Une petite douzaine de biais liés au marché immobilier résidentiel

Une petite douzaine de biais liés au marché immobilier résidentiel

Avec des taux de croissance annualisés des prix immobiliers résidentiels luxembourgeois qui ont plus que doublé depuis le deuxième trimestre de 2019[1], sans pour autant que les fondamentaux ne changent et ne puissent réellement justifier de telles évolutions, il peut être utile de rappeler les biais cognitifs dont les primo-accédants et investisseurs peuvent parfois être victimes lorsqu’ils achètent un bien immobilier. D’autant qu’une partie de l’épargne forcée, constituée par les ménages les plus aisés lors de la crise du COVID-19, pourrait bel et bien précipiter un afflux supplémentaire de liquidité dans la pierre.

Les particularités de l’immobilier résidentiel sont telles que ce marché comporte toute une série de biais cognitifs. Non seulement celui-ci est illiquide, mais il inclut aussi des coûts de transaction élevés, une non-transparence des informations, une importante hétérogénéité des biens et une impossibilité pour les participants d’échanger sur un marché des parts de ces actifs et de les vendre à découvert[2]. Les prix immobiliers résidentiels ont ainsi une tendance à dévier plus facilement de leurs fondamentaux, du moins à court et moyen terme. Par ailleurs, ce marché comporte également un grand nombre de participants non-professionnels qui sont conduits par des motivations qui peuvent être d’ordre financières, personnelles ou encore émotionnelles[3].

Le biais de confiance excessive

La majorité des participants au marché immobilier résidentiel sont novices et inexpérimentés. Ils sont ainsi plus enclins à prendre des décisions imprudentes, en associant prématurément les succès aux compétences et les échecs à la malchance[4]. Une étude a montré qu’ils sont parfois même plus confiants que les investisseurs institutionnels, ce qui semble suggérer une relation inverse entre la confiance et l’expérience[5]. Les individus inexpérimentés qui ont dégagé une plus-value latente ou réalisée sont plus susceptibles de jouir d’une confiance excessive et de surpayer l’acquisition d’un autre bien.

Le biais de conservatisme

À la différence des marchés financiers où les prix s’ajustent rapidement avec l’arrivée quotidienne de nouvelles informations, les prix immobiliers changent quant à eux plus lentement et de façon graduelle avec les nouvelles données économiques. Le biais de conservatisme incite les individus à sous-estimer les informations et à être plus lent pour changer leurs croyances dans les prix des biens immobiliers.

Le biais de la comptabilité mentale

Les investisseurs et particuliers ont tendance à considérer leurs actifs séparément plutôt que conjointement et ne perçoivent pas les interactions entre les différentes classes d’actifs[6]. La comptabilité mentale peut conduire à des portefeuilles fortement biaisés localement. Les salaires et l’immobilier peuvent en effet dépendre de mêmes facteurs locaux. La comptabilité mentale peut aussi modifier les décisions d’investissement sur l’opportunité de vendre ou d’acheter un actif inclus dans leur portefeuille, quelle que soit la performance attendue de l’un ou de tous les autres actifs. Ce biais est particulièrement répandu en matière d’immobilier car il représente souvent une part importante de la richesse et beaucoup attachent une valeur subjective et sentimentale à cette partie du patrimoine.

Le biais de familiarité

Alors que les marchés financiers permettent aux participants de jouir d’informations transparentes et disponibles publiquement, le marché immobilier est quant à lui caractérisé par une certaine opacité. Les barrières à l’information favorisent les participants locaux au détriment des étrangers. Cette asymétrie d’information aboutit à ce que les acquéreurs concentrent leurs achats dans le voisinage, ce qui accentue d’autant plus le biais de familiarité[7] et les problématiques liées à la non-diversification.

Les biais de faux points de référence, d’illusion monétaire et d’ancrage

Les vendeurs d’un bien immobilier ont tendance à fixer un prix basé sur un faux point de référence, comme par exemple le prix d’achat ou encore le prix récent de vente d’un bien jugé semblable dans le voisinage. Cela est d’autant plus erroné que la plupart du temps les vendeurs raisonnent en prix nominaux et non ajustés de l’inflation[8]. Ils sont ainsi victimes de l’illusion monétaire et ce d’autant plus en période de grande inflation. Le biais d’ancrage désigne quant à lui la difficulté que les agents économiques ont à se détacher de la première impression ou du premier prix annoncé. Ce biais joue un rôle non des moindres dans la volonté des acheteurs de payer un supplément pour un bien immobilier[9].

Le biais de cadrage

S’il est parfois tentant de reformuler une question pour faciliter la résolution d’un problème, cette approche de pensée systémique peut toutefois largement influencer la réponse qui est apportée[10]. Pour le marché immobilier, les erreurs de ce type sont commises lorsque les biens immobiliers sont catégorisés par les types d’habitation ou comparés avec d’autres villes ou quartiers pour faciliter les valorisations. Cela reviendrait à dire que tous les biens sont homogènes et que les profils de risque et de rendement sont les mêmes. Par exemple, le prix d’un immeuble n’évoluera peut être pas de la même façon que l’évolution des prix de l’immobilier de la ville dans lequel le bien se situe.

Le biais de l’aversion à la perte

Les individus éprouvent plus d’importance à une perte qu’à un gain. Le mal-être provenant d’une perte est deux fois plus important que le plaisir issu d’un gain pour un même montant[11]. Pour cette raison, un vendeur faisant face à une perte imminente est plus susceptible d’exiger un prix minimum de vente supérieur par rapport à un autre vendeur qui lui ne ferait pas de perte. Une étude a par ailleurs montré que les propriétaires sont encore plus victimes de ce biais que les investisseurs[12].

Le biais de l’aversion à la dépossession

La décision d’acheter ou de louer un bien devrait être basée sur une analyse financière des flux de trésorerie, en comparant la valeur actualisée du paiement des loyers futurs avec celle de tous les coûts associés à l’achat d’un bien similaire. Toutefois, un achat peut être motivé pour des raisons personnelles, émotionnelles ou financières. Beaucoup de particuliers considèrent l’accession à la propriété comme une amélioration de la richesse, un moyen d’améliorer son statut social ou de « protection pour les vieux jours ». Néanmoins, peu d’entre eux prennent en compte les avantages monétaires de la location[13].

Le biais de conformité

Dans des conditions d’incertitude, de complexité, d’informations incomplètes et d’opportunisme, certains agents pensent qu’il est préférable de suivre la décision d’autres acteurs du marché, pensant qu’ils bénéficient eux même de meilleures informations. Il s’agit du principe de la cascade informationnelle[14]. Enfin, il a aussi été démontré à plusieurs reprises que le comportement moutonnier serait une des caractéristiques du comportement humain[15].

En définitive, le marché immobilier ne sera jamais efficient. A vrai dire, il affiche plutôt des niveaux élevés de prévisibilité des prix d’un trimestre à un autre. Toutefois, les biais cognitifs sont souvent présents dans les bulles des actifs et le sont d’autant plus lorsqu’une « épidémie sociale » s’installe, et ce lorsque le logement est considéré comme une opportunité d’investissement en raison des attentes extravagantes dans l’avenir, elles-mêmes alimentées par des progressions irrésistibles des prix[16].

[1]Voir OCDE (2021) : Analytical house prices indicators

[2] La vente à découvert consiste à vendre un titre que l’on ne détient pas mais dont on suppose qu’il va baisser, afin de réaliser une plus-value. Cette pratique peut participer à faire chuter un cours, à cause du volume de vente.

[3]Beracha & Skiba (2014) : Real Estate Investment Decision-Making in Behavioral Financial, Wiley

[4]Gervais & Odean (2001) : Learning to Be Overconfident, The Review of Financial Studies

[5]Bloomfield, Libby & Nelson (1999) : Confidence and the welfare of less-informed investors, Accounting Organizations and Society

[6]Thaler (1999) : Mental Accounting Matters, Journal of Behavioral Decision Making

[7]Garmaise & Moskowitz (2004) : Confronting Information Asymmetries : Evidence from Real Estate Markets, Review of Financial Studies

[8]Stephens & Tyran (2012) : At least I didn’t lose money, Discussion Papers, University of Copenhagen

[9]Lambson, McQueen & Slade (2004) : Do Out-of-State Buyers Pay More for Real Estate ? An Examination of Anchoring-Induced Bias and Search Costs, Real Estate Economics

[10]Kahneman & Tversky (1981) : The Framing of Decisions and the Psychology of Choice, Science

[11]Kahneman & Tversky (1979) : Prospect Theory : An Analysis of Decision under Risk, Econometrica

[12]Genesove & Mayer (2001) : Loss Aversion and Seller Behavior : Evidence from the Housing Market, The Quarterly Journal of Economics

[13]Beracha & Skiba (2014) : Real Estate Investment Decision-Making in Behavioral Financial, Wiley

[14]Bikhchandani, Hirshleifer & Welch (1992) : A Theory of Fads, Fashion, Custom, and Cultural Change as Informational Cascades, Journal of Political Economy

[15]Shleifer & Summers (1990) : “The noise trader approach to finance”, Journal of Economic Perspectives

[16]Shiller (2019) : Narrative Economics, Princeton University Press

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Publié le mercredi 21 avril 2021
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