Une question d'ouverture d'esprit et de planification

Une question d’ouverture d’esprit et de planification

Interview d’Édouard François, architecte, et Matthieu Leyder, Project Director The Nest chez Eaglestone.

Conçu par la Maison Edouard François, agence d’architecture pionnière de l’immobilier vert, et piloté par le promoteur Eaglestone Luxembourg, le projet The Nest verra bientôt le jour à la Cloche d’Or. En plus de mettre l’accent sur la biodiversité, le concepteur et le maître d’ouvrage ont une réflexion profonde sur la manière d’intégrer la notion d’éco circularité dans ce bâtiment de bureaux.

Monsieur François, comment avez-vous traité la thématique de l’économie circulaire dans le projet The Nest ?

Édouard François : C’est une boule à facettes dont toutes les facettes sont interconnectées et qu’il faut faire jouer toutes ensemble pour faire sens. Ce qui rend le travail du concepteur intéressant.

En ce qui concerne le réemploi et le recyclage des matériaux, nous avons, dès l’origine, imaginé des façades à base de gabions. Ceci était lié à une volonté forte de la part d’Eaglestone de construire un bâtiment qui s’intéresse à la biodiversité. Et la biodiversité aime la porosité et l’humidité, tout l’inverse d’une façade en verre lisse, nettoyée en permanence et sans vie. Dans ces gabions, nous pourrons introduire divers éléments de réemploi - brique, béton, pierre, céramique… - pour obtenir un résultat coloré, très intéressant au niveau de l’aspect, et que l’on ne pourrait absolument pas obtenir avec des matériaux industriels. Un certain nombre d’éléments non visibles comme des faux-planchers et d’autres visibles comme des parquets pourront également provenir de la démolition. Il faut se laisser l’ouverture d’esprit nécessaire pour pouvoir, le moment venu, saisir l’opportunité de récupérer des éléments qui se présentent. Cela demande de l’agilité parce qu’on ne peut pas passer commande comme dans l’industrie.

Matthieu Leyder : Il faut faire la différence entre réemploi et recyclage. Le verre recyclé, par exemple, est produit à partir de verre broyé et ensuite refondu. Cela passe donc par un processus qui consomme de l’énergie tandis que si l’on réemploie tel quel un élément en verre dans un autre projet, on élimine cette production d’énergie. Le recyclage c’est déjà très bien, mais le réemploi, c’est encore mieux car il permet de réduire les émissions de CO2.

Pour les façades en gabions de The Nest, on est entre réemploi et recyclage. Nous allons travailler avec des démolisseurs et cibler des matériaux issus de bâtiments proches du chantier pour limiter les transports, et ces matériaux seront concassés et recalibrés.

On sait aussi que le meilleur réemploi possible est le réemploi contextuel. Or, notre projet se situe sur un parking, ce qui limite fortement les possibilités de réemploi de matériaux directement in situ. Nous avons étudié l’hypothèse de couper l’asphalte en bandelettes pour remplir les cages de gabions, mais malheureusement on se heurte à des difficultés dûes aux composés de ce matériau, inflammable et polluant. Pas toujours évident, donc, de mettre en pratique le réemploi in situ malheureusement.

Au-delà de la construction elle-même, avez-vous appliqué les principes de l’éco circularité au mobilier ?

EF : Nous pourrions aussi utiliser du mobilier qui a une histoire et qui participera ainsi à l’épaisseur, à la profondeur, au gras du bâtiment, notions qui se sont complètement perdues dans une industrie du bâtiment que l’on pourrait qualifier d’anorexique tant elle utilise des matériaux pelliculaires, sans histoire, peu gourmands. Il est important de « twister » ces éléments, de les détourner, pour que le regard se reporte sur ces matériaux et devienne un sourire. Nous avons, Eaglestone et moi, cette envie, tout en restant bien sûr dans ce que des bureaux sont capables d’accepter pour garantir leur fonctionnalité et leur qualité. Il ne s’agit pas de faire un réquisitoire militant, mais je pense que nous irons assez loin.

ML : Nous récupérerons aussi des appareils techniques et des appareils sanitaires en bon état éventuellement aussi. Nous les sélectionnons en fonction des espaces où ils pourraient être installés dans le futur immeuble, notamment en nous assurant qu’ils respecteront les besoins techniques et de performances pour pouvoir gérer la consommation énergétique. Mais il faut, pour cela, que les mentalités évoluent.

La transition vers des modèles circulaires, c’est une question de mentalités ?

ML : L’état d’esprit doit évoluer chez tous les acteurs de la construction : fournisseurs, entreprises, promoteurs, futurs occupants et assureurs. Chez les fournisseurs et entreprises, parce que cela demande un travail supplémentaire en termes de recherche, de stockage, de manutention et de traitement. Il faut également que les futurs occupants acceptent que le mobilier soit issu du réemploi, ou que les carrelages soient différents dans les sanitaires des 1er et 2e étages, par exemple. Il est difficile de trouver 500 m2 de carrelage identique, il faut donc fonctionner par plus petits lots et planifier en conséquence. Enfin, les assureurs doivent jouer le jeu pour éviter que la chaîne soit rompue. Il est par exemple très rare, dans le réemploi, de trouver des produits assortis de leur fiche technique. On peut cependant tester certains produits d’un lot pour s’assurer qu’ils sont en bon état, et qu’ils ont les caractéristiques requises pour bénéficier des garanties traditionnelles.

Qu’est-ce que la construction éco circulaire change en matière de planification ?

ML : La planification doit se faire beaucoup plus en amont. Pour The Nest, nous établirons un listing de tous les matériaux qui pourraient être issus du réemploi, puis il faudra trouver des filiales d’approvisionnement. Ce travail peut prendre des mois, voire des années. Il faut cibler les bâtiments qui vont être démolis à l’avance, pour introduire dans le nouveau projet des éléments des mêmes dimensions que ceux qui peuvent être récupérés. Et cela nous oblige également à redéfinir nos plannings et flux financiers, pour être en mesure d’acheter, si cela s’avérait nécessaire, certains stocks de matériaux issus d’une filière de réemploi (très) à l’avance.

Qu’en est-il du coût des matériaux de réemploi ou recyclés ?

EF : Il faut s’enlever de l’esprit que jouer avec ce type de matériaux est bon marché. C’est très cher, mais on pollue infiniment moins et ça donne du plaisir.

ML : Le but du réemploi dans le bâtiment n’est pas d’aboutir à une moins-value économique. On tourne en réalité dans les mêmes prix que le neuf en raison des coûts de stockage et de remise en état. Plus un matériau va être stocké longtemps, plus son prix de fourniture va augmenter et la balance financière peut devenir dès lors irréalisable.

Mélanie Trélat
Extrait du NEOMAG#57
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Publié le mardi 26 septembre 2023
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