
Doutes et préoccupations sur le traité entre l’UE et le Mercosur
Le Luxembourg a annoncé son soutien à l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur. Une décision qui suscite de vives réactions dans les milieux agricoles et écologistes, inquiets des conséquences sur la concurrence, l’environnement et les normes sanitaires.
Le Luxembourg s’est prononcé en faveur de l’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Bolivie). Une position officialisée par le Premier ministre Luc Frieden lors de son discours sur l’état de la nation du 13 mai dernier. Les agriculteurs, la plateforme Stop TTIP – qui regroupe diverses organisations et associations telles que l’OGBL et le LCGB, l’Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC), HUT - Hëllef um Terrain, Greenpeace ou encore le Mouvement écologique – et une partie de la classe politique expriment des réserves, voire une opposition franche au projet d’accord, encore en attente de ratification par les États membres.
Le traité vise à supprimer plus de 90 % des droits de douane entre les deux zones économiques. Il doit, en retour, favoriser les exportations européennes vers l’Amérique latine, notamment dans les secteurs de l’industrie automobile et des produits phytosanitaires. Mais au Luxembourg, plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer ses conséquences possibles sur la biodiversité, le climat et la survie des petites exploitations agricoles.
Réactions contrastées du secteur agricole
Le soutien du gouvernement à l’accord UE-Mercosur n’a pas surpris le monde agricole, même si la prudence restait de mise dans les déclarations des responsables. Christian Wester, président de la Centrale paysanne, note que « le Premier ministre semble plus favorable à l’accord que la ministre de l’Agriculture ». Il redoute en particulier des répercussions pour la filière bovine, mise en concurrence avec les grands producteurs sud-américains, notamment le Brésil.
Si Luc Frieden affirme que la version finale du traité garantit que « nos standards sanitaires et environnementaux ne seront pas sapés », ces assurances ne suffisent pas à rassurer tous les professionnels. La promesse d’un fonds européen d’un milliard d’euros en cas de conséquences négatives sur l’agriculture ne convainc pas davantage. Christian Wester, président de la Centrale paysanne, se montre sceptique : « Il est peu probable que l’Europe trouve les moyens financiers, et il ne faudrait pas que ce soit prélevé sur la PAC (politique agricole commune, ndlr). »
La Baueren-Allianz, autre organisation agricole luxembourgeoise, met en garde contre toute forme de concurrence déloyale. Son président, Marco Koeune, plaide pour « des relations commerciales fondées sur la solidarité, la démocratie, la transparence, la justice et la durabilité ».
Des critiques environnementales renforcées
Les préoccupations ne sont pas uniquement économiques. Du côté des organisations écologistes, la contestation est vive. Greenpeace Luxembourg s’inquiète d’un accord qui, selon elle, encouragerait la déforestation en Amazonie, nuirait aux droits des communautés autochtones et compromettrait les objectifs climatiques européens.
Dans un récent communiqué, l’ONG s’appuie sur une étude de l’institut de recherche Profundo pour mettre en lumière les bénéfices attendus pour le géant brésilien JBS, premier producteur mondial de viande. En cas d’adoption de l’accord, celui-ci pourrait générer jusqu’à 1,7 milliard d’euros de profits supplémentaires d’ici 2040 grâce à l’ouverture du marché européen. Selon Greenpeace, ces gains iraient au détriment de la nature, du climat et des petits exploitants agricoles, en Europe comme en Amérique latine.
« Le gouvernement luxembourgeois ne devrait pas permettre à des milliardaires comme les dirigeants de JBS d’étendre leurs modèles économiques basés sur la surexploitation des ressources naturelles. »
Martina Holbach, chargée de campagne chez Greenpeace Luxembourg
Elle dénonce également la récente initiative de Martine Hansen, la ministre luxembourgeoise de l’Agriculture de soutenir une révision du règlement européen sur la déforestation, pourtant considéré comme un outil clé de protection environnementale.
Une mobilisation citoyenne croissante
Dans ce contexte, Greenpeace a lancé une pétition à destination du gouvernement luxembourgeois. L’ONG y appelle les citoyens à se mobiliser pour rejeter l’accord. Selon elle, ce traité « alimente la déforestation, favorise les violations des droits humains et menace le climat ». La pétition exhorte le Luxembourg à rejoindre les pays européens qui s’opposent au texte, comme la France, l’Autriche ou les Pays-Bas, et à « faire le bon choix » en refusant d’approuver un accord perçu comme dangereux pour l’environnement et injuste pour les agriculteurs.
Cette mobilisation s’inscrit dans une opposition plus large à l’échelle européenne. Plusieurs États membres se sont déjà positionnés contre le traité ou ont exprimé des réserves importantes. L’opposition française pourrait même bloquer la ratification du texte dans sa forme actuelle. Pour contrer cela, la Commission européenne envisage de scinder l’accord en deux volets : un volet commercial, qui pourrait être adopté à la majorité qualifiée, et un volet politique soumis à l’unanimité. Une stratégie qui permettrait d’éviter certains vétos, mais suscite des critiques sur le plan démocratique.L’accord doit encore être ratifié par le Parlement européen et les parlements nationaux.
Au Luxembourg, à la demande de déi Lénk, la ministre de l’Agriculture Martine Hansen a été auditionnée en Commission pour discuter de cet accord de libre-échange. Le groupe politique a voulu connaître la nature exacte de ces améliorations et les mesures prévues en cas d’impact négatif pour les agriculteurs luxembourgeois. La Ministre a indiqué qu’aucune décision concrète n’avait encore été prise à ce sujet.
Concernant la réciprocité des normes, Martine Hansen a réaffirmé son engagement à défendre des standards équivalents dans tous les accords commerciaux. Elle a cité Christophe Hansen, commissaire européen, qui insiste sur l’interdiction des pesticides dangereux et sur la protection du bien-être animal. Plusieurs autres points ont été soulevés : la balance commerciale, le caractère mixte ou non de l’accord, et les risques de déforestation. N’ayant pas pu répondre à l’ensemble des questions, Martine Hansen a proposé une réunion conjointe avec les ministères du Commerce extérieur et de l’Environnement.
Sébastien Yernaux
Photo : © Éric De Mildt / Greenpeace