Matériaux et métier, une évolution liée

Matériaux et métier, une évolution liée

Interview de Vitor Figueira, coordinateur des formations techniques à l’IFSB, et Edmundo Fontela, gérant technique de Bat’Arte Rénovations.

Pour répondre aux objectifs d’efficacité énergétique et de réduction de l’empreinte carbone des bâtiments, ainsi qu’à la nécessité de construire plus haut, plus grand et plus vite, les matériaux de maçonnerie ont beaucoup évolué ces dernières décennies, ce qui a une incidence sur la manière de construire et sur le métier de maçon.

Comment les matériaux utilisés dans la maçonnerie ont-ils évolué au cours des dernières décennies ? Et à quoi est liée cette évolution ?

Vitor Figueira : L’être humain s’est d’abord abrité dans des grottes. Il les a ensuite transformées pour se défendre des dangers et améliorer ses conditions de vie. Puis il a construit des maisons. Il s’est adapté à son environnement en utilisant les matières premières qu’il avait à sa disposition autour de lui – du bois, de la pierre, de l’argile, etc. -, tout en tenant compte de la stabilité et de la longévité du bâtiment. Tout cela a évolué avec le déploiement du transport routier, maritime et aérien qui a permis de s’approvisionner en matériaux provenant de partout dans le monde.

Le changement est aussi venu du fait que nous sommes passés de petites maisons unifamiliales à des résidences pouvant accueillir plusieurs familles. La terre cuite ou le bois convenaient à la réalisation de maisons en termes de stabilité, mais pour de plus grands bâtiments, il fallait trouver de nouvelles solutions. C’est ainsi que sont apparues les briques en béton qui étaient suffisamment résistantes pour pouvoir construire en hauteur et ainsi, ne pas perdre des surfaces nécessaires à l’agriculture.

Depuis quelques années, on parle beaucoup de réduction des émissions de CO2 et de l’impact carbone des bâtiments, et d’augmentation de leurs performances énergétiques. Les blocs ont été perfectionnés pour répondre à ces objectifs. Ils peuvent désormais avoir un isolant intégré. La terre cuite est un bon isolant naturel et la terre crue permet de réguler l’hygrométrie, donc le confort dans l’habitat, et elles ont toutes deux une bonne inertie.

Les mortiers aussi ont évolué. Au départ, on utilisait l’argile qui se trouvait à proximité du chantier de construction pour bâtir les murs, assembler les briques ou maçonner les pierres. La découverte du ciment a permis d’augmenter la résistance du mur. Ensuite, en le mélangeant avec différents agrégats comme des graviers, on a pu fabriquer des briques et des blocs en béton ayant une résistance supérieure à celle de la terre crue. Le ciment et le béton restent aujourd’hui les matériaux les plus utilisés. Leur production demande moins de matière première mais plus d’énergie que la pierre.

Edmundo Fontela : Auparavant, on avait un mur en pierre naturelle ou en bois qui servait uniquement à nous protéger des intempéries, puis on est passé à des matériaux synthétiques, et, aujourd’hui, on revient progressivement à des matériaux naturels.

Quelles sont les répercussions sur le métier de maçon et sur les compétences qui sont nécessaires pour l’exercer ?

VF : Forcément, le métier de maçon est en plein changement. Non seulement les matériaux, mais aussi les méthodologies de construction et les conditions de travail ont évolué pour s’adapter aux exigences d’efficacité énergétique des bâtiments, ainsi qu’aux contraintes structurelles et à la nécessité de construire de plus en plus vite pour réduire les coûts.

EF : La grande évolution est vraiment la vitesse de travail. Une personne peut aujourd’hui faire le travail qui était réalisé par cinq personnes il y a quelques années. Pour cela, on a fait en sorte que les matériaux soient plus faciles à travailler : les sacs de ciment qui pesaient 50 kg en pèsent aujourd’hui 25, les grands blocs ont été remplacés par des plus petits blocs, et l’épaisseur des murs a diminué – on est passé de murs de 60 cm à des murs de 20 / 24 cm, ce qui permet aussi de gagner de l’espace -, de sorte à ce qu’on puisse avancer plus rapidement malgré une main-d’œuvre qui se raréfie.

VF : La pénurie de main-d’œuvre, la pénibilité du travail et les critères financiers font aussi que les processus sont de plus en plus industrialisés. Des blocs avec isolants intégrés, voire des murs entiers, sont fabriqués en usine, puis transportés sur chantier où ils sont assemblés. Avec des voiles en béton coulés sur place, des prémurs, des prédalles, on peut avancer beaucoup plus vite. Dans quelques années, le métier de maçon sera sans doute appelé « assembleur ». Celui qui sait maçonner la pierre, la brique ou le bloc, qui a appris, avec la transmission du savoir, à réaliser des ouvrages d’art, se fait de plus en plus rare. L’aspect artisanal disparaît au profit de l’aspect industriel.

EF : On perd le vrai maçon, l’artiste, au fur et à mesure qu’on perd les anciens. Avant, un maçon savait tout faire, être à tous les postes. Aujourd’hui, les chantiers ont évolué de telle façon que les salariés n’ont pas besoin d’apprendre toutes les tâches, car ce ne serait pas rentable. Or, dans la construction neuve, on peut employer des maçons spécialisés qui ne font que du coffrage ou du ferraillage par exemple, mais dans une entreprise comme la mienne, qui est spécialisée dans la transformation et la rénovation de maisons, nous avons besoin de maçons polyvalents. Pour une rénovation de salle de bains, on ne peut pas se permettre de faire intervenir 10 personnes, de différents métiers, ce serait ingérable et cela aurait un coût énorme.

Comment attirer les jeunes dans ce métier ?

VF : Il faut défendre le métier, le valoriser, et ne pas perdre les racines. Être maçon est un travail noble, c’est concrétiser le rêve des gens d’avoir leur maison. On peut en être fier. C’est ce que nous devons transmettre aux jeunes : de la fierté et de la passion. Si on n’a pas cette fierté, on aura du mal à réussir dans un métier, quel qu’il soit.

EF : Nous ne sommes pas de « pauvres » maçons comme on disait auparavant, mais des gens capables, qui réalisent un vrai travail d’artiste, nous construisons des rêves ! Il faudrait d’ailleurs que le titre de maçon ne soit attribué qu’aux personnes qui ont une formation professionnelle, qui ont passé quelques années sur le terrain. Il nous faut absolument trouver des astuces pour attirer des jeunes dans le métier.

VF : On doit aussi adapter le métier : les jeunes sont de plus en plus connectés donc il faut leur apporter l’aide de machines, leur enlever les contraintes physiques, car cela reste un travail dur et soumis aux intempéries.

EF : Ça continue à être pénible en effet, mais pas comme dans le passé : les hivers sont moins rudes, les vêtements ont été perfectionnés, les sacs de ciment sont moins lourds… Et puis, quand on est maçon, on a le plaisir de travailler avec ses mains, d’avoir réalisé quelque chose de concret à la fin de la journée, de voir le résultat de son travail et de pouvoir le montrer à ses enfants, de voir la satisfaction de ses clients. Être maçon, c’est faire tous les jours un travail différent. Et un bon maçon, aujourd’hui, a un bon salaire. Avec le temps et la passion, on apprend les techniques, et lorsqu’on sait travailler, si notre patron ne nous donne pas un salaire convenable, c’est un autre qui va nous le donner. L’argent vient inévitablement avec le bon travail et l’implication. En plus, c’est un métier qui offre des perspectives de carrière : on peut progresser et devenir chef d’équipe, entrepreneur, technicien expérimenté…

VF : Notre savoir-faire nous permet aussi de gagner de l’argent en construisant ou en rénovant nous-mêmes nos maisons, en plus de la fierté qu’on a de se dire, en rentrant chez soi : « j’ai fait tout cela de mes propres mains ».

J’ajouterais aussi qu’il y a toujours de la joie sur un chantier, et un esprit d’entraide : tout le mode rame dans le même sens. Une équipe, c’est comme une famille.

Mélanie Trélat
Article paru dans le NEOMAG#44
Plus d’informations : http://neobuild.lu/ressources/neomag
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Publié le jeudi 17 mars 2022
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