Deux étudiants proposent de stabiliser le réseau électrique grâce aux voitures

Deux étudiants proposent de stabiliser le réseau électrique grâce aux voitures

Ido Somekh, 15 ans, et Johann Bost, 20 ans, ont présenté au concours Jonk Fuerscher un projet novateur : utiliser les batteries des voitures électriques pour réguler la fréquence du réseau électrique au Luxembourg. Leur idée, à la fois scientifique et économique, leur a valu une médaille d’argent à New York.

Ido et Johann, pouvez-vous vous présenter ?

Ido : J’ai 15 ans, je vais à St. George’s International School, au Luxembourg. J’ai rencontré Johann lors d’une autre compétition appelée EUCYS, organisée par l’Union européenne pour les jeunes scientifiques. Après cette rencontre, nous avions vraiment envie de réaliser un projet ensemble.

Johann : J’ai 20 ans. J’ai grandi au Luxembourg et j’étudie actuellement le génie chimique à l’ETH de Zurich. L’EUCYS était vraiment une expérience incroyable. Nous nous sommes bien entendus et on a voulu se lancer dans un projet pour l’année suivante.

Parlez-moi du projet que vous avez présenté en 2025 au concours Jonk Fuerscher de la Fondation Jeunes Scientifiques Luxembourg.

Ido : Notre projet consiste à utiliser les véhicules électriques pour réguler la fréquence du réseau. Chaque réseau a comme un battement de cœur. Au Luxembourg, il bat à 50 hertz, et il est vraiment crucial de le maintenir à 50 hertz : si ça monte à 50,1 ou descend à 49,9, il peut y avoir des pannes.

En même temps, la société se dirige vers les énergies renouvelables. Ces sources d’électricité, comme le solaire et l’éolien, ont beaucoup moins d’inertie, ce qui signifie qu’elles sont beaucoup plus réactives aux fluctuations de fréquence du réseau. À l’avenir, il sera donc encore plus important de garder cette fréquence stable. Ce n’est pas encore un problème aujourd’hui, mais à mesure qu’on avance vers une énergie plus verte, ça va en devenir un.

Actuellement, la manière de stabiliser la fréquence du réseau est d’utiliser de très grandes batteries, ces énormes centres appelés BESS (Battery Energy Storage Systems). Leur rôle est de charger ou de décharger pour maintenir la fréquence stable. Donc, si la fréquence est élevée, ils se chargent et absorbent de l’énergie du réseau. C’est ce qu’on appelle la régulation de fréquence.

Cela repose sur beaucoup de mathématiques qui existent déjà. Mais notre idée, qui est totalement nouvelle et originale, est d’utiliser les batteries des véhicules électriques pour faire cela. D’ici 2030, le Luxembourg veut que presque la moitié - 49 % - des voitures du pays soient entièrement électriques. Actuellement, on est à 6,95 %, presque 7 % de taux d’adoption des véhicules électriques.


« Notre idée est donc de dire : puisque le Luxembourg essaie déjà de fournir une infrastructure pour toutes ces voitures électriques et de subventionner leur vente, pourquoi ne pas aussi utiliser leurs batteries pour stabiliser le réseau ? »

Ido Somekh, étudiant

Comment avez-vous procédé ?

Johann : Nous avons essayé de simuler l’ensemble du réseau électrique luxembourgeois avec quelques simplifications, que nous avons détaillées dans notre article. Sans entrer dans les détails, nous avons essayé de reproduire le réseau électrique dans une version digitale.

Ensuite, en utilisant des données réelles d’Allemagne, nous avons fait tourner notre système, observé ses interactions et analysé les résultats. Et c’était très clair : notre système pouvait réguler la fréquence et la ramener rapidement dans la zone de sécurité.

Ido : Il est aussi important de préciser que notre projet de départ a beaucoup évolué et changé au fil du temps.

Quelle était votre première idée et qu’est-elle devenue ?

Ido : Nous voulions utiliser la technologie appelée vehicle-to-grid ou V2G pour contribuer à la stabilisation du réseau. Si vous avez un véhicule électrique, vous pouvez le connecter à votre maison et l’utiliser pour l’alimenter, pas seulement pour charger la voiture.

Nous en avons discuté avec des chercheurs du Luxembourg Institute for Science and Technology (LIST), et aussi avec d’autres experts, surtout dans le domaine des batteries.

Ils ont relevé ce souci : imaginez que le réseau électrique du Luxembourg est constitué de tuyaux d’eau. Le réseau de transport principal est un tuyau à haute pression. Il y a plein de tuyaux à plus basse pression qui en sortent : c’est le réseau de distribution, celui auquel les voitures sont connectées.

Or, il est très difficile de repousser de l’eau dans les petits tuyaux vers le principal. Donc, ce qu’on a changé, c’est qu’on a imaginé plutôt combiner l’électricité de nombreuses voitures en un seul endroit, à un moment donné, pour agir comme une grande batterie, au lieu d’utiliser séparément les petites batteries de chaque voiture.

Nous sommes donc passés de : « vous pouvez contribuer au système depuis chez vous » à : « vous connectez votre voiture quand vous allez au travail, au bureau ou au supermarché, sur un parking avec plein d’autres voitures ».

Combien de voitures électriques sont nécessaires pour que ce système fonctionne ?

Johann : Cela dépend toujours de la pression exercée sur le système. Donc, quand il y a des coupures (blackouts) ou des baisses de tension (brownouts), selon que la fréquence monte trop haut ou descend trop bas, il faut plus de voitures pour compenser.


« Nous avons constaté que même pour des baisses extrêmes, à environ 50 % de voitures électriques, le réseau pourrait être soutenu par le système. Et ça colle parfaitement avec l’objectif luxembourgeois de 49 % de véhicules électriques d’ici 2030. »

Johann Bost, étudiant

Ido : À long terme, cela ferait économiser beaucoup d’argent au Luxembourg. Actuellement, la stabilisation du réseau est externalisée à une entreprise allemande. Nous ne connaissons pas le montant, mais cela représente des dizaines de millions d’euros. Selon nos simulations – nous n’avons pas seulement étudié la viabilité mathématique, nous avons aussi analysé les aspects économiques et politiques, ainsi que les incitations pour les gens à participer –, nous sommes arrivés à la conclusion que notre système serait presque quatre fois moins cher que l’utilisation des batteries allemandes.

Quelle est la prochaine étape pour concrétiser ce projet ?

Johann : Nous essayons maintenant de publier notre recherche pour qu’elle soit évaluée par des pairs. C’est une étape importante pour avoir plus de retours. Ensuite, nous aimerions pouvoir en discuter avec des personnes du ministère de l’Environnement ou du ministère des Transports, afin de voir la viabilité de notre travail.

Suite à votre participation au concours Jonk Fuerscher de la FJSL, vous vous êtes rendus à New York pour l’Olympiade internationale GENIUS. Vous êtes rentrés avec une médaille d’argent. Comment vous êtes-vous distingués des autres candidats ?

Ido : Nous avions préparé un support visuel sur lequel nous avons beaucoup travaillé. Nous avions aussi un bon pitch.

Johann : Au concours Jonk Fuerscher de FJSL, les âges varient beaucoup, de 15 à 21 ans environ, et donc les projets sont aussi tous très différents. Certains se limitaient à une idée, d’autres allaient jusqu’à des mises en œuvre concrètes. Nous avons fourni beaucoup d’efforts, d’abord pour les recherches, ensuite pour discuter avec des chercheurs, vérifier la viabilité théorique, mais aussi pour aller plus loin en faisant des simulations informatiques afin de montrer que ça pouvait fonctionner.

Nous sommes partis du sujet et sommes allés jusqu’à son implémentation. Nous avons vraiment essayé de pousser ce projet aussi loin que possible.

Vous avez aussi obtenu une bourse pour aller au Rochester Institute of Technology. Allez-vous y étudier ?

Ido : Ça dépend. Je ne sais pas si je veux étudier aux États-Unis. Je sais que je veux réaliser beaucoup de projets comme celui-ci, et peut-être devenir entrepreneur plus tard. Mais je n’ai pas encore réfléchi à ce que je veux étudier.

Johann : Je pense rester dans la science pour l’instant, au moins finir mon bachelor en sciences, puis peut-être m’orienter vers la finance. Ce projet était une super idée, car il y a des incitations économiques claires et des perspectives entrepreneuriales, ce qui le rend aussi viable pour une startup, par exemple. C’est ce que j’ai vraiment aimé dans ce projet. Je pense m’orienter dans une direction similaire.



Propos recueillis par Marie-Astrid Heyde
Photo : Licence CC / FJSL

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Publié le mercredi 24 septembre 2025
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