La prime à l'électromobilité est essentielle, mais elle ne suffira pas

La prime à l’électromobilité est essentielle, mais elle ne suffira pas

Le document de travail numéro 34 publié par IDEA analyse l’efficacité des incitations environnementales, avec une première étude sur le marché de l’électromobilité au Luxembourg. Elle révèle que, malgré un contexte favorable et des primes substantielles, la dynamique actuelle ne permettra pas d’atteindre les objectifs que le pays s’est fixé.

Lors de la conférence de presse de présentation du document de travail numéro 34 d’IDEA, le directeur du think tank, Vincent Hein, a rappelé les ambitions du Luxembourg en matière d’électromobilité. « Le PNEC vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % en 2030 par rapport au niveau de 2005. Pour cela, il fixe l’objectif d’un parc automobile composé à 49% de véhicules électriques et hybrides rechargeables d’ici 2030. »

Pour atteindre ces ambitions, le gouvernement prévoit de mettre la main à la poche. « D’après les données que nous avons collectées dans le budget de l’État pour 2026 qui est actuellement en débat à la Chambre des députés, les mesures de subvention à l’électromobilité coûteront, sur six ans, environ 275 millions d’euros, soit près de 45 millions d’euros par an. Ce n’est pas la mesure la plus coûteuse, mais c’est tout de même un engagement financier important. »

IDEA se demande alors si « les instruments financiers actuels - principalement des primes - sont suffisants pour accélérer le passage à l’électromobilité ? Si oui, à quel coût ? Si non, quelles sont les alternatives ? » explique Frédéric Meys, économiste au sein de l’équipe Transition énergétique et bas carbone, qui a réalisé l’étude.

Dans son analyse, il répond à quatre questions :

  • Sommes-nous sur la bonne voie pour réussir l’objectif du PNEC d’atteindre un parc automobile composé à 49% de véhicules électriques et hybrides rechargeables ?
  • Avec les politiques publiques actuelles, basculer d’une voiture thermique à une voiture électrique est-il économiquement favorable pour les utilisateurs ?
  • Quel est le coût, par tonne de CO₂ économisé, des primes à l’électromobilité ?
  • Quelles sont les pistes pour accélérer la transition et mieux se préparer aux prochaines échéances (notamment l’interdiction des ventes de voitures neuves thermiques en 2035 dans l’UE)

Des atouts concrets pour le Luxembourg, malgré certains freins

En mai 2025, la proportion de véhicules hybrides et électriques rechargeables représentait 11,6% du parc automobile total, « ce qui place le Luxembourg en troisième position au niveau européen » commente l’économiste. « Mais selon nos projections pour 2030, si la tendance se poursuit, le pays atteindra seulement entre 17 et 20 % d’électriques et d’hybrides dans le parc automobile total. C’est loin de l’objectif fixé. »

Le pays ne manque pourtant pas d’atouts pour opérer cette transition. « Le parc automobile est relativement jeune au Luxembourg par rapport à la moyenne européenne. Ici, la moyenne d’âge d’un véhicule est de 8 ans, tandis qu’au niveau européen, il atteint plutôt les 12 ans et demi. » Le niveau de vie élevé des résidents luxembourgeois leur « permet d’absorber le surcoût initial des véhicules électriques ». Les entreprises bénéficient aussi d’une fiscalité orientée vers l’électrique pour leurs voitures de société, qui représentent à elles seules 22 % du parc automobile total du Luxembourg. « Il faut aussi noter la bonne couverture du territoire en infrastructures de recharge, notamment par rapport à d’autres pays européens ».

Mais sur le chemin de l’électrification, certains freins persistent. « Malgré les primes, le coût d’acquisition d’un véhicule électrique reste significativement plus élevé que pour un véhicule thermique équivalent. » Pour les propriétaires d’appartement ou les locataires en général, l’accès à une borne de recharge peut être complexe, ce qui implique des difficultés logistiques quotidiennes. « Il y a aussi un aspect plutôt psychologique, toujours présent dans les sondages d’opinion qui sont faits au niveau des consommateurs : c’est l’anxiété en termes d’autonomie, qui est perçue comme toujours trop limitée pour les véhicules électriques. » Enfin, le marché des véhicules électriques est encore en développement, avec une gamme de modèle encore limitée pour certains segments.

L’État passe à la caisse

Afin de savoir s’il est financièrement intéressant pour le consommateur de choisir un véhicule électrique plutôt qu’un thermique, IDEA a réalisé une « analyse comparative des coûts de détention (carburant ou électricité, entretien, assurance…) sur 15 paires de véhicules comparables, l’un électrique et l’autre étant son équivalent thermique. » Deux scénarios ont été étudiés : un achat sur une période de 6 ans avec 15.000 km par an, et un leasing sur 3 ans, avec 20.000 km par an. Verdict : grâce aux primes existantes au Luxembourg, « l’électrique est plus intéressant que le thermique dans presque tous les cas envisagés. La différence est encore plus marquée pour le leasing. Par contre, sans les primes, l’avantage s’inverse et c’est le thermique qui devient plus intéressant financièrement. »

Dans l’étude, on trouve également le calcul des coûts d’abattement, une méthode qui rapporte le coût d’une initiative environnementale aux quantités d’émissions de gaz à effet de serre (GES) évitées grâce à celle-ci. Frédéric Meys explique : « Pour arriver à ce coût par tonne de CO₂ évitée, on va d’abord regarder quel est l’impact au niveau public, et puis quel est l’impact au niveau privé pendant toute la durée de vie du véhicule. » Le coût pour les pouvoirs publics représente le montant de la prime octroyée, la perte fiscale due à la taxe de circulation moins élevée et aux pertes fiscales sur l’énergie. Le coût pour la personne privée correspond au prix d’achat dont on déduit la prime, le coût d’entretien, les dépenses d’énergie et la taxe de circulation. Pour ce calcul, l’empreinte carbone du véhicule à prendre en compte dépend de l’origine de l’électricité qu’il consomme (produite au Luxembourg ou importée) et de son lieu de production (en Europe ou en dehors).

Tableau page 36 du Document de travail numéro 34
Tableau page 36 du Document de travail numéro 34 - © IDEA

Au final, le coût carbone pour les pouvoirs publics est d’entre 533 et 1.252€/tCO₂ évitée. Pour les personnes privées, ce n’est pas un coût mais un bénéfice, qui peut aller de 140 à 329€/tCO₂ évitée. « Ces résultats montrent que la stratégie de la décarbonation par le véhicule électrique semble relativement coûteuse. » À titre de comparaison, la taxe carbone nationale et ETS 1 (Échange de Quotas d’Émission de l’UE) à un coût d’abattement d’environ 75€/tCO₂ évitée. « Il pourrait y avoir d’autres leviers, avec des coûts par tonne de CO₂ évitée plus faibles, qui pourraient être explorés au Luxembourg », suggère Frédéric Meys.

Des pistes à explorer pour accélérer la transition de la mobilité

Il propose plusieurs pistes, « inspirées de mesures mises en place dans d’autres pays, qui pourraient accélérer l’adoption de l’électrique, tout en réduisant l’impact budgétaire. » Il cite le leasing social, la déduction de la prime directement à l’achat du véhicule, la mise en place de zones à faibles émissions ou encore d’une taxe de mise en circulation. Certaines méritent cependant un accompagnement ciblé, au risque de créer une inégalité - voire une exclusion - sociale pour les ménages les plus modestes.


« Nous ne disons pas que la prime n’est pas la bonne manière de faire, mais nous donnons son coût, qu’il faudra comparer à d’autres mesures pour évaluer son efficacité. Ce coût pourrait aussi être compensé par d’autres initiatives qui viendraient compléter la ‘boîte à outils’ des politiques publiques. »

Vincent Hein, directeur d’IDEA

« Le Luxembourg progresse, mais à un rythme insuffisant par rapport aux objectifs qu’il s’est fixé », conclut l’économiste, en précisant que « la transition ne peut pas se résumer à remplacer un moteur thermique par un moteur électrique. Elle implique la mobilité d’une manière bien plus large, impliquant par exemple des travaux d’urbanisme, des investissements publics, des alternatives modales. »

Léna Fernandes

Article
Publié le lundi 8 décembre 2025
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