Quel avenir pour nos vêtements ? L'Europe change les règles du textile

Quel avenir pour nos vêtements ? L’Europe change les règles du textile

Un Européen consomme 19 kg de textiles par an et en jette 16. Au Luxembourg, moins de 3% sont réutilisés localement. Face aux impacts environnementaux et sociaux du textile, l’Europe change les règles pour favoriser la collecte, la réutilisation et le recyclage, via la responsabilité élargie du producteur.

Mercredi 26 novembre, le Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain accueillait le lunch debate intitulé « La mode face au défi climatique : solutions locales et européennes pour décarboner le textile ».

Cet événement était le premier organisé par Lëtz Refashion depuis la reprise du service par Hëllef um Terrain (HUT). Le premier aussi pour l’équipe récemment agrandie, qui compte renforcer son offre de services, incluant déjà, outre la boutique d’upcycling du centre-ville, des programmes pédagogiques dans les écoles et l’accompagnement des communes.


« La plus grande menace aujourd’hui, c’est la désinformation. Nous avons besoin des citoyens et des politiciens, et d’un socle d’information commun et fiable. C’est là que le monde de la science joue un rôle clé. »

Ana Luisa Teixeira, responsable de Lëtz Refashion pour Hëllef um Terrain (HUT)

Conférence au Casino - Forum d'art contemporain, introduite par Ana Luisa Teixeira de Hëllef um Terrain (HUT)
Conférence au Casino - Forum d’art contemporain, introduite par Ana Luisa Teixeira de Hëllef um Terrain (HUT) - ©Picto

Ana Luisa Teixeira, responsable de Lëtz Refashion, a introduit les deux orateurs invités, chercheurs au Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), spécialisés dans le textile : Xavier-François Verni et Marie-Sophie Roderich.

Xavier-François Verni est ingénieur environnemental au LIST. Il a introduit les notions de responsabilité élargie des producteurs (REP), ainsi que la révision de la directive cadre sur les déchets (DCD).

Pourquoi le textile pollue autant ? Chiffres clés européens

L’industrie textile est le 4e secteur le plus impactant au niveau européen, avec, par personne et par an :

  • 19 kg de consommation de textiles et chaussures
  • 16 kg de déchets textiles
  • 9 m3 de consommation d’eau
  • 400 m2 d’utilisation de sol
  • 391 kg de matières premières
    Et seulement 8% de matières recyclées.
    Source : Agence européenne de l’environnement

3,25 milliards de tonnes de matériaux consommés par an :

  • 0.3% proviennent de ressources secondaires
  • +99% proviennent de ressources vierges
    (Source : PNGDR via la présentation de X-F V.)


« Pourquoi il y a nécessité d’aller vers un changement de l’industrie du textile ? Première information, c’est qu’il y a une problématique au niveau du recyclage du textile. Moins d’1% du textile est recyclé vraiment de fibre à fibre. Deuxième problématique, c’est qu’on voit une augmentation permanente du volume de textile mis sur le marché. Troisièmement, on a de plus en plus une crise du déchet du textile, avec une production de l’ordre de 12,6 millions de tonnes de déchets textiles par an. »

Xavier-François Verni, LIST

Responsabilité élargie du producteur textile : ce que la loi européenne va changer

Xavier-François Verni : « Comment faire pour que le changement se fasse et qu’on passe à un autre modèle en termes d’industrie textile ? On doit passer d’un modèle linéaire - donc extraire, produire, utiliser, et jeter -, à un système qui est circulaire et qui tient compte des trois piliers du développement durable, que sont l’économie, l’aspect social et l’aspect environnemental. »

Pour y parvenir, la responsabilité élargie des producteurs constitue une pièce du puzzle. En responsabilisant les producteurs (dans le sens de « metteurs sur le marché », y compris les plateformes d’achat en ligne), l’Europe leur donne la charge de financer et organiser la gestion de leurs textiles depuis la production jusqu’à la fin de vie.

Cette loi européenne sera d’application au plus tard en avril 2028

Le meilleur déchet : celui qu’on ne produit pas

Cette obligation s’inscrit dans la révision de la directive cadre sur les déchets, publiée au journal officiel le 26 septembre 2025 et transposée au Luxembourg dans la « loi modifiée du 21 mars 2012 ». Ce texte précise les définitions de déchets, de réutilisation, de réemploi, etc. (article 4).

« Lorsqu’on regarde l’industrie du textile, il faut toujours prendre en compte la hiérarchie des déchets (article 9). La première chose, c’est la prévention : éviter la production de déchets. Ensuite, agir sur la consommation par rapport à la prévention, par exemple. Vous pouvez aussi aller vers la réutilisation et le réemploi. Et, en dernier lieu, le recyclage. »

La hiérarchie des déchets - Xavier-François Verni, ingénieur environnemental au Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST)
La hiérarchie des déchets - Xavier-François Verni, ingénieur environnemental au Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST) - ©Picto

L’article 11, déjà en vigueur depuis janvier, oblige les États membres à mettre en place une collecte séparée des textiles. Une fois collecté, chaque produit textile prend le statut de déchet. Une réglementation - qui doit arriver en fin d’année – devrait clarifier dans quelles conditions ce statut peut être modifié, après tri, en vue de sa réutilisation ou de son recyclage.

Qui devra appliquer la responsabilité élargie du producteur de textile ?

a) les producteurs qui mettent des produits à disposition sur le marché ;
b) les organisations qui mettent en œuvre les obligations en matière de responsabilité élargie des producteurs pour le compte des producteurs qui mettent des produits à disposition sur le marché ;
c) les organismes publics ou privés de gestion des déchets ;
d) les autorités locales ;
e) les organismes de réemploi et de préparation en vue du réemploi ;
f) les entités de l’économie sociale, y compris les entreprises sociales locales.

(Extrait de l’aticle 22bis)


« Mon conseil, c’est de commencer le plus rapidement possible, au niveau du Luxembourg, une discussion avec l’ensemble des acteurs qui vont être concernés par la mise en place de ce régime de responsabilité élargie des producteurs. »

Xavier-François Verni, LIST

Les nouvelles obligations des marques et distributeurs de textile

  • « Mise en place d’un registre des producteurs : tout producteur devra être enregistré au niveau d’une organisation compétente.
  • Mise en place d’organisations compétentes (OC) en matière de responsabilité élargie du producteur : pour la mise en œuvre de cette responsabilité élargie.
  • Communication des OC vers les utilisateurs finaux : sur les résultats en termes de gestion des déchets, leur rôle pour favoriser une meilleure collecte, sur les possibilités de réemploi ou de réparation, les incidences en termes d’impact sur l’environnement, sur la santé humaine et sur les droits sociaux. »

Comment sont gérés les déchets textiles au Luxembourg aujourd’hui ?

Au Luxembourg, l'ASBL Aide aux enfants handicapés du Grand-Duché se charge de la collecte des vêtements et chaussures via près de 200 containers répartis dans le pays.
Au Luxembourg, l’ASBL Aide aux enfants handicapés du Grand-Duché se charge de la collecte des vêtements et chaussures via près de 200 containers répartis dans le pays. - ©AEHDL

Le texte de référence est le Plan national de gestion des déchets et des ressources (PNGDR). Il place les déchets textiles parmi les priorités du gouvernement, en raison de l’impact environnemental de cette industrie.

En 2021, 97,3% des déchets textiles collectés séparément au Luxembourg, étaient exportés. Le reste a été réutilisé localement.

Les 2.012 tonnes de déchets textiles qui ont été trouvés dans les déchets résiduels, ont majoritairement été incinérés par le SIDOR ; 204 tonnes ont été mises en décharge.

Le PNGDR mentionne également des points spécifiques sur

  • la promotion du réemploi et de la réutilisation des textiles,
  • l’identification du potentiel de valorisation des déchets de textiles avec une nécessité d’avoir une analyse approfondie des différents flux de textiles au niveau du Luxembourg,
  • la mise en place d’un régime national de responsabilité élargie des producteurs.

TRUSTex : le Luxembourg au cœur de l’innovation textile européenne

Depuis bientôt un an, le projet européen TRUSTex accompagne la transition du secteur du textile. Prévu sur une durée de 36 mois, il est financé à hauteur de 7 millions d’euros par la Commission européenne (Horizon) et par la Confédération suisse.

« Nous avons différents partenaires, dont des organisations de recherche et de technologie, des universités, des organisations non gouvernementales, des représentants de grandes industries du textile et des représentants de petites et moyennes entreprises. » Trois acteurs luxembourgeois sont impliqués dans TRUSTex : Luxembourg Media & Digital Design Centre (LMDDC), Terra Matters avec le Product Circularity Data Sheet (PCDS) et le LIST en tant que coordinateur de l’ensemble du projet.

La REP, en tant qu’outil réglementaire, peut mener le secteur du textile vers davantage de durabilité :

  • en encourageant financièrement l’éco-conception des vêtements textiles,
  • en orientant le modèle de business de l’industrie du textile vers des modèles qui soient basés vers l’utilisation prolongée des textiles,
  • en améliorant la collecte et la gestion des déchets,
  • en développant des innovations pour la réutilisation et le recyclage des textiles,
  • en réglementant pour limiter la surproduction, la surconsommation et la génération massive de déchets.


« La responsabilité élargie des producteurs (REP) n’est pas le seul outil qui existe au niveau européen, mais c’est un outil qui permet d’amener l’industrie du textile à passer vers un modèle plus circulaire et plus durable. »

Xavier-François Verni, LIST

Réduire les déchets et recycler plus : les objectifs de TRUSTex :

  • réduire la consommation des ressources, la production de déchets et l’impact environnemental,
  • soutenir la stratégie textile au niveau européen : TRUSTex émettra des recommandations qui serviront de base de discussion au niveau européen,
  • promouvoir l’équité et l’inclusion, grâce à des politiques favorisant une transition durable et équitable tout au long de la chaîne de valeur et dans la société.

Quelles actions concrètes pour atteindre ces objectifs ?

« Le projet TRUSTex va proposer et tester des stratégies pour des textiles plus circulaires et plus durables, en développant de nouvelles technologies, notamment en termes de tri, particulièrement pour les textiles composés de multimatériaux, afin de les orienter au mieux vers une réutilisation ou vers le recyclage. »

Pour faire ses recommandations, l’équipe du projet va observer et analyser les modèles de gouvernance existant dans d’autres pays, de même que les systèmes de redevances éco-modulées déjà en place, qui sont des bonus accordés aux produits textiles plus durables ou éco-conçus – qui seront plus faciles à trier, à réutiliser ou à recycler en fin d’usage. La REP permet de mettre de tels dispositifs en place, en lien avec un acte délégué sur l’éco-conception, qui précisera les critères d’octroi de ces redevances.

Enfin, TRUSTex s’adressera aux parties prenantes afin de les intégrer dans les discussions, et aux consommateurs pour les sensibiliser.

Un questionnaire (très court) circule actuellement pour identifier la perception du public sur la mise en place d’une REP. Celui-ci s’adresse à tous : personnes issues de l’industrie, des politiques publiques, du monde universitaire ou de la société civile.

À suivre : performance environnementale de l’upcycling du textile au Luxembourg

La seconde partie du lunch debate, dédiée à la performance environnementale de l’upcycling, présentée par Marie-Sophie Roderich, fera l’objet d’un second article prochainement sur infogreen.lu

Marie-Astrid Heyde

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Publié le mercredi 3 décembre 2025
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