Quand l'architecture trace la voie

Quand l’architecture trace la voie

Au Luxembourg, la mobilité est présente dans les réflexions architecturales. Chez Coeba, l’organisation interne comme la conception des projets témoignent d’une volonté claire : réduire les distances, limiter les émissions et repenser les usages pour mieux répondre aux enjeux de durabilité.

Pour les architectes, les kilomètres s’accumulent vite : réunions, visites de chantier, concertations. « Notre plus grande valeur, ce sont nos collaborateurs. Il fallait trouver un moyen de réduire leurs trajets », explique Dave Lefèvre, architecte et associé de Coeba. L’idée s’est concrétisée par une organisation décentralisée avec quatre implantations à Bereldange, Rambrouch, Wasserbillig et Dudelange.

L’initiative trouve son origine dans une expérience personnelle. « Un ami architecte m’a confié avoir perdu deux collaborateurs à cause du trafic devenu insupportable. Cela m’a marqué. » L’ouverture d’un bureau à proximité des équipes a d’abord permis d’améliorer leur qualité de vie, puis de recruter plus facilement. « Markus et Ekaterina, par exemple, nous ont rejoints parce qu’ils pouvaient travailler à Wasserbillig, proche de chez eux. C’était une vraie opportunité », précise Viktoria Klaka, architecte d’intérieur.

La mobilité devient ainsi un levier de bien-être et d’efficacité. Les déplacements sont réduits, la proximité avec les chantiers facilite la réactivité, et la gratuité des transports publics offre une alternative crédible. « C’est une situation win-win, même si elle demande un investissement supplémentaire en frais de fonctionnement », nuance Dave Lefèvre.

Cette stratégie a également renforcé la cohésion interne. Les antennes régionales permettent de créer des équipes de proximité, en contact direct avec les acteurs locaux. « Nous travaillons avec des bureaux d’études et des entreprises du secteur, ce qui développe une vraie dynamique territoriale. » Au-delà de la réduction des émissions, il s’agit aussi de tisser un maillage architectural au service du pays.

De l’organisation quotidienne aux projets urbains

Cette philosophie se traduit directement dans la conception des bâtiments. Pour Coeba, la mobilité n’est pas une contrainte technique, mais une composante essentielle de l’architecture. « Aujourd’hui, dans les appels à candidatures, la proximité avec le lieu du chantier est devenue un critère déterminant », souligne l’architecte associé.

Le concours du campus scolaire de Wasserbillig, pour lequel Coeba a terminé troisième (le lauréat désigné est le bureau BFF...), en est un exemple concret. Les parcours y sont courts et accessibles, des stationnements pour vélos sont prévus avec possibilité d’extension, et le site se connecte au futur réseau cyclable. « La mixité des usages est essentielle. Le matin, le parking sert aux enseignants, le soir aux spectateurs des événements culturels. C’est une manière d’éviter les espaces vides. Une belle collaboration avec LSC360 dont les équipes ont participé pour la partie aménagements extérieurs et la mobilité », explique Dave Lefèvre.

Le projet de Wasserbilig
Le projet de Wasserbilig

Les architectes défendent également une vision souple et évolutive des constructions. Viktoria Klaka évoque le cas d’un parking en bois en Allemagne, pour être transformé demain en logements ou en bureaux. « La flexibilité est une clé de la durabilité. L’idée qu’un bâtiment puisse changer de fonction est extrêmement inspirante », insiste-t-elle.

Dans leur pratique, cette réflexion s’applique aussi à la sélection des projets. Les sites choisis par Coeba renforcent la cohérence entre implantation et chantiers voisins. « Être proches de nos projets, c’est tout bénéfice. Pour le maître d’ouvrage, nous sommes rapidement sur place. Pour nos équipes, moins de temps est perdu en voiture », résume Dave Lefèvre.

Cette proximité joue également un rôle décisif dans l’obtention de concours publics.


« Le fait que nos bureaux soient implantés à proximité du site du concours a probablement joué, aux côtés d’autres critères, un rôle déterminant dans notre sélection. Cette opportunité s’est concrétisée par notre désignation en tant que lauréats du concours du campus scolaire à Grevenmacher. »

Dave Lefèvre, architecte associé chez Coeba

Les architectes comme acteurs du changement

Mais jusqu’où peut aller l’influence des architectes sur les modes de déplacement ? « Nous conseillons les maîtres d’ouvrage et avons donc une vraie responsabilité. L’urbanisme peut réduire les distances entre travail et logement. Le meilleur trafic, c’est celui qu’on évite. »

Le Luxembourg, pionnier avec la gratuité des transports publics, est observé à l’étranger. « La famille de mon épouse habite en Autriche. Elle était impressionnée. Cela a fait parler jusque là-bas », confie Dave Lefèvre. Mais il nuance, car la fréquence reste insuffisante dans certaines localités. « Pour que les habitants changent d’habitudes, il faut renforcer les connexions jusque dans les petits villages », plaide-t-il.

Viktoria Klaka et Dave Lefèvre
Viktoria Klaka et Dave Lefèvre - © Sébastien Yernaux / Picto

Son expérience personnelle en témoigne. Après un accident de vélo, l’architecte n’a plus conduit durant six mois. « J’ai découvert le luxe du transport public, c’est-à-dire pouvoir travailler en route, me déplacer sereinement. Depuis, je privilégie toujours cette option. »

Les jeunes générations, elles, poussent la réflexion encore plus loin. « Les étudiants et jeunes architectes nous obligent à revoir nos comportements. Ils sont plus exigeants sur l’impact environnemental », observe-t-il. Viktoria Klaka, de son côté, insiste sur l’importance de commencer par soi-même.


« Il faut oser sortir de sa zone de confort. Le train ne passe peut-être qu’une fois par heure, mais il faut tenter. Le vrai changement apparaît rarement spontanément ; il faut souvent des déclencheurs multiples. »

Viktoria Klaka, architecte d’intérieur chez Coeba

Et si ce passage par l’inconfort ouvrait la voie à une nouvelle forme de bien-être ? « Marcher plus, bouger plus, c’est ce que m’a apporté la mobilité douce. Ce n’est pas une contrainte, c’est un gain », résument mutuellement Dave Lefèvre et Viktoria Klaka.

Sébastien Yernaux
Illustration de tête : projet de Grevenmacher - © ailleurs.studio
Portrait : © Sébastien Yernaux / Picto

Extrait du dossier du mois « En route ! »

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Publié le lundi 6 octobre 2025
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