Eau potable au Luxembourg : état des lieux

Eau potable au Luxembourg : état des lieux

Interview de Jean-Paul Lickes, directeur de l’Administration de la gestion de l’eau.

Jean-Paul Lickes
Jean-Paul Lickes

Quelle est la situation aujourd’hui en matière d’eau potable au Luxembourg ? Comment les choses vont-elles évoluer ? quelles solutions l’Administration de la gestion de l’eau envisage-t-elle pour anticiper les évolutions qui se profilent déjà ?

Quelles sont nos réserves d’eau et que consomme-t-on chaque jour ?

Nous distribuons en moyenne 120 000 m3 d’eau chaque jour, ce qui équivaut à environ 130 l par habitant – 200 l si l’on compte tout le secteur économique. Bien que nous gagnions entre 13 000 et 14 000 résidents chaque année, ce chiffre est resté le même durant la dernière décennie.

Ceci est dû à deux facteurs : d’une part, les équipements ménagers qui utilisent de l’eau (lave-linge, lave-vaisselle, toilettes, etc.) se sont modernisés et ont une consommation amoindrie et d’autre part, les grandes communes ont beaucoup investi dans la détection des fuites et donc notre réseau de distribution est en très bon état – on parle d’un taux de fuite à moins de 5 % dans les grands centres de consommation (Luxembourg-ville et Sud du pays), ce qui est excellent.

Mais si l’essor démographique se poursuit et que l’on crée encore des postes de travail supplémentaires – il faut savoir qu’un poste de travail correspond à 30 / 35 l d’eau par jour –, nous assisterons à une légère tendance à la hausse de la consommation d’eau.

D’où provient l’eau que nous consommons ?

Sur les 120 000 m3 d’eau distribuée chaque jour, environ 50 % proviennent de ressources souterraines et 50 % sont des eaux de surface traitées issues du barrage d’Esch-sur-Sûre, où nous avons une nouvelle unité de traitement, qui a moins d’un an et qui a été agrandie pour anticiper l’avenir. Depuis Esch-sur-Sûre, nous desservons potentiellement 80 % de la population ; en sont exclues les communes de l’Est du pays qui ne sont pas connectées au réseau du SEBES (syndicat des eaux du barrage d’Esch-sur-Sûre).

Pour ce qui est des eaux souterraines, elles viennent d’environ 250 sources et de 40 captages forages. Une source est une émergence naturelle d’eau alors qu’un captage forage est une manière active d’aller chercher de l’eau : on creuse à 50 ou 100 m de profondeur et on pompe directement dans l’aquifère pour alimenter le réseau.

Quelle est votre stratégie pour l’alimentation du pays en eau potable à l’avenir ?

Elle se base sur trois piliers. Le premier consiste à protéger les ressources existantes de la manière la plus efficace possible. Pour ce faire, nous avons établi des zones de protection autour de tous les captages et autour du barrage d’Esch-sur-Sûre pour éviter des pollutions qui peuvent atteindre les sources mêmes. Nous avons des sources hors circuit, qui ne sont pour le moment pas reliées au réseau d’eau potable parce qu’elles sont trop polluées par des pesticides ou des nitrates. Nous avons néanmoins installé des zones de protection autour de ces sources car nous estimons que, si elles sont bien protégées, elles seront de nouveau exploitables dans une quinzaine d’années. Ces sources hors-circuit pourraient potentiellement alimenter 60 000 à 70 000 personnes. Nous avons pris des mesures fortes pour éviter que d’autres sources ou forages subissent un sort identique.

Le deuxième pilier, ce sont les concepts novateurs de réutilisation de l’eau. Certains usages ne nécessitent pas une qualité d’eau potable, ils peuvent aussi être réalisés avec une eau recyclée : par exemple, l’eau de la douche pourrait, après un premier traitement, servir pour la chasse d’eau des toilettes. Nous étudions actuellement la manière dont nous pourrions implémenter ces systèmes dans les bâtiments et ce, non seulement au moment de la construction mais aussi, par la suite, en phase d’exploitation. Du fait que la réutilisation introduit un troisième circuit en plus de celui d’alimentation en eau potable et de celui d’évacuation des eaux usées, cela devient relativement complexe mais introduire ce concept dans les futurs PAP est totalement envisageable. Nous avons d’ailleurs eu des workshops avec des architectes pour voir comment le faire. L’utilisation d’eau de pluie là où de l’eau potable n’est pas requise joue évidemment aussi un grand rôle. Notre ministère subventionne déjà les citernes d’eau de pluie, mais nous pensons pouvoir aller encore beaucoup plus loin.

Le troisième pilier – si tout cela ne suffit pas, ce qui dépendra de l’évolution socio-économique du Luxembourg – sera de potabiliser les eaux de la Moselle, à l’horizon 2040. C’est la seule possibilité d’une nouvelle ressource que nous ayons qui soit suffisante au niveau du débit, sachant que nous sommes arrivés aux limites d’exploitation des eaux souterraines et que nous avons atteint notre capacité maximale au niveau du bassin tributaire de la Sûre avec la nouvelle station de traitement du SEBES (cf. paroles d’experts). La Moselle est un grand bassin d’alimentation qui prend sa source dans les Vosges et elle a l’avantage d’être moins assujettie aux fluctuations climatiques de par sa taille car, au plus un bassin est grand au plus les fluctuations du changement climatique sont temporisées. Évidemment, de nombreuses personnes sont sceptiques au fait que nous puissions potabiliser les eaux du bassin de la Moselle. Ce n’est pas un problème d’ordre technique ni hygiénique, mais d’ordre psychologique. Il faut pourtant se rendre à l’évidence que beaucoup de gens en Europe boivent de l’eau qui au départ est de beaucoup plus « mauvaise » qualité au début du processus de potabilisation. À titre d’exemple pensons aux millions de consommateurs qui consomment de l’eau potable générée à partir du Rhin (notamment aux Pays Bas).

Mélanie Trélat
Article tiré du NEOMAG#55
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Publié le jeudi 22 juin 2023
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