Glyphosate : « il faut conclure ce débat une fois pour toutes »

Glyphosate : « il faut conclure ce débat une fois pour toutes »

Luc Koedinger, agroforestier et membre du conseil d’administration de Canopée, coopérative en agroforesterie, réagit au retour du glyphosate, potentielle conséquence de l’annulation de son interdiction par la Cour administrative.

Que pensez-vous de la décision de la Cour administrative qui confirme l’annulation de l’interdiction de produits phytopharmaceutiques, tels que le glyphosate ?

« C’est regrettable, et c’est peu dire.

Le gouvernement semble vouloir aller plus loin (voir communiqué du gouvernement) mais attend une énième étude sur la dangerosité des produits phytopharmaceutiques, alors que des études sérieuses indiquent depuis des années qu’ils sont dangereux. Pareil au niveau de l’Europe qui attend une nouvelle étude de l’Agence de la sécurité alimentaire. On ne peut qu’être dubitatifs devant ces énièmes études qui sont réalisées et qui semblent être là pour contredire les précédentes. »

Faire marche arrière serait vraiment une calamité.

Quel impact cette décision va-t-elle avoir sur les pratiques agricoles ?

« Les agriculteurs ont dû changer de pratiques il y a plus de deux ans lorsque ces produits ont été interdits. Faire marche arrière serait vraiment une calamité.

Si le travail sans glyphosate n’est pas encore totalement opérationnel, c’est parce que les bonnes pratiques ne sont pas encore entrées dans les mœurs. Il suffit toutefois de se tourner vers les professionnels de l’agriculture biologique, qui travaillent avec succès sans ces produits depuis des décennies.

Nous ne sommes pas sans solutions. Certes elles demandent un peu plus de travail et peuvent comporter quelques difficultés, qui sont liées au métier même de l’agriculteur. »

Pouvez-vous donner un exemple de bonne pratique ?

« Une des bonnes pratiques est la rotation des cultures : ne pas cultiver encore et encore les mêmes terres. Cette rotation serait d’autant plus possible si le Luxembourg produisait moins de viande et de lait, sachant qu’il en produit trop puisque beaucoup de ces produits sont exportés. La solution serait donc de consacrer moins de terre au fourrage, ce qui laisserait largement la place pour faire des rotations de cultures, et de ce fait il y aurait beaucoup moins de problèmes d’herbes sauvages.

Ce que certains vont vite opposer à l’interdiction du glyphosate, c’est qu’il faut labourer. Or labourer dégage du CO2 dans l’atmosphère et cela on en est bien conscients. Une agriculture beaucoup plus innovative ramènerait massivement du CO2 via le carbone dans le sol et on se retrouverait alors avec des sols riches en carbone dans lesquels on fait du semis direct, dans lesquels on ne laboure pas, ou très très peu.

Il y a toute une nouvelle pratique à mettre en place. Les agriculteurs ont commencé en 2021, il s’agit maintenant de pérenniser ces pratiques et non pas d’admettre de nouveau du glyphosate pendant un an ou deux. Ce serait faire marche arrière et notre environnement ne peut pas encore subir quelques années de plus avec ce genre de produit monstrueux. »

Le Luxembourg est un tout petit territoire qui pourrait être un grand exemple pour l’Europe, voire le monde, si on maintenait cette zone – le territoire national – hors glyphosate.

Quelle solution préconisez-vous ?

« La solution, c’est revenir à l’interdiction.

Mais, puisqu’il est actuellement interdit d’interdire, on pourrait imaginer – mais un juriste serait plus pertinent sur cet aspect - de contraindre les agriculteurs ayant recours au glyphosate de souscrire à une assurance couvrant les potentiels problèmes liés à l’environnement, à l’humain, à l’animal. Cela pourrait être un sérieux frein car j’imagine mal un assureur prendre un tel risque, ou alors à un coût dissuasif.

En pleine année électorale, il faut que les partis politiques et le gouvernement actuel se bougent sur ces sujets-là. Ce n’est pas du tout suffisant de créer des zones hors glyphosate. Le Luxembourg est un tout petit territoire qui pourrait être un grand exemple pour l’Europe, voire le monde, si on maintenait cette zone – le territoire national – hors glyphosate.

Pendant des décennies, l’État a subventionné cette agriculture folle. Maintenant c’est à lui de subventionner une agriculture raisonnable, proche de l’environnement et prête à produire une alimentation saine. Il y a des pratiques qui sont infiniment plus bénéfiques à l’environnement, au sol. Mais pour soutenir les agriculteurs, il faut évidemment de l’argent public, il faut des aides. »

Les rayons des magasins peuvent de nouveaux être remplis de flacons de Roundup. Quel est votre avis sur l’usage privé d’un tel produit ?

« Pour l’usage privé c’est de l’ordre du scandaleux. C’est invraisemblable de l’autoriser. Il n’y a aucune bonne raison d’en faire usage. On peut comprendre que cela facilite la vie de l’agriculteur, mais pour le particulier, c’est simplement de la bêtise que de nettoyer son devant de porte avec du glyphosate. Précisons d’ailleurs que cet acte est interdit : on ne peut pas utiliser de produis phytosanitaires qui vont dans les canalisations. Donc autoriser un produit alors que son usage ne l’est pas, c’est un non-sens.

Il faut savoir que dans la population, il n’y a personne qui ne présente pas de traces de glyphosates dans le sang. Même un nouveau-né en a. À l’heure actuelle, on se demande encore si un herbicide serait dangereux pour la santé humaine, animale ou environnementale. C’est quand même invraisemblable. Il faut conclure ce débat une fois pour toutes. »

Propos recueillis par Marie-Astrid Heyde

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Publié le jeudi 13 avril 2023
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