas les pièces qu’on utilise, soient en très bon état. »


➡ Première partie de l’événement de Lëtz Refashion : Quel avenir pour nos vêtements ? L’Europe change les règles du textile

Marie-Astrid Heyde
Photos : Lëtz Refashion / Picto

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Publié le lundi 15 décembre 2025
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