Focus sur la paille

Focus sur la paille

Interview de Julien Lefrancq, administrateur de PailleTech.

Parmi les matériaux biosourcés (re)prenant une place prépondérante auprès des férus de construction durable et circulaire, la paille : en tant que masse isolante mais également, dans certains cas, en tant que matériau participant en tout ou en partie à la stabilité de l’ouvrage – cf. Neomag #40, Strohhaus de Georg Bechter. Elle a été mise en œuvre dans les façades du projet de bureaux Dellizotti à Bettembourg.

En résumé, pourquoi la paille plutôt qu’un autre matériau biosourcé ?

Le ballot de paille, en plus de tous les avantages écologiques liés aux matériaux biosourcés, est un isolant qui peut être directement enduit d’argile en forte épaisseur sans matériaux d’interposition. Sa densité importante lui confère une forte capacité thermique très favorable pour limiter la surchauffe estivale. Aussi, contrairement à la plupart des isolants biosourcés, il ne nécessite aucune transformation : le ballot sortant directement du champ, il ne nécessite aucun adjuvant complémentaire (fibres synthétiques) comme pour la plupart des autres isolants en fibres végétales qui, sans cet ajout, ne disposent pas d’une « tenue » (rigidité) suffisante : une laine de bois ou de chanvre compte par exemple environ 15 % de fibres synthétiques ! D’un point de vue sociétal, c’est également une plus-value pour l’agriculteur souhaitant valoriser sa paille à un meilleur tarif, sans intermédiaire(s).

La paille est-elle suffisamment abondante et ne contrarie-t-elle pas d’autres secteurs ?

Dans notre système agricole actuel, la paille n’est quasiment plus valorisée et représente une ressource abondante ; dans nos régions, nous sommes très loin d’une pénurie.

Quels sont aujourd’hui les principaux systèmes constructifs en paille et en quoi se différencient-ils ?

Le 1er système historiquement rencontré avec l’usage de la botte de paille en construction est la technique dite « Nebraska », apparue au États-Unis vers 1886 et qui consiste simplement à empiler des bottes comme une maçonnerie, puis à enduire les deux faces. Pas de structure complémentaire en bois dans cette technique généralement réservée à l’autoconstruction de petits bâtiments, et assez difficile à dimensionner.

La technique actuellement la plus répandue est la réalisation de caissons en ossature bois traversante, sur lesquels sont apposés des panneaux sur chacune des faces, ainsi que les membranes nécessaires à l’étanchéité à l’air. En somme, une ossature bois classique dans laquelle on remplace l’isolant conventionnel par la botte de paille. Cette opération se réalise sur chantier ou en préfabrication, cette dernière étant aujourd’hui la plus répandue chez les professionnels ; ce qui est dommage dans ce système, c’est la faible valorisation de la botte comme support d’enduit alors qu’elle en a la capacité !

Une dernière solution consiste à réaliser une ossature sur chantier et à enduire la paille d’argile sur place, ce qui présente l’inconvénient de longues phases de chantier pour le séchage des enduits.

Quelles sont les particularités et propriétés du système développé par PailleTech ?

Chez PailleTech, nous avons voulu concilier « le meilleur des deux mondes », à savoir la préfabrication des éléments en atelier avec une ossature bois et un panneau contreventant en face extérieure pour permettre un dimensionnement aisé (basé sur les Eurocodes) tout en supprimant les membranes frein-vapeur, en appliquant un enduit de très forte épaisseur sur la face intérieure en guise de finition. Pour éviter de longues phases de séchage et garantir la parfaite planéité des enduits, ceux-ci sont également réalisés en atelier - ce qui, à notre connaissance, nous différencie de l’ensemble des autres constructeurs actuels. Nous plaçons en moyenne 120 kg de couche de corps d’enduit par m2 de paille, garantie d’une inertie thermique bien plus favorable qu’une plaque de parachèvement classique (par exemple en carton-plâtre) avec une qualité écologique bien supérieure et avec une capacité de régulation hygrométrique idéale (terre crue).

Le syndrome des trois petits cochons… ainsi que la question récurrente : comment la paille réagit-elle au feu ?

Elle présente un excellent comportement au feu : nous sommes pour notre part en possession d’un agrément REI 60 qui pourrait sans doute passer à 90 minutes après test destructif.

Ce projet de bureaux à Bettembourg est-il fort différent de votre travail habituel ?

Ce projet est probablement un des tournants de la construction paille au vu du secteur visé et de la taille du chantier. Même si nous commençons depuis quelques années à être sollicités sur des petits marchés publics (écoles par exemple) ce grand projet tertiaire avec technique en mur-rideau sera une première et cette réflexion en bouwteam sur l’ensemble du système, des interfaces et du process représente certainement un grand plus.

C’est le second projet de PailleTech au Luxembourg, que pensez-vous pouvoir apporter au marché résidentiel ?

L’idée serait que des entrepreneurs désireux de développer notre système puissent un jour accéder à une licence permettant de développer le produit à l’étranger. En effet, nous ne souhaitons pas, pour des raisons écologiques et idéologiques rayonner sur un territoire illimité. Nous sommes néanmoins conscients que ce potentiel de développement devra d’abord passer par certaines réalisations phares menées par nos équipes, afin d’insuffler la volonté aux candidats potentiels de collaborer au développement d’infrastructures permettant de développer comme chez nous un emploi local, non délocalisable.

Propos recueillis par Régis Bigot, architecte & IPM Neobuild GIE
Extrait du NEOMAG#52
Plus d’informations : http://neobuild.lu/ressources/neomag
© NEOMAG - Toute reproduction interdite sans autorisation préalable de l’éditeur

Légende photo : habitation à La Glanerie, Belgique©Photo Lefrancq Mons

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Publié le mercredi 1er mars 2023
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