Le Luxembourg Sustainability Forum tourné vers l'action et la transformation

Le Luxembourg Sustainability Forum tourné vers l’action et la transformation

Au Luxembourg Sustainability Forum, les débats ont confirmé un moment de bascule : entre backlash politique, lassitude croissante et défis climatiques persistants, l’heure est à la lucidité… mais surtout à l’action. Retour sur une première partie dense et inspirante, portée par des voix fortes : Clover Hogan, Mathieu Baudin et François Gemenne.

Nancy Thomas et Marie Sauvignon ont ouvert la nouvelle édition du Luxembourg Sustainability Forum en rappelant que l’événement représente « l’apothéose d’une année de travail » pour l’équipe d’IMS Luxembourg. Face à une salle comble du Grand Théâtre Studio, elles ont posé le décor : la durabilité traverse une zone de turbulences. « Ce qui semblait évident il y a encore quelques années est aujourd’hui remis en cause », a souligné le duo, évoquant un backlash alimenté par des crispations politiques, culturelles et idéologiques.

Pourtant, les faits demeurent. « Le climat est toujours plus instable, les ressources se font plus rares et les inégalités plus criantes », rappellent-elles. Impossible, dès lors, de renoncer ou de ralentir. Le thème 2025, Sustainability the only way is forward, est autant une conviction qu’un avertissement.

Les premières questions posées au public ont confirmé ce ressenti. Une large majorité perçoit l’émergence d’un rejet ou d’une lassitude envers le développement durable. Une réalité corroborée par les chiffres. « 70 % des experts en sustainability ressentent un backlash significatif en 2025 », d’après une étude GlobeCcan–ERM–Volans.

Pour élargir le regard, Christian Scharff, président d’IMS, a livré une analyse internationale par visio-conférence. En Australasie, le rythme des réformes ralentit. En Asie, la dynamique est contrastée. Aux États-Unis, les reculs sont massifs. « Pratiquement toutes les mesures environnementales adoptées sous Obama et Biden ont été retirées », a-t-il résumé, qualifiant la situation d’« extrêmement préoccupante ».

Clover Hogan : sortir du déni, affronter le pouvoir

L’activiste et fondatrice de Force of Nature, Clover Hogan, a ensuite pris la parole. À seulement 25 ans, elle s’est imposée comme l’une des voix les plus entendues de l’activisme climatique international. Et pour cause, sa lecture du moment n’a rien de complaisant.

Clover Hogan
Clover Hogan - © Picto

Elle a débuté par une anecdote saisissante. Sur scène, dans un séminaire de dirigeants, elle s’est fait huer en rappelant des faits scientifiques bien établis. « Ce n’était pas des huées de solidarité, mais un get off the stage », raconte-t-elle. Un moment de bascule qui symbolise selon elle « la montée d’un rejet frontal, parfois agressif, face aux vérités climatiques ».

Elle a rappelé ensuite le contraste saisissant avec la dynamique post-Paris 2015, lorsque « le climat était devenu cool » et que gouvernements, entreprises et militants avançaient dans la même direction. « Aujourd’hui, les prédictions des scientifiques rythment notre quotidien : incendies visibles depuis l’espace, inondations historiques, sécheresses répétées… et pourtant la question climatique dégringole dans les priorités des électeurs. »

Pour Clover Hogan, le nœud du problème n’est pas technologique, mais politique. « La crise climatique est une crise de pouvoir. » Elle a dénoncé la concentration extrême de richesse et d’influence, les lobbies actifs pour freiner la régulation, les médias captés, et un discours dominant qui détourne l’attention vers de faux coupables. Les solutions creuses – capture carbone, offsets douteux, engagements flous – ont aussi joué un rôle dans la perte de confiance.

Face à cette dérive, elle a appelé à réhabiliter le collectif. « Nous n’avons pas besoin de cent activistes parfaits, mais de millions d’activistes imparfaits. » Elle se réjouit de signaux positifs : actions en justice gagnées par des citoyens, assemblées délibératives courageuses, entreprises pionnières donnant une voix à la nature ou repensant leurs chaînes de valeur. « Ce n’est pas trop tard pour changer de cap, mais il faut être honnête sur le chemin à parcourir. »

Mathieu Baudin : décoloniser l’imaginaire pour ouvrir les futurs

Historien et prospectiviste, directeur de l’Institut des Futurs Souhaitables, Mathieu Baudin a offert un détour puissant par l’anthropologie, la philosophie et la narration. Avec son style singulier, mêlant humour, métaphores et érudition, il a invité à regarder notre époque comme une saison charnière : « Winter is coming, pour sûr… mais l’automne prépare toujours le printemps. »

Il a évoqué un changement profond, à savoir notre rapport au futur. « Depuis des décennies, on s’est mis dans la tête que demain serait nécessairement pire qu’aujourd’hui. Ça n’a pas toujours été le cas. » Au tournant du 20ᵉ siècle, les Expos universelles célébraient un avenir radieux. Aujourd’hui, nos imaginaires sont saturés de dystopies, de dangers.

Mathieu Baudin
Mathieu Baudin - © Picto

Pour lui, une renaissance est pourtant possible. « Nous sommes peut-être dans une nouvelle métamorphose. » C’est là qu’intervient sa notion clé : les cellules imaginales, inspirées du vivant. « Dans une chrysalide, ce sont elles qui préfigurent le papillon. Elles représentent les idées nouvelles, les aspirations, les initiatives qui annoncent la suite. »

Ce regard inspiré puise dans l’histoire : la fin de l’esclavage, les ruptures technologiques, les grandes transitions économiques. « Nous avons déjà changé de modèle de développement. Cela a été long, douloureux, mais possible. » Il a souligné que la métamorphose actuelle nécessite un nouvel horizon, partagé et désirable. « Le problème n’est pas le manque de solutions. On en a des milliers. Le problème, c’est l’horizon. »

Mathieu Baudin plaide pour un changement de récit, loin du catastrophisme paralysant. « La fin d’un monde n’est pas la fin du monde. » Il en a profité pour inviter chacun, chacune, à assumer sa part. « Nous sommes celles et ceux que nous attendions. »

François Gemenne : lucidité, volontarisme et récit positif

Pour clôturer la première partie du Luxembourg Sustainability Forum, l’interview de François Gemenne, menée par Marie Sauvignon, a marqué beaucoup d’esprits et amené son lot de questions. Le chercheur belge, auteur principal du 6ᵉ rapport du GIEC et figure centrale des débats climatiques, a énoncé un message très important : « Nous avons déjà toutes les connaissances, toutes les technologies et toutes les ressources financières nécessaires pour respecter l’Accord de Paris. »

Le challenge est donc un défi de volonté. « La trajectoire actuelle nous mène vers +3,1 degré en moyenne mondiale, encore davantage en Europe. Même si tous les engagements internationaux étaient respectés, nous plafonnerions autour de +2,5 degrés. Le fossé entre ambitions collectives et actions nationales est immense. »

De retour de la COP30 de Belém, il s’est montré plutôt sévère. « Le bilan est nul. Les COP atteignent leurs limites, faute d’appétence pour un nouveau droit international et en raison du refus des pays émergents de se voir imposer des contraintes. » Selon l’expert, elles envoient de mauvais signaux et peinent à assumer leur rôle économique. Il voit deux issues. « Soit on assume pleinement que les COP deviennent des salons internationaux de l’écologie, soit on avance par coalitions volontaires. »

Sur le backlash évoqué tout au long de cet après-midi, François Gemenne a distingué deux mondes : un rejet massif dans la sphère politique, mais largement surestimé dans l’opinion et dans les entreprises. Le problème actuel selon lui ? Le green hushing. « Les entreprises n’osent plus dire ce qu’elles font pour le climat, de peur d’être attaquées. » Une posture dangereuse selon lui. « Cela crée l’impression que personne n’agit. Et sans dynamique collective, la transition s’enlise. »

Il dénonce aussi l’asymétrie des récits. Une minorité bruyante parvient à imposer un sentiment de doute. « C’est la spirale du silence. Ceux qui soutiennent la transition pensent être devenus minoritaires et se taisent. » Une dynamique aux effets très concrets, jusqu’aux urnes.

Marie Sauvignon et François Gemenne
Marie Sauvignon et François Gemenne - © Picto

François Gemenne a reconnu les erreurs du camp pro-environnement : trop de discours sur les risques de l’inaction, pas assez sur les bénéfices de l’action. « Il faut montrer en quoi la transition peut améliorer notre quotidien, notre économie, notre santé, nos emplois. »

Pour lui, le leadership durable repose avant tout sur la confiance. « Donner confiance en soi, mais surtout donner confiance dans la vie. » Or, nos sociétés ont perdu la capacité à imaginer un futur meilleur. « Si nous n’arrivons plus à nous projeter positivement, nous nous réfugions dans un passé fantasmé. » D’où l’importance de redonner un sens au progrès, à l’entreprise, au travail.

Il a aussi appelé à revoir nos indicateurs : « pour mesurer le mieux, pas seulement le plus. » La CSRD (rapport de durabilité des entreprises), malgré ses défauts, va dans ce sens. « Juger les entreprises non seulement sur leurs résultats financiers, mais aussi sur leur impact social et environnemental. »

Enfin, il a mis en garde contre la désinformation, « la menace la plus grave », qui fragilise le socle commun nécessaire au débat démocratique. « Si nous n’avons plus la même compréhension du réel, nous ne pourrons pas avancer. »

Les retours sur les deux autres parties de ce forum seront à lire prochainement sur infogreen.lu.

Sébastien Yernaux
Photos : Picto
Vidéo : IMS Luxembourg

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Publié le jeudi 27 novembre 2025
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