Produire des denrées alimentaires ou des combustibles sur notre sol ?

Produire des denrées alimentaires ou des combustibles sur notre sol ?

Il y a une décennie seulement, la production de biocarburants à partir de plantes a été saluée comme une solution alternative écologique aux combustibles fossiles. On considère depuis peu qu’elle concurrence la production de denrées alimentaires et ne constitue pas toujours une solution efficace dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou des polluants atmosphériques. Nous avons évoqué avec Irini Maltsoglou, responsable des ressources naturelles à la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), la production de biocarburants et l’agriculture, et nous lui avons demandé si et comment les biocarburants pouvaient être produits de manière durable.

Pourquoi la production de biocarburants est-elle si controversée depuis quelques années ?
Les inconvénients des biocarburants concernent plus généralement la production agricole non durable. Comme toute activité agricole, la production de biocarburants peut avoir des incidences négatives lorsqu’elle ne tient pas compte de la communauté ou de la main-d’œuvre locales, et ne prend pas en considération le contexte environnemental et social. Il ne s’agit pas d’une formule très directe dans le sens où, comme pour toute forme de production agricole, nous devons observer ce qui est actuellement produit et étudier comment les biocarburants pourraient être intégrés dans cette production locale. Nous avons également besoin d’évaluer dans quelle mesure la production de biocarburants peut contribuer à la réduction de la pauvreté et au développement économique locaux.

Nous ne pouvons donc pas affirmer que la production de biocarburants est mauvaise en soi. Cela dépend beaucoup du type de pratiques agricoles adoptées et de leur caractère durable ou non. À titre d’exemple, la production agricole dans une zone de forêt naturelle (biocarburants ou autres cultures) aurait des impacts très négatifs parce qu’elle utiliserait des terres qui devraient être préservées. En revanche, une structure de production de biocarburants spécifique et durable, utilisant des terres adaptées et s’efforçant d’impliquer les agriculteurs locaux, pourrait bénéficier à la communauté locale et offrir de nouvelles perspectives économiques.

La production de biocarburants concurrence-t-elle la production de denrées alimentaires en ce qui concerne les ressources terrestres et hydrauliques ?
Cette dichotomie (biocarburants ou denrées alimentaires) simplifie exagérément une question très complexe. En premier lieu, les biocarburants dépendent fortement du contexte et du pays. Nous devons étudier le contexte national pour voir si la production spécifique de biocarburants envisagée est viable dans ce paysage agricole précis. De même, nous devons examiner pourquoi un pays produit des biocarburants et quel est son objectif. Ce pays souhaite-t-il conquérir un nouveau marché agricole ou réduire les émissions de gaz à effet de serre ? À titre d’exemple, dans un pays où les rendements sont actuellement très faibles et où des investissements supplémentaires pourraient favoriser l’augmentation de la productivité agricole, les biocarburants pourraient être une option valable s’ils sont intégrés dans le système de production agricole.

Il y a quelques années, les experts examinaient les relations entre les biocarburants et la hausse du prix des denrées alimentaires. Il n’y avait pas de consensus nettement défini. Dans l’ensemble, ils ont convenu qu’un grand nombre de facteurs contribuaient à l’augmentation du prix des denrées alimentaires. La production de biocarburants était l’un des nombreux facteurs de cette augmentation, parallèlement au déclin des investissements dans l’agriculture, à la diminution des stocks céréaliers, à la croissance démographique, à la croissance économique, aux changements des habitudes alimentaires, etc. Les experts n’ont pas réussi à s’entendre sur la part de responsabilité des biocarburants. L’éventail des facteurs était relativement large, et la contribution des biocarburants était comprise entre 3 % et 75 % de la hausse des prix.

Les biocarburants de seconde génération sont-ils plus efficaces en termes d’utilisation des sols et de l’eau ?
À ce stade, on ne sait pas encore si les biocarburants de seconde génération apportent toujours une solution viable au problème. Il semblerait, en effet, que certains biocarburants de première génération soient nettement plus adaptés dans des contextes spécifiques. La technologie de seconde génération n’est pas encore mûre et semble ne pas avoir véritablement dépassé le mode pilote ou expérimental. Les matières premières et la capacité technique posent également des problèmes. En d’autres termes, nous ignorons si nous pouvons produire suffisamment de cultures appropriées ou si nous disposons de la technologie adéquate et d’une capacité de production suffisante. De plus, la technologie de seconde génération reste très onéreuse.

Nous avons effectué quelques calculs rapides pour comparer une option de première génération (betterave à sucre) avec une option de seconde génération (miscanthus). Les chiffres ont démontré que la plantation de betterave à sucre (c’est-à-dire un bio-carburant de première génération) permettait d’obtenir plus d’éthanol à partir de la même parcelle de terre que la plantation de miscanthus (une source de bio-carburant de seconde génération). Nous aurions également besoin de plus d’eau pour le miscanthus. De même, nous pourrions avoir besoin de plus d’électricité en tant qu’apport énergétique pour produire des biocarburants de seconde génération, mais cela dépendrait beaucoup de la technologie sélectionnée et des éventuelles boucles de rétroaction dans le système de seconde génération.

Ces questions dépendent de l’agriculture de base. Êtes-vous dans un pays adapté à la production de betterave sucrière ? Les agriculteurs ont-ils une longue expérience de cette culture ? Si tel est le cas, la betterave sucrière est une meilleure option, en particulier si nous prenons en compte le degré de maturité de la technologie disponible. Êtes-vous dans un pays où la production de biocarburants de seconde génération est plus viable ? Si tel est le cas, ce pourrait être une option. À ce stade, toutefois, la création d’une installation de seconde génération à partir de zéro nécessite de vastes investissements. Les investissements requis pour une installation de production de biocarburants de seconde génération sont quatre à cinq fois plus élevés que ceux nécessaires pour une installation de première génération.

Les biocarburants peuvent-ils devenir une source d’énergie propre pour l’Europe ?
Quelle que soit la localisation, la question clé consiste à savoir si les biocarburants peuvent être une option viable en matière d’énergie propre. Cela dépend beaucoup de l’origine des matières premières et de la possibilité de les produire durablement. Le pays en question dispose-t-il de la culture agricole qui permettra de produire les biocarburants ? Les agriculteurs recherchent-ils un débouché pour leur produit agricole ? Quel est l’objectif de la production de biocarburants ?

En Europe, les biocarburants sont jugés intéressants pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et diversifier les sources d’énergie domestique. Dans ce cas, il faut se demander si cette chaîne spécifique de biocarburants atteint ou non ces objectifs. L’étape suivante consisterait alors à déterminer si les pays européens ont la capacité de produire les matières premières ou s’ils doivent s’approvisionner en matières premières à l’extérieur de l’Europe. Si l’objectif principal est de diversifier les sources d’énergie domestique et d’accroître la sécurité énergétique, les matières premières devront probablement être produites en Europe. Si la priorité est de réduire les émissions de gaz à effet de serre, d’autres options pourront aussi être envisagées.

Quel est le rôle de la FAO en matière de biocarburants ?
La FAO couvre, en réalité, un domaine plus vaste : elle travaille sur la bioénergie. Nous voyons la bioénergie comme une forme d’énergie renouvelable qui provient de l’agriculture. Lorsque des pays réclament notre aide, nous essayons en premier lieu de découvrir la raison principale pour laquelle ils envisagent de recourir à la bioénergie. Recherchent-ils la sécurité énergétique ? Essaient-ils de stimuler le secteur agricole et de créer des emplois ? Il est même possible qu’ils souhaitent assurer une production durable de charbon de bois pour la cuisine et le chauffage. Leur demande est-elle liée aux perspectives de développement rural ou à l’électrification rurale ? L’accès rural aux réseaux électriques est souvent très limité dans de nombreux pays en développement, et l’utilisation de résidus agricoles pour produire de l’électricité pourrait fournir une solution viable si les résidus ne sont pas utilisés.

En collaboration avec les pays, nous définissons les options envisageables étant donné le contexte et les besoins spécifiques à chaque pays. Pour évaluer le potentiel bioénergétique, nous disposons d’un vaste ensemble d’outils, qui inclut le secteur agricole, et permet donc prendre en compte la sécurité alimentaire. Nous l’utilisons pour aider les pays à formuler une feuille de route bioénergétique et à évaluer leur capacité technique.

Durant ces dernières années, nous avons examiné de plus près les résidus agricoles et la production de bioénergie. Nous nous efforçons de nous intéresser aux résidus agricoles qui sont durables et assurent une sécurité alimentaire. Bien que ce soit explicitement interdit dans la plupart des cas, ces résidus sont très souvent brûlés, ce qui constitue une autre source d’émissions de gaz à effet de serre. Dès lors, construire des chaînes d’approvisionnement en bioénergie autour des résidus agricoles permettrait à la fois de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de répondre à une partie des besoins énergétiques existants. L’année prochaine, nous étudierons comment mobiliser cette biomasse. Les résidus agricoles sont souvent éparpillés, et les recueillir s’avère donc problématique. Outre les centres de collecte, nous pourrions examiner les éventuels avantages pour les agriculteurs et le prix d’achat des résidus agricoles par le secteur industriel. Ces résidus pourraient alors devenir des produits trop précieux pour être brûlés.

Irini Maltsoglou, responsable des ressources naturelles (chef adjoint de l’équipe « Énergie ») - Division du climat et de l’environnement - Département du climat, de la biodiversité, des terres et des eaux - Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)

Source : Agence européenne pour l’environnement

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Publié le mardi 9 janvier 2018
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