Le festival AlimenTERRE et Milked questionnent notre consommation de lait

Le festival AlimenTERRE et Milked questionnent notre consommation de lait

Opaque de nature, le lait dissimule des impacts environnementaux et sociaux interpellants. C’est ce que met en lumière le documentaire Milked, production néo-zélandaise sortie dans les salles en 2021 et toujours très actuelle. Il était à l’affiche du festival AlimenTERRE de SOS Faim le 12 novembre dernier, avec CELL, les ambassadeurs du Pacte Climat européen, UNature et Sodexo.

La « Soirée des Ambassadeurs du Pacte Climat européen », organisée dans le cadre du festival AlimenTERRE, a rassemblé quelque 400 personnes au Kinepolis pour le visionnage du documentaire Milked et la keynote de Julie Schadeck (UNature Luxembourg).

Le déclic des documentaires

Cette projection était co-organisée par Marie-Béatrice Noble, ancienne avocate devenue ambassadrice Climat : « Il y a trois ans, deux événements ont complètement changé ma vie - et celle de mon mari ! Le premier, ce fut la découverte d’une cuisine végétarienne délicieuse, et le second, un documentaire intitulé Cowspiracy. »


« Cowspiracy a indéniablement été notre moment déclic ! Et pour être honnête, ce fut un véritable choc — réaliser à quel point notre système alimentaire affecte négativement notre monde et notre santé. »

Marie-Béatrice Noble, ambassadrice Pacte Climat européen

Marie-Béatrice Noble, ambassadeur Pacte Climat européen
Marie-Béatrice Noble, ambassadeur Pacte Climat européen - ©Brice Mouget

En 2014, les Américains Kip Andersen et Keegan Kuhn s’étaient penchés sur les problématiques environnementales causées par l’élevage, en particulier aux États-Unis.

À travers un changement (non radical) de régime alimentaire et la réduction de l’empreinte carbone liée à leur mode de vie, le couple a décidé de réagir. Et pour Marie-Béatrice Noble, il était évident que d’autres personnes pouvaient franchir le cap, sous réserve d’être informées. C’est ce qui l’a menée à devenir ambassadrice du Pacte Climat européen et de rejoindre SOS Faim dans l’organisation du volet corporate du Festival AlimenTERRE.

Des chiffres qui rendent aigres

C’est également Cowspiracy qui a incité le jeune activiste néo-zélandais Chris Huriwai à s’intéresser à la production laitière de son pays. Connu pour ses paysages variés, ses kiwis et son activité volcanique, Aotearoa est également le plus gros exportateur de lait au monde. Un pays qui ne connaissait pourtant pas la vache avant la colonisation.

Alors qu’il essaie – en vain – de discuter avec des représentants de Fonterra (plus importante entreprise de la Nouvelle-Zélande en 2020, selon Deloitte, et coopérative de 10.000 fermiers), Chris Huriwai rencontre des agriculteurs et des citoyens impactés par la production laitière nationale. Avec 5 millions d’habitants pour plus de 6 millions de vaches, la Nouvelle-Zélande illustre parfaitement la pression du modèle agro-industriel. Une réalité méconnue qui explique en partie l’essor fulgurant du secteur laitier néo-zélandais.

Alors que 95% de la production est dédiée à l’export, tout l’impact écologique de l’industrie laitière repose sur les deux îles et ses habitants.

Quelques chiffres tirés du reportage :

  • En Nouvelle-Zélande, l’agriculture est responsable de 48% des émissions de gaz à effet de serre, parmi lesquelles 23% sont dus à la production laitière (le méthane est un gaz à effet de serre, et est 84 fois plus impactant que le dioxyde de carbone sur une période de 20 ans)
    - ©Milked
  • 82% des cours d’eau des bassins versants d’élevage pastoral sont contaminés par les effluents des vaches…
  • … notamment par le nitrate, qui rend l’eau impropre à la consommation et à la baignade.
    - ©Milked
  • L’estimation annuelle de la consommation d’eau par l’industrie laitière avoisine les 4,8 milliards de mètres cubes, soit 11 fois la consommation d’eau de la population humaine.
  • Chaque année, le pays perd 192 millions de tonnes de sol dont presque la moitié provient des pâturages, selon un rapport environnemental publié en 2018 par le ministère de l’Environnement.
  • Fonterra produit plus de 44 millions de tonnes de GES par an, soit plus que la Suède entière, avec 10 millions d’habitants.


« Le cheptel laitier national, à lui seul, produit autant d’excréments qu’environ 90 millions de personnes. »

Milked

- ©Milked

Une (meilleure) vie sans lait ?

Les réalisateurs questionnent aussi la nature de notre consommation de lait : « Nous sommes le seul mammifère à continuer à boire du lait tout au long de notre vie, des années après notre âge naturel de sevrage, qui se situe entre 2 et 3 ans. Le lait que nous continuons à consommer bien après notre sevrage n’est même pas le nôtre. Nous sommes le seul mammifère à boire constamment le lait d’une autre espèce. »

65 à 70% des adultes seraient d’ailleurs intolérants au lactose – avec des moyennes allant de 10% pour les nord-européens, à 95% pour les asiatiques.

Chris Huriwai, co-producteur et narrateur
Chris Huriwai, co-producteur et narrateur - ©Milked

Le documentaire expose les problèmes de santé mentale des fermiers, notamment ceux survenus suite à l’épidémie de mycoplasma bovis (2017), durant laquelle environ 180.000 animaux ont dû être abattus, causant d’énormes pertes financières et des traumatismes importants auprès des éleveurs. Entre 2011 et 2020, 167 fermiers kiwis se sont donné la mort.

Durant 1h30, les chiffres, témoignages et images se succèdent et dénoncent une industrie bien moins blanche qu’elle n’y paraît. Citons encore la maltraitance des animaux et l’abattage quotidien de 33.360 veaux (6 jours sur 7).


« Le film n’est pas parfait et manque de nuance. Il existe des pratiques régénératives magnifiques, le volet santé peut faire débat, etc…Mais - on est tous d’accord - l’intensif et la surconsommation, ça n’est pas durable. »

Marie-Béatrice Noble, ambassadrice Pacte Climat européen


« Vous devez vous désensibiliser à cela. Si vous ne le faites pas, vous risquez de finir en épave, tremblant, incapable de continuer. »

Tom Welch, éleveur laitier néo-zélandais

On y rencontre Jane Goodall, Suzy Amis Cameron - épouse du réalisateur James Cameron, et agricultrice bio en Nouvelle-Zélande – ainsi que Keegan Kuhn (Cowspiracy).


« Nous avons tous une responsabilité, car chaque jour où nous vivons, nous avons un impact sur la planète. Nous avons le choix du type d’impact que nous allons avoir.
Si des milliards de personnes font chaque jour des choix éthiques — même petits — cela mènera au changement. Et un jour, l’impossible sera devenu possible — et nous aurons changé le monde. »

Dr Jane Goodall, dans Milked

Milked propose trois pistes pour sortir de cette situation :

  1. Aider les agriculteurs à sortir de la filière laitière (en s’orientant vers des cultures végétales, par exemple le chanvre)
  2. Réensauvager les terres avec des espèces indigènes
  3. Choisir des aliments d’origine végétale

Et au Luxembourg ? Une réalité mondiale qui trouve aussi un écho local

À moindre échelle, le Luxembourg produit toujours davantage de lait. Selon le ministère de l’Agriculture : « Entre 2015 et 2024, le nombre de vaches laitières a augmenté de 20% (en revanche le nombre de bétail bovin a diminué de 7,9 %). » Cette hausse contraste avec la tendance européenne à la baisse du cheptel laitier.

En termes de production, alors que la moyenne en UE s’élevait en 2023 à 7.800 kg de lait par vache, au Luxembourg, « le rendement laitier moyen par vache laitière a augmenté, passant de 6.863 kg en 2015 à 8.714 kg en 2024. » Le Grand-Duché produisait par ailleurs moins de 4.000 kilos de lait par vache en 1980 (chiffres du Ministère).

« Ces deux facteurs combinés ont entraîné une augmentation de la production nationale de lait de vache de 52 % pour la période 2014-2024, aboutissant à un volume de production de 482.904 tonnes de lait de vache en 2024. »

À titre comparatif, la Nouvelle-Zélande a produit plus de 21 millions de tonnes de lait en 2023.

Se reconnecter avec la nature pour l’apprécier et la respecter


« Si le nitrate rendait nos rivières rouges, vous savez, nous n’aurions pas ce problème. C’est seulement parce que les gens ne le voient pas. Ils ne savent pas que c’est là. »

Dr Mike Joy, écologue spécialiste des eaux douces, dans Milked

Après la projection, la directrice générale d’UNature, Julie Schadeck, a pris la parole pour rappeler que de telles dérives sont en grande partie dues au fait que nous sommes déconnectés de la nature.

Julie Schadeck : « Changement climatique, perte de biodiversité, pollution, crise de la santé mentale, crise de la santé physique… Nous abordons ces problèmes un par un, comme s’il s’agissait de phénomènes séparés et indépendants les uns des autres. Mais s’ils ne l’étaient pas ? Et si tous ces problèmes n’étaient pas seulement interconnectés, mais en réalité les symptômes d’une cause bien plus profonde ? Et cette cause, c’est notre déconnexion avec la nature. Des chercheurs du monde entier désignent aujourd’hui la séparation entre les humains et la nature comme l’une des causes profondes du déclin environnemental que nous observons. »

La connexion entre nature et humains est primordiale pour faire (re)naître une émotion à son contact. « Il s’agit de renouer une relation avec ce qui nous fait vivre, avec ce que nous cherchons précisément à préserver. Et je ne dis pas que nous n’aurons plus besoin de technologie, d’innovation ou de tous les outils dont nous disposons, mais ils auront tellement plus de sens si nous savons pourquoi et dans quel but nous les utilisons. »

- ©Brice Mouget


« C’est toujours un sentiment mitigé. C’est comme si on vous mettait un miroir devant le visage et que vous voyiez l’impact de vos choix, la façon dont ils agissent. Mais en même temps, cela vous donne aussi du pouvoir, car maintenant vous savez, et vous pouvez vraiment aller changer les choses. »

Julie Schadeck (UNature Luxembourg) interrogée sur ses impressions concernant Milked

Qui sont les ambassadeurs du Pacte Climat européen ?

Une vingtaine d’ambassadeurs luxembourgeois du Pacte Climat européen étaient présents à la projection, dont Jennifer Feschuk, coordinatrice nationale et membre de CELL – Citizens for Ecological Learning & Living.


« Les ambassadeurs sont des personnes qui comprennent que le vrai changement commence en soi, et qu’il se construit à l’échelle locale. Et cela peut commencer par une simple conversation : autour de la table du dîner, peut-être, avec vos enfants ; ou dans la rue avec un voisin ; ou dans une cour de récréation pendant un match ; au bureau ; ou même ici, ce soir. »

Jennifer Feschuk, coordinatrice Pacte Climat européen pour le Luxembourg

Ces volontaires créent un pont entre les communautés locales et la Commission européenne en se joignant à des initiatives variées liées à la cause climatique, pour créer l’engagement social, comme Dr Jane Goodall le faisait encore récemment : « son travail a inspiré des millions de personnes à comprendre comment elles pouvaient rendre notre monde meilleur. »

À la sortie de la salle, un menu végétalien était proposé par quatre chefs de Sodexo. L’occasion de démontrer qu’une alimentation plus durable et sans aliment d’origine animale, est également possible et savoureuse. Les invités ont pu clôturer la soirée en partageant leurs impressions, leurs déclics et leurs premières pistes pour faire face aux challenges de notre système alimentaire, en démarrant ici, au Luxembourg.

Marie-Astrid Heyde
Photos : Brice Mouget

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Publié le mercredi 19 novembre 2025
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