Thomas & Piron face au défi carbone

Thomas & Piron face au défi carbone

Réduire l’empreinte carbone est devenu un impératif dans la construction. Entre bois, béton bas carbone, réemploi et nouvelles techniques, Luc Lombard (directeur des études) et Thibaud Allard (directeur de production) expliquent comment Thomas & Piron Bau adapte ses méthodes et ses équipes.

Quelle place occupe l’impact carbone dans vos projets aujourd’hui ?

Luc Lombard (LL) : Il est désormais incontournable dans les appels d’offres. Pendant un temps, le bois a été la réponse privilégiée, et nous avons choisi d’investir fortement dans ce domaine. Nous avons formé nos collaborateurs à l’IFSB, développé une expertise interne et collaboré avec des partenaires pour décrocher des projets emblématiques comme Botanica à Gasperich ou l’immeuble Ekxo avec IKO à la Cloche d’Or.

Mais le véritable tournant, c’est l’obligation de comptabiliser le carbone sur tout le cycle de vie d’un bâtiment. D’ici 2028-2030, la réglementation européenne imposera des preuves concrètes – fiches techniques à l’appui – que nos choix réduisent bien l’empreinte carbone.

Thibaud Allard (TA) : Et c’est déjà un critère éliminatoire. Si une entreprise n’est pas en mesure de calculer ses émissions ou de maîtriser les matériaux biosourcés, elle n’est même plus considérée.

Luc Lombard
Luc Lombard - © Fanny Krackenberger

Comment vous préparez-vous à ces nouvelles contraintes ?

TA : Nous avons élargi les compétences de nos ouvriers. Historiquement, nous avions des maçons et des coffreurs. Désormais, certains savent aussi poser des structures bois complexes. Ce n’est pas seulement une démarche écologique, mais une réponse aux exigences du marché.

LL : Cette évolution ne concerne pas que le bois. Chaque matériau doit être évalué. Le béton, par exemple, reste très énergivore, mais des alternatives bas carbone émergent. Elles nécessitent des adaptations, car leur mise en œuvre est plus lente. À l’inverse, le bois implique beaucoup de préparation en usine, mais un montage rapide sur chantier. Le calendrier global ne change pas, mais l’organisation, elle, est bouleversée.

Comment les différentes entités du groupe collaborent-elles ?

TA : Nous capitalisons sur l’expérience de Tom Wood, spécialisé dans l’ossature bois pour maisons unifamiliales. Même si les techniques diffèrent du multirésidentiel, il existe de vrais transferts de compétences. Les retours de terrain circulent et enrichissent toutes les équipes.

LL : Le bois n’est pas une nouveauté pour le groupe : menuiserie, activité forestière, construction unifamiliale… Mais dans le collectif, les solutions sont différentes : ossature légère pour une maison, CLT pour un immeuble. Le défi, c’est de passer à l’échelle supérieure.

Quelles autres pistes explorez-vous pour réduire l’empreinte carbone ?

LL : L’impact carbone se mesure de la conception à la fin de vie du bâtiment. Nous privilégions des isolants biosourcés comme la laine de bois, des châssis en aluminium recyclé, et encourageons le réemploi – par exemple la récupération de faux planchers. L’idée est de démonter plutôt que de démolir.

TA : Les techniques jouent aussi un rôle central : pompes à chaleur, géothermie, photovoltaïque, LED… Chaque choix contribue à diminuer la consommation d’énergie sur le long terme. L’objectif reste l’autonomie énergétique, même si nous n’y sommes pas encore.

Les contraintes viennent-elles surtout des communes ou de l’Europe ?

LL : Elles émanent principalement de l’Europe et du gouvernement. Les maîtres d’ouvrage privés y sont sensibles, mais les communes imposent encore peu de choses.

TA : Nous recevons les objectifs d’en haut, et c’est à nous d’innover pour les atteindre. Notre rôle n’est pas de définir la règle, mais de trouver des solutions pour nous y conformer.

Cette transformation a-t-elle modifié la culture interne ?

TA : Clairement. Conducteurs et gestionnaires de chantier ont pris conscience qu’ils doivent évoluer. En deux ans, le carbone est passé d’un sujet annexe à une évidence partagée.

Thibaud Allard
Thibaud Allard - © Fanny Krackenberger

LL : Nous devons anticiper pour ne pas être dépassés. En France, Bouygues et Vinci ont racheté des filiales bois pour rester dans les wagons de tête. Le risque serait d’attendre que la réglementation luxembourgeoise devienne contraignante pour réagir.

Qu’en est-il des architectes ?

LL  : Le choix des matériaux change les règles du jeu. Un immeuble en bois impose des trames plus serrées, des solutions acoustiques et thermiques spécifiques. On ne conçoit pas de la même manière qu’avec du béton.

TA : Même chose pour l’étanchéité. Le bois nécessite des membranes adaptées. C’est une nouvelle approche, que nos ouvriers doivent maîtriser.

LL : Enfin, la réflexion dépasse la structure. Nous intégrons des équipements plus performants, parfois plus coûteux à l’achat, mais qui garantissent une meilleure efficacité sur la durée.

TA : Reste une question essentielle : quand atteint-on la rentabilité carbone d’un bâtiment ? Investir plus aujourd’hui permet de consommer moins demain, mais si l’équilibre n’est atteint qu’au bout de trente ans et que le bâtiment est démonté à ce moment-là, le calcul change. C’est une réflexion que nous devons avoir à chaque projet.

Propos recueillis par Sébastien Yernaux
Photos : Fanny Krackenberger

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Publié le jeudi 2 octobre 2025
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