Combinaison détonante

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Économie linéaire et changement climatique : deux facettes du même problème ! Alors quelle conclusion en tirer ?

Le lien intuitif entre le changement climatique, les émissions de carbone et l’économie circulaire est relativement simple. Si nous fabriquons plus efficacement des produits de meilleure qualité, que nous les utilisons plus longtemps et que nous préservons des ressources précieuses au sein de nos systèmes industriels, nous allégerons la charge environnementale et limiterons la nécessité d’une production primaire incontrôlée et à forte intensité d’émissions, ainsi que l’impact associé à des cycles de vie des matériaux plus courts.

Les émissions de carbone sont le résultat de plus de plus de 200 ans d’un modèle économique dit linéaire : extraire des ressources, les utiliser et les jeter (en polluant au passage l’air, l’eau, le sol,…). Les énergies fossiles ont rendu possible la croissance effrénée et les multiples améliorations de la condition humaine que nous avons connues.

La relation entre la protection du climat et l’économie circulaire gagne du terrain. Selon le Circularity Gap Report 2021, les stratégies d’économie circulaire peuvent réduire de 39% les émissions mondiales de gaz à effet de serre, maintenir la planète bien en-deçà d’une trajectoire de 2 degrés et augmenter la proportion de matériaux réutilisés de 8,6 à 17%. Notamment, le plan d’action pour l’économie circulaire de l’Union européenne est un élément important de la feuille de route européenne qui vise à devenir le premier continent « zéro émisson » d’ici 2050.

Pourtant, alors que les organisations sont de plus en plus nombreuses à s’engager dans la lutte contre le changement climatique, à fixer des objectifs scientifiques ou à prendre le train en marche vers le « net zero », les stratégies d’économie circulaire ont été notablement absentes de la plupart des feuilles de route des entreprises en matière de climat, malgré le lien intuitif entre les deux.

Alors, pourquoi cette déconnexion ?

Beaucoup diront que l’idée d’atteindre un objectif climatique par le biais d’une stratégie d’économie circulaire s’est trop longtemps reposée sur ses lauriers d’amélioration intuitive. Et quand il s’agit du changement climatique, l’intuition ne suffit pas.

Le défi de calculer de manière fiable et efficace l’empreinte carbone des stratégies circulaires à l’échelle du produit, de l’entreprise et du pays est la préoccupation la plus courante que j’ai entendue l’année dernière dans ce contexte. Un nombre croissant d’outils et de cadres ont été développés (ou sont en cours de développement) pour mesurer et rendre compte des réductions d’émissions associées au passage à des emballages recyclables, biosourcés ou réutilisables, à des modèles commerciaux tels que la réparation et la revente ou à la gestion des matériaux en fin de vie, entre autres initiatives circulaires.

Il est logique de s’attendre à ce que les stratégies circulaires soient justifiées par des mesures de réduction des émissions de carbone, et certains s’efforcent de faire les bons calculs, de réduire les émissions grâce à de nouvelles approches significatives de l’engagement de la chaîne d’approvisionnement. Mais dans l’équation de l’équilibre entre les émissions de carbone et les stratégies d’économie circulaire, les calculs ne sont pas toujours justes.

Prenons l’exemple du recyclage : le processus de collecte, de tri, de retraitement et de fabrication de plastique post-consommation est souvent plus intéressant que l’approvisionnement en films vierges légers et bon marché (qui seront finalement mis en décharge ou brûlés – « valorisation thermique » sic !) du point de vue des émissions de carbone. Ce calcul ne tient pas compte de l’extraction incontrôlée de produits pétrochimiques non renouvelables et des implications sociales et environnementales qui y sont associées, ni de l’accumulation de déchets à la fin de leur vie utile (enterré pendant des années dans une décharge, c’est un puits à carbone, non ?).

Si toutes les initiatives d’économie circulaire n’étaient adoptées que si elles offraient des réductions de carbone à court terme, beaucoup d’entre elles pourraient ne pas voir le jour.

Je ne m’oppose certainement pas à la rigueur des objectifs scientifiques et de la comptabilisation du carbone ; ce sont des outils d’une importance vitale pour établir une stratégie et suivre les progrès en matière d’atténuation du changement climatique. Mais ces mesures quantitatives ne peuvent négliger la valeur de la préservation des écosystèmes et de la biodiversité, du soutien aux communautés et de la création de prospérité économique, de l’élimination des ressources non renouvelables, de la notion de déchets et de décharges, sans oublier l’atténuation des risques et la résilience de la chaîne d’approvisionnement. Après tout, c’est pour cela que le concept d’économie circulaire a été développé en premier lieu.

Les décisions « en faveur du climat » ne peuvent se baser uniquement sur un seul ensemble de données (bilan carbone) mais sur un ensemble de données et sur une approche systémique.

Romain Poulles, Président du Conseil supérieur pour un Développement durable (CSDD), Happy CEO - Circular Eco Officer
Article paru dans le dossier du mois « Transmission en mouvement »

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Publié le lundi 21 mars 2022
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