La nature devrait être un élément central dans la planification

La nature devrait être un élément central dans la planification

Interview de Frank Wolff, directeur adjoint de l’Administration de la nature et des forêts (ANF)

L’urbanisation a une incidence négative sur les écosystèmes naturels. Pourtant, il est possible de compenser ses effets en respectant quelques principes. L’ANF est un interlocuteur de choix pour conseiller les développeurs de projets immobiliers et les aider à aller dans ce sens.

Que comprend la notion de biodiversité ?

C’est un terme très vaste qui décrit toutes les formes de vie, individuellement et dans leur ensemble, ainsi que leurs interactions. Cela comprend toute la richesse des différentes formes de vie : plantes, animaux, champignons, bactéries, virus,... Cela représente également la variété génétique à l’intérieur d’une même espèce : chaque individu constitue une part de cette richesse. Et finalement, cela intègre aussi les multiples écosystèmes, habitats qui se sont développés en fonction des conditions géologiques et climatiques.

En quoi l’urbanisation peut avoir une incidence négative sur cette biodiversité ?

Le plus souvent, l’urbanisation se fait aux dépens de biotopes naturels ou de surfaces semi-naturelles. Traditionnellement, construire consiste à intervenir dans un milieu naturel où l’on détruit la couverture végétale et la faune associée en artificialisant les sols.

Cependant, beaucoup d’espèces sont habituées à l’homme et à ses infrastructures. On voit, par exemple, des chauves-souris coloniser des greniers ou des chouettes effraies nicher dans des bâtiments agricoles. Des espaces verts urbains naturels peuvent abriter une diversité d’insectes comparables à celle de nos campagnes. Et il est possible de planifier avec la nature, voire en faveur de la nature.

Peut-on compenser ces effets négatifs ?

On peut planifier les infrastructures de sorte à permettre à la faune et à la flore de trouver des espaces où se développer. Le problème, c’est qu’avec la vitesse frénétique de construction qui est la nôtre, on n’accorde pas le soin que l’on devrait accorder aux principes écologiques. Les aménagements des espaces verts se font en dernière instance au lieu d’être un élément central de la planification des projets.

Nous devrions nous focaliser davantage sur la nature, sachant que favoriser la biodiversité dans l’espace urbain a aussi des effets positifs sur nous-mêmes, en tant qu’humains, qui occupons ces mêmes espaces.

Il y a là un terrain où il y a un besoin de sensibilisation, où il faut réunir de nombreuses compétences et où il faut recruter des spécialistes dans les bureaux d’études pour traiter le sujet dès la planification.

L’ANF, ou d’autres acteurs, peuvent-ils aider les bureaux d’études qui n’auraient pas ces compétences en interne ?

L’ANF est en discussion avec de nombreux développeurs de projets pour les conseiller et les aider dans l’obtention des autorisations réglementaires. Le problème est qu’on nous contacte souvent avec des projets où les aménagements sont prédéfinis. Il est alors difficile d’optimiser la situation en conservant certains éléments naturels présents ou en développant de nouveaux espaces qui pourront avoir une incidence positive sur la biodiversité.

Il y a aussi des bureaux d’études qui sont spécialisés dans la protection de la nature et la gestion des ressources naturelles et de nombreuses communes faisant partie de syndicats intercommunaux avec des stations biologiques qui ont, elles-mêmes, de l’expertise dans ce domaine.

Il y a beaucoup d’espaces déjà construits. Quelles sont les interventions qui permettraient d’améliorer l’existant ?

Nos villes sont encore dominées par la voiture, donc par des espaces scellés comme des parkings ou des routes. Un 1er principe devrait être de désartificialiser ces surfaces et de maximiser les espaces verts qui auront également des effets positifs sur l’absorption des eaux de pluie, la lutte contre les risques d’inondation et contre l’accumulation de chaleur dans les villes.

Un 2e principe serait de diversifier ces espaces verts et de recréer des niches écologiques où la flore indigène pourra s’installer et amener avec elle tout un cortège d’insectes et une faune qui pourra y trouver des habitats similaires à ceux des milieux ouverts de nos campagnes.

Un 3e principe est de connecter ces espaces verts entre eux, via des trames, pour que les animaux puissent trouver assez de place et d’habitats pour survivre en milieu urbain.

Finalement, je crois que tout un chacun peut apporter sa contribution en aménageant les espaces qui sont à sa disposition – jardins, balcons… - de façon à favoriser le développement d’une végétation spontanée. La nature a une capacité impressionnante à coloniser les terrains mis à sa disposition. L’exemple-type de ce qu’il ne faut pas faire, ce sont les aménagements paysagers minéraux car ils forment un milieu totalement stérile où la végétation naturelle ne peut pas pousser. Pourquoi stériliser les alentours de nos maisons alors que nous avons l’opportunité d’y créer des petites réserves naturelles ?

Les bâtiments anciens qui présentent des surfaces rugueuses, des interstices, où l’on a accès aux combles et où l’on trouve des vieux murs en pierres sèches qui ne sont pas colmatées, ont un intérêt majeur pour la faune qui vit en milieu urbain qui y trouve des refuges. Avec les normes d’isolation des bâtiments et le fait que nous « hermétisons » les façades, ces refuges sont en train de disparaître. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas les recréer, par exemple en utilisant des briques perforées ou creuses qui permettent aux oiseaux et aux insectes de nicher. Là encore, la sensibilisation joue un rôle car ce sont des aménagements qui ne vont pas coûter plus cher mais qu’il faut connaître pour pouvoir les intégrer de manière intelligente dans les bâtiments.

Enfin, un dernier élément est la pollution lumineuse. Les luminaires constituent des pièges écologiques pour les insectes. Sachant que les insectes sont à la base des chaînes trophiques, il faut réduire l’envergure et l’intensité de lumière nocturne pour avoir des effets positifs sur la faune tout en permettant aux usagers d’occuper l’espace public pendant la nuit en toute sécurité. Là aussi les moyens techniques sont connus, il s’agit juste de les appliquer à plus large échelle qu’actuellement.

Mélanie Trélat
Extrait du NEOMAG#53
Plus d’informations : http://neobuild.lu/ressources/neomag
© NEOMAG - Toute reproduction interdite sans autorisation préalable de l’éditeur

Article
Article
Publié le jeudi 6 avril 2023
Partager sur
Avec notre partenaire
Nos partenaires