
Gérard Zoller (Peintures Robin) : ’Il faut toujours garder une certaine humilité’
À la tête de Peintures Robin depuis 2017, Gérard Zoller incarne un parcours à la fois atypique et engagé. Citoyen actif de son « Wild West » natal, il défend une parole libre, un ancrage local fort et des actions toujours guidées par le bon sens. Rencontre avec un dirigeant profondément investi.
Vous dites avoir un parcours hors du commun… Racontez-nous !
Je suis arrivé chez Peintures Robin il y a 39 ans, en remplacement d’un congé de maternité. Après ce premier poste au secrétariat, je suis passé au service Achats, que j’ai ensuite dirigé. On a remarqué que j’aimais beaucoup parler, et je suis devenu vendeur, puis j’ai pris la direction commerciale. J’ai progressivement acquis quelques parts dans la société et, depuis 2017, j’en suis le directeur général.
J’ai commencé tout en bas de l’échelle, sans diplôme universitaire. J’ai appris sur le tas, en autodidacte, et j’ai gravi les échelons. C’est en cela que je vois un parcours atypique. De nos jours, quand on est directeur général, on est universitaire. J’ai longtemps porté un complexe d’infériorité, mais c’est aussi ce qui m’a poussé à fournir plus d’efforts pour accéder à ces postes. Aujourd’hui, j’aime dire que je n’ai pas fait l’unif, mais que j’emploie des universitaires !
En 39 ans de carrière, on imagine que bien des choses ont changé chez Peintures Robin…
Quand j’ai commencé, l’entreprise était un peu vieux-jeu et proposait des produits obsolètes à base de solvants. Rapidement, nous avons évolué vers une gamme plus écologique et moderne. Nous avons d’abord lancé les peintures à base d’eau, et depuis quelques années, nous proposons des produits recyclés ou fabriqués à partir de matières premières renouvelables.
Nous avons adopté une position novatrice, parfois même pionnière. Pour moi, il est important, dans la vie en général, d’être en avance, d’anticiper les choses. C’est par exemple le cas avec les législations : quand une nouvelle interdiction tombe, notamment sur un ingrédient, nous sommes prêts, car nos compositions sont déjà plus écologiques.
En 2025, nous pouvons nous targuer de continuer à produire des peintures au Luxembourg. C’est la plus grande réussite de l’entreprise : être toujours là en tant que fabricant, alors que tous les autres ont arrêté.
Vous parlez beaucoup en « nous ». Vous le préférez au « je » ?
À mon sens, on ne peut rien faire seul, c’est toujours un travail d’équipe. Je suis d’ailleurs un peu gêné que ce portrait soit centré sur moi !
À votre arrivée, vous m’avez demandé si vous pouviez vous garer sur une place de la direction, qui était la seule libre. Bien sûr ! J’ai même envie d’enlever ces places. Ce n’est pas équitable que certains aient des places réservées et d’autres non. Je suis contre ce type de privilèges. Il faut toujours garder une certaine humilité.
Le dialogue est essentiel. Chaque collaborateur peut entrer dans mon bureau pour partager son opinion, positive ou critique, sur ce qui est mis en place. Même si l’on n’est pas d’accord, l’échange permet de mieux comprendre et accepter une décision.
Ces principes semblent s’inscrire dans une vision plus large de l’entreprise. Quelle est la philosophie de Peintures Robin aujourd’hui ?
La philosophie de l’entreprise repose sur trois valeurs : équité, écologie, excellence. Notre comportement doit être irréprochable, que ce soit vis-à-vis de l’environnement, des employés, des fournisseurs, des clients ou même des voisins. Pour moi, c’est tout cela la responsabilité sociétale.
Nous avons, par exemple, demandé à nos fournisseurs de prouver que leurs matières premières proviennent de sources propres. Nous avons entamé ce travail en anticipation des directives à venir, notamment sur le devoir de vigilance.
Vous êtes également bourgmestre de la commune de Saeul. Cela vous tenait à cœur ?
J’ai longtemps poursuivi deux objectifs : devenir directeur général et bourgmestre. Depuis les dernières élections communales, je porte ces deux casquettes. C’est très fatigant, mais je suis fier d’y être parvenu. Cela m’a demandé beaucoup de persévérance : j’étais conseiller communal depuis 30 ans !
Vous portez un fort ancrage local, tant à travers votre rôle de dirigeant que dans votre vie politique et privée…
Oui, je suis un gars de la région ! Nous sommes ici dans l’ouest du pays, le Wild West comme on l’appelle aussi, une union de neuf communes du canton de Rédange qui essaie de rendre la région autosuffisante. J’y suis né, mes parents avaient une scierie où je passais beaucoup de temps. J’ai grandi dans l’odeur du bois, de la sciure, dans la nature.
Depuis plus de 25 ans, je suis aussi membre du Rotary Club et d’un club d’ornithologie. Et je joue du tuba dans la fanfare du village ! Au niveau régional, je suis responsable politique du ressort « logement social ».
Un livre, ou deux…
« Je lis beaucoup, énormément même. Je retiens tout ce qui me plaît pour nourrir ma réflexion. »
- The Ascent of Humanity, de Charles Eisenstein : « Sa grande théorie est que l’humain, depuis qu’il est sorti de sa caverne, s’est éloigné de la nature. Aujourd’hui, nous vivons dans des espaces qui ne sont plus naturels ; certains vivent même dans le virtuel ! »
- Not the End of the World, de Hannah Ritchie : « J’apprécie son approche positive, qui montre tout ce qui s’est déjà amélioré dans l’environnement. Les pluies acides des années 1970 et 1980, par exemple, ont disparu. »
C’est quoi, la suite ?
Quand on a passé 50 ans, on regarde plus en arrière qu’en avant !
Vous avez le sentiment d’avoir fini votre carrière ?
Chez Peintures Robin, oui, ou presque. Mon départ est prévu pour le 31 août 2026. Un comité de direction a été mis en place pour reprendre les rênes.
Politiquement en revanche, j’espère être au début de ma carrière de bourgmestre.
C’est sans regret ! Dans une carrière, il est important de savoir partir au bon moment, sans s’accrocher à un siège que d’autres pourraient occuper. Il faut éviter ce que les Allemands appellent le Tunnelblick, la vision tunnel : quand on est trop longtemps dans ses habitudes, on risque de ne plus voir ce qui se passe autour.
Gérard Zoller, Peintures Robin
Durant ces quatre décennies de vie active, quel a été votre plus grand obstacle ?
Ma grande gueule ! J’ai beaucoup de mal à ne pas dire ce que je pense. Je ne regrette pas ce franc-parler, mais ma carrière aurait peut-être progressé plus vite si j’avais parfois adopté une posture plus conciliante.
Si vous deviez donner un conseil à la relève, aux jeunes… Quel serait-il ?
Je leur dirais de s’impliquer dans la société et de ne pas seulement attendre qu’elle leur rende quelque chose. Qu’ils s’engagent dans des clubs, dans la politique, dans leur entreprise. On rend ainsi service à la communauté et on crée de la richesse. L’engagement est essentiel pour que ce monde continue à fonctionner.
Propos recueillis par Marie-Astrid Heyde
Photos : © Fanny Krackenberger / Picto