
« L’industrie doit faire mieux, avec moins »
Jeudi 16 octobre 2025, la commune de Wiltz, le Circular Innovation Hub et In4green ont réuni cinq experts du secteur de l’industrie pour une conférence autour du thème de l’économie circulaire.
Épisode 4 de la saison 3 des rendez-vous dédiés à l’économie circulaire organisés par la commune de Wiltz, le Circular Innovation Hub et In4green. Au programme : une table ronde avec un panel de professionnels de l’industrie venus partager leur expérience concrète de l’économie circulaire au sein des entreprises qu’ils représentent.
Ariane Bouvy, gestionnaire du Circular Innovation Hub de la commune de Wiltz, ainsi que Frédéric Liégeois, fondateur du réseau In4green et du média Infogreen, ont introduit l’événement en affirmant que « le Luxembourg peut devenir un vrai laboratoire de l’économie circulaire. »
Pour le démontrer, les cinq experts présents ont dressé un état des lieux de leur engagement sur le sujet, présenté un projet concret, puis ont parlé des perspectives et évolutions possibles en matière de circularité.
La question des déchets électriques et électroniques
Depuis 2004, Ecotrel gère la collecte et le traitement des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) dans son centre de ressources. Andy Maxant, CEO, explique qu’il n’y a malheureusement pas d’usine de recyclage au Luxembourg car le volume de déchets à traiter est trop petit pour justifier un investissement dans une telle structure.
Pour rester dans une logique circulaire, les DEEE « sont exportés dans les pays frontaliers », explique-t-il. « Par exemple, les frigos vont en Allemagne à 20 km de la frontière, et les lampes dans le nord de la France. » En 2015, Ecotrel pousse la réflexion, car « transporter un appareil entier, c’est transporter de l’air. Nous avons donc introduit le démontage manuel dans notre centre, pour densifier la matière transportée et séparer les différents matériaux. » Le but de l’association est aussi de limiter les DEEE car, recycler c’est bien, réutiliser c’est mieux. En 2018, elle lance le projet pilote Social ReUse en proposant aux citoyens des espaces où déposer leurs appareils électriques et électroniques en état de fonctionnement pour que des prestataires les remettent sur le marché. En 2024, le taux de réemploi de appareils collectés était de 84%.
« Nous devons nous demander si nous avons vraiment besoin de changer de téléphone tous les deux ans. »
Andy Maxant, CEO d’Ecotrel
Durant toutes ces années, Ecotrel a dû faire face à un défi majeur : l’évolution rapide des nouvelles technologies et des objets connectés. « Nous sommes passés des écrans cathodiques aux écrans plats, des ampoules à incandescences et fluorescentes aux LED », se souvient Andy Maxant. L’asbl a aussi alloué plus de budget pour ses campagnes de communication afin de sensibiliser plus fortement le public. Des thématiques spécifiques sont mises en avant chaque année : en 2024 il s’agissait de la réutilisation et en 2025 de la pratique du hoarding.
La circularité chez un géant luxembourgeois de l’industrie
En 2020, Ceratizit a calculé son empreinte carbone pour la première fois. Verdict, le fabricant luxembourgeois de pièces en carbure de tungstène émet 300.000 tonnes de CO₂ par an. Philippe Strebler, Head of Sustainability, annonce avoir atteint un premier objectif en 2025 : réduire ces émissions de 35%. « Nous avions décidé de nous placer en leader sur le sujet de la décarbonation », précise-t-il. « Cela demande beaucoup d’efforts, mais nous voulons tirer notre industrie vers plus de transparence. Nous mettons maintenant le cap sur 2030. »
Pour réduire ses émissions, l’entreprise a travaillé sur le recyclage : « Aujourd’hui notre taux de circularité va au-delà des 95%. » Le tungstène étant une matière première critique, le réutiliser est une façon de sécuriser la chaîne d’approvisionnement. « Nous voulons aussi savoir à qui nous achetons les pièces usées que nous allons recycler et quel a été leur usage, c’est une façon de mieux les trier, de mieux valoriser et d’obtenir un produit recyclé de meilleure qualité. »
« Souvent dans une entreprise, la personne qui gère l’achat des produits et celle qui gère la fin de vie de ces mêmes produits ne communiquent pas, c’est un frein pour l’économie circulaire. »
Philippe Strebler, Head of Sustainability, Ceratizit
À l’avenir, Ceratizit veut proposer une circularité intégrée à ses produits, par exemple en proposant ses produits à un prix très compétitif si le client s’engage à lui renvoyer un nombre déterminé de pièces usagées au bout d’un certain délai. « Nous voulons aller plus loin que la simple relation client-fournisseur, c’est ce qui nous distingue sur le marché. » Le fabricant va également poursuivre sa transition énergétique, tout en soutenant celle opérée à l’échelle nationale, puisqu’il consommera 50% de l’hydrogène qui sera produit par la future Luxembourg Hydrogen Valley.
Réemploi : une des clés pour la construction
Pour Patrick De Cartier d’Yves, Senior Project Engineer chez Seco Luxembourg, il faut remettre la question des ressources au centre du débat. À titre d’exemple, il explique que « le boom de la construction en bois ne pose pas de problème à l’échelle du Luxembourg, mais si le monde entier s’y met, nous allons vite avoir un problème. »
« Le secteur public doit montrer l’exemple et participer à la formation les entreprises aux techniques de réemploi dans la construction. »
Patrick De Cartier d’Yves, Senior Project Engineer, Seco Luxembourg
L’une des solutions se trouve dans la déconstruction et le réemploi, des principes mis en œuvre par Seco dans la déconstruction d’un bâtiment public près de la gare à Luxembourg-ville, dont les matériaux serviront pour construire un nouveau bâtiment. « Nous avons étudié la faisabilité technique, réglementaire, économique et environnemental du projet. L’objectif est que 80% de la structure métallique et plus de 50% de la dalle béton soient réemployées. »
C’est ce type de projet qui « permet d’acquérir des connaissances au niveau local », selon Patrick De Cartier d’Yves. « Aujourd’hui nous expérimentons, mais demain le réemploi sera imposé par l’Union européenne. Le Luxembourg dispose aussi d’une marge de manœuvre pour promouvoir l’économie circulaire à l’échelle nationale. »
Collaborer pour circulariser
Avec Solredo, Francis Schwall veut favoriser le dialogue entre toutes les parties prenantes des projets de construction, sans laquelle la circularité ne trouvera pas sa place. « Chaque entreprise a des compétences et des moyens différents, ils faut se mettre autour d’une table pour trouver une façon de concevoir des bâtiments circulaires, ensemble », déclare l’expert en DfMA (conception pour la fabrication et l’assemblage). Selon lui, la ventilation naturelle contrôlée et la construction modulaire sont deux piliers pour atteindre cet objectif.
Dans un projet de bâtiment administratif qu’il cite en exemple, la collaboration entre architectes, bureau d’études, client et artisans a permis de trouver un équilibre entre bois et béton et « au final, celui-ci est déconstructible à 80%. »
« Les constructions modulaires sont moins chères que les constructions classiques. Et si elles ne sont pas moins chères, elles sont plus rapides. »
Francis Schwall, fondateur de Solredo
Il avance aussi que la construction modulaire (ou hors-site) offre de meilleures conditions de travail aux ouvriers, « ce qui est très important aujourd’hui, car nous avons un vrai problème de main d’œuvre ».
Des synergies bénéfiques aux PME
Avec son rôle de facilitateur, Bruno Domange a pour objectif d’optimiser la gestion des Zones d’activités économiques (ZAE) pour le canton de Rédange (De Réidener Kanton) et le Syndicat Intercommunal ZARW.
Pour intégrer plus d’économie circulaire dans ces zones, il crée des synergies. « Au niveau des ressources, le sous-produit d’une entreprise peut être la matière première de l’autre, certaines infrastructures peuvent être partagées, tout comme les projets de formation. C’est aussi une façon d’améliorer la qualité de vie dans les ZAE, la mise en commun permet une meilleure qualité des services. C’est encore un moyen de rendre les PME qui y sont installées plus compétitives car elles font des économies. »
« Un tissu économique plus résilient et mieux structuré permet de mieux répondre aux attentes des communes et de leurs habitants. Ce n’est pas utopique, c’est faisable. »
Bruno Domange, Kümmerer / Facilitator for Circular Economy integration, canton de Rédange et Syndicat Intercommunal ZARW
Pour résumer sa mission, le Kümmerer explique qu’il doit « informer, former, accompagner, solutionner et faciliter, dans toutes les étapes du projet de ZAE, de la conception à la phase opérationnelle. » Pour lui, il est important de poursuivre la sensibilisation des acteurs de l’économie luxembourgeoise et d’accélérer leur montée en compétences en matière d’économie circulaire.
Pour clôturer la table ronde, Ariane Bouvy a souligné qu’une maturation de l’industrie est nécessaire pour que l’économie circulaire devienne la norme dans le secteur. Elle a enfin demandé aux cinq experts ce qu’ils voudraient voir se concrétiser en la matière dans le futur. Unanimes, ils souhaitent avant tout une prise en conscience globale, de la part des citoyens et des entreprises, quant à l’importance de la circularité.
La commune de Wiltz, le Circular Innovation Hub et In4green vous donnent rendez-vous en 2026 pour une nouvelle série de quatre événements autour de l’économie circulaire !
Léna Fernandes
Photos : © Picto Communication / Eve Millet