Défis socio-économiques et territoriaux

Défis socio-économiques et territoriaux

Pascale Junker, experte Environnement et Climat (qui achève une mission de conseillère auprès du ministère luxembourgeois de l’Energie et de l’Aménagement du territoire), a livré une importante – et décapante – contribution, à titre personnel, à la Fondation IDEA. L’experte y pose quelques questions fondamentales.

Experte en environnement et climat, Pascale Junker, a livré une contribution, à titre personnel, à la Fondation IDEA qui a compilé un recueil disponible sur son site.

Nous vous invitons vivement à lire l’intégralité de ce texte dont le côté parfois décapant donne un recul d’analyse pertinente et sans complaisance sur la société luxembourgeoise. (PDF attaché ici)

Pascale Junker : « Le confinement imposé par la pandémie a résulté en plusieurs grandes disruptions sous forme de restrictions de mouvements et d’isolation au foyer, de travail à distance et digitalisé, de réveil face à notre vulnérabilité en termes d’approvisionnement élémentaire, d’amélioration de la qualité environnementale suite au ralentissement de l’économie et des transports. Dans ce contexte d’incertitude, quelques questions fondamentales s’imposent à nous :

  • Faut-il réorienter fondamentalement les investissements afin d’être mieux préparé à la prochaine pandémie ou est-ce qu’on considère qu’il s’agissait d’une exception conjoncturelle et qu’il faut continuer comme avant ?
  • Faut-il miser sur un retour à la croissance, dans un monde à énergie contrainte à la baisse et au renchérissement et à ressources finies ?
  • Est-ce que la crise nous a appris à nous satisfaire de moins ou est-ce que le business as usual reviendra au galop, en démarrant avec un beau rebound effect d’hyperconsommation compulsive après les privations ?
  • Qui finalement anticipe et gère mieux les crises, le marché, le laissez faire ou le plan ?

La contribution tente ainsi « d’appréhender les répercussions territoriales et sociétales de la crise. L’aménageur va chercher en quoi elle peut être instructive en termes de « fairness » spatiale et cohésion sociale, de gains de places, de superposition de fonctions, de réduction de l’empreinte écologique et matérielle ou d’amélioration de la résilience territoriale ».

Dans ses conclusions, Pascale Junker avance des pistes intéressantes.

« Le confinement a mis le pays en conditions de laboratoire. Il offre une opportunité inédite pour étudier et comprendre les mécanismes d’adaptation de la population et de l’économie. Il faut sans tarder, en tout cas avant la fin du déconfinement total, en profiter pour mesurer, attribuer et élucider les relations causes à effets et coûts-bénéfices : évolution des déplacements et distances, comportement commercial et digital pendant et après le confinement, impacts différenciés sur les entreprises et les ménages, évolution de la qualité de l’eau, du sol, de l’air et de la capacité des écosystèmes à séquestrer le carbone, identification des facteurs ayant le plus contribué à la résilience des entreprises, à la maîtrise de l’endettement, à la baisse des émissions, …

L’aménagement du territoire, qui n’est toujours qu’un reflet de nos valeurs et de nos priorités, peut tirer d’importantes leçons de la crise sanitaire :

  • Incorporer les enseignements spatiaux de la crise en termes de cartographie et prévention des risques (technologiques, sanitaires, naturels, climatiques, …) et d’instauration de la résilience territoriale dans les programmes, stratégies et instruments de l’aménagement du territoire, tout en reconnaissant que le risque zéro n’est pas de ce monde, qu’il nous faut réapprendre à vivre avec l’incertitude.
  • Planifier pour assurer la continuité du fonctionnement de l’Etat, de la société et de l’économie, et pour pouvoir mobiliser des réserves pour la récupération post-crise, à des échelles locale, nationale et transnationale : réévaluer la désignation et le périmètre des infrastructures critiques nationales et européennes et des activités essentielles à la lumière des crises. Assurer leur résilience face à la disparition progressive des énergies fossiles, leur résistance face aux extrêmes météorologiques et aux catastrophes. Relocaliser les productions industrielles stratégiques selon une division du travail et un modèle de redondances grand-régional, voire européen. Dupliquer les éléments vitaux des chaînes logistiques. Dédoubler les composants essentiels des systèmes et réseaux, répartir leurs charges et localisations, assurer leurs redondances physiques, géographiques et numériques, affecter de l’espace au stockage et à la rotation de stockage (matériel médical, masques, médicaments, nourritures, eau, semences, groupes électrogènes et combustible, …).
  • Planifier la mise en place des circuits courts, de la vente directe, de filières locales, de l’approvisionnement de proximité, de buffers locaux. Renforcer les logistiques locales, interurbaines et inter-communales.
  • Intégrer une composante sanitaire dans la planification des transports de masse et renforcer la coopération sanitaire transfrontalière
  • Veiller à une densification urbaine « éclairée » et « saine » (augmentation de l’offre en logements abordables, économies d’échelle, préservation de terre vierge, amélioration de l’approvisionnement et des services des résidents dans des « 20`neighbourhoods », diminution de la dépendance à la voiture, réduction des émissions, villes plus plurielles et résilientes, …)

La crise sanitaire a montré que nous savons mettre l’intérêt général au-dessus de l’intérêt individuel, qu’un plan fédérateur et une direction commune sont nécessaires pour faire face et que nous sommes mieux lotis en jouant la solidarité et l’entraide que le chacun pour soi. Mieux vaut être préparé et mieux vaut adopter des mesures sans regrets, indépendamment du fait de la récurrence ou non de pandémies.

La maladie Covid19 a mis nos capacités d’adaptation à l’épreuve. C’est dans la durée que l’on pourra juger de son degré d’incision véritable dans nos modes de fonctionnement et de comportement. Trop de temps a été perdu à vouloir verdir la croissance dans un monde en contraction. La crise sanitaire nous a montré la rapidité et la radicalité dont nous sommes capables en cas de menace et ce dans l’intérêt général. Il faut garder et nourrir cet état d’esprit pour poser les jalons pour l’avenir résilient face aux prochaines crises et risques territoriaux. L’avenir n’a plus de place pour la primauté et l’exclusivité de l’intérêt individuel, puisqu’il en va de sauver des biens communs que sont la santé, les connaissances, la stabilité climatique, le sol, l’espace ... pour les générations présentes et futures.

L’étalement urbain et la continuation du recours massif aux véhicules privés carbonés ne font que renforcer notre vulnérabilité sur d’autres plans. Ce que l’on (croit) gagner en sécurité sanitaire, on risque de le perdre en sécurité climatique et physique.

Notre rapport avec la nature est à revoir. Elle nous a montré sa redoutable force destructrice, mais aussi son incroyable force régénératrice : six semaines de ralentissement des activités humaines ont suffi pour rétablir le calme, l’air pur, le ciel limpide et pour voir revenir des oiseaux chanteurs, des poissons… »

Photo (DPA/Luxtram) : L’experte s’intéresse notamment au rôle des transports en commun et à la relation que peuvent y avoir les usagers
Article tiré du dossier du mois Aux actes citoyens !

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Publié le jeudi 20 août 2020
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