Gestion de l'eau : un torrent d'économies encore à réaliser…

Gestion de l’eau : un torrent d’économies encore à réaliser…

Interview de Johann Lahaye, ingénieur chez Betic et Mouldi Cherif, consultant international DGNB et ingénieur chez Betic.

L’eau est l’un des biens les plus précieux. Même si elle recouvre plus de 70 % de la surface de la terre, seuls 2,5 % de l’eau disponible sur notre planète est de l’eau douce, c’est-à-dire consommable. Les épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents et intenses, ainsi que les restrictions en découlant, nous rappellent que cette ressource est précieuse et des plus limitées aujourd’hui. Comment garantir l’approvisionnement de cette ressource essentielle à la vie, aux écosystèmes, à l’homme et à ses activités ? Comment les projets de construction peuvent-ils permettre d’économiser et de préserver « l’or bleu » ? Johann Lahaye et Mouldi Cherif nous apportent quelques éléments sur cette « bataille » devenu le fer de lance de tout une population, au niveau mondial.

Quelle est la situation actuelle de l’eau au Luxembourg ?

Johann Lahaye : Au Luxembourg, l’eau potable vient pour moitié des eaux souterraines et pour moitié du barrage d’Esch-sur-Sûre. En 2022, les conditions météorologiques étaient défavorables à la recharge des eaux souterraines. Par conséquent, leur déficit entre octobre 2022 et mars 2023 est estimé à plus ou moins 30 % de la moyenne enregistrée habituellement. La gestion de l’eau au Grand-Duché est d’autre part confrontée actuellement à des défis liés aux fortes croissances démographique et économique du pays, mais également aux changements climatiques. Si ces défis se posent au Luxembourg, nous les retrouvons évidemment dans d’autres pays. C’est pourquoi aujourd’hui, l’eau occupe une place aussi prépondérante dans les diverses certifications environnementales, comme, par exemple pour la certification DGNB.

Vous parliez de la certification DGNB, qu’apporte-t-elle ?

Mouldi Cherif : Le système de certification DGNB est reconnu comme l’un des systèmes de certification les plus rigoureux et les plus complets. Il évalue la durabilité des bâtiments sur la base d’une série de critères liés aux performances environnementales, sociales et économiques. L’eau est évaluée dans la catégorie environnement où deux aspects sont pris en compte : la consommation d’eau du bâtiment ainsi que la qualité de l’eau utilisée et rejetée par celui-ci. Elle est alors un gage, tout comme d’autres certifications, du déploiement d’une gestion raisonnée de l’eau sur les projets, dans une démarche de protection de cette ressource.

Oui, mais il est tout autant possible d’intégrer cette démarche sans chercher à obtenir une certification ?

MC : Bien entendu. Mais intégrer la gestion de l’eau dans un concept global est quelque chose de complexe où il peut être facile de perdre le fil conducteur permettant d’aboutir à un résultat optimum. La certification devient dès lors un outil essentiel et crucial sur les projets d’envergure. C’est un peu le « garde-fou » des éléments à avoir en ligne de mire pour concrétiser une conception globale de la gestion de l’eau, soutenant les communautés, l’agriculture… là où ils en ont le plus besoin, en ayant un impact positif sur les cycles naturels de l’eau. En intégrant l’eau dans leurs critères de certification et en encourageant les meilleures pratiques, ces programmes contribuent significativement à garantir la disponibilité de cette précieuse ressource pour les générations futures.

Et concrètement, comment cela se traduit-il sur vos projets ?

JL : Prenons l’exemple de KIEM 2050, lancé par le Fonds Kirchberg. Ce projet mixte de 4 bâtiments abritera à terme 148 appartements mais aussi des commerces en rez-de-chaussée. Il est un bel exemple d’une intégration du concept de gestion de l’eau dès les prémices de la conception, ce qui a permis d’intégrer pleinement ce volet aux critères de développement durable. Et KIEM 2050 va d’ailleurs encore plus loin. Dans une logique d’économie circulaire, le maître d’ouvrage et les intervenants de la maîtrise d’œuvre, parmi lesquels les bureaux Witry & Witry et Search pour l’architecture et SGI pour le génie statique, ont porté une attention particulière à l’adaptabilité et la démontabilité des bâtiments. Le choix des matériaux repose sur une analyse de leur impact environnemental tout au long de leur cycle de vie, privilégiant des matériaux démontables et potentiellement réutilisables. L’équipe a d’ailleurs étudié la bonne gestion de toutes les ressources (énergie, eau, biomasse) et les moyens d’augmenter la biodiversité sur le site.

Concernant plus particulièrement l’eau, le concept mis en place est basé sur plusieurs points : la récupération des eaux pluviales et la réutilisation des eaux grises. Le but est que l’eau utilisée à un endroit soit réutilisée à un autre dans le bâtiment et donc de limiter la demande en eau via le réseau de la ville de Luxembourg.

Pouvez-vous nous détailler davantage le concept proposé ?

JL : Deux bassins seront construits, un pour la récupération des eaux de pluie et l’autre pour celle des eaux grises. Les eaux grises seront utilisées pour alimenter les chasses d’eau des bâtiments et les buanderies. Les eaux de pluie seront utilisées pour l’arrosage des plantes vertes et des jardins. En ce qui concerne les eaux grises, celles-ci seront préalablement traitées grâce à une méthode de filtration par membrane, puis un second process éliminant les derniers résidus polluants (type médicament ou phosphore), qui pourraient se trouver dans les eaux grises.

Nous travaillons actuellement main dans la main avec l’Administration de la gestion de l’eau pour affiner les détails du concept car en fonction de l’utilisation souhaitée de l’eau, les paramètres de traitement diffèrent. Ce qui est certain est que la réutilisation des eaux grises présente clairement un intérêt pour épargner la ressource en eau et réduire la consommation d’eau potable. Si la sécheresse connue en 2022, conjuguant déficit de précipitations et températures records, est aujourd’hui considérée comme extrême, le phénomène pourrait pourtant n’être qu’un épisode moyen d’ici la fin du XXIe siècle. D’où la nécessité de faire évoluer de manière significative nos usages de l’eau, pour mieux nous préparer aux épisodes à venir.

Et pour l’avenir ? Peut-on imaginer étendre ces techniques à tous les nouveaux bâtiments ?

JL : Il n’y a pas de limite si ce n’est l’implication et l’envie de tous les acteurs du projet. C’est pourquoi, dans cette constellation, il nous est facile de pouvoir proposer un nouveau concept comme celui-ci. Et comme pour toute technique en devenir, il faut proposer, ajuster, essayer, pour pouvoir ensuite développer des nouveautés à plus grande échelle. En tout cas, quel que soit le dispositif final sélectionné, l’objectif est clair : réduire la quantité d’eau à gérer pour générer des économies importantes de traitement de l’eau, tout en réduisant la pression sur les systèmes d’épuration et le service d’approvisionnement en eau potable. La réutilisation des eaux pluviales, des eaux usées épurées et des eaux grises, via le déploiement de techniques spécifiques de recyclage, devrait donc être, à notre sens, intégrée systématiquement à tout nouveau projet.

Article tiré du NEOMAG#55
Plus d’informations : http://neobuild.lu/ressources/neomag
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Publié le jeudi 29 juin 2023
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