Deux éléments fondamentaux : le collectif et la nature

Deux éléments fondamentaux : le collectif et la nature

Johanna Jacob, fondatrice de Common Paradox, nous propose une vision de la ville comme microcosme appartenant à la nature où le retour à un esprit collaboratif est nécessaire.

« En tant qu’éco-social designer dans les domaines de l’architecture et de l’urbanisme, mon rôle est d’œuvrer à ce que les villes soient des lieux de vie agréables. La ville de demain, je l’imagine donc de manière positive. Pour moi, cela repose sur deux éléments fondamentaux : le collectif et la nature.

La ville est notre habitat au même titre que l’est la maison. On devrait s’y sentir bien, comme chez soi. Dans un monde où l’on est particulièrement centré sur soi-même et où l’on perd le sens du collectif, la ville n’est plus perçue comme un lieu public, de rencontre, mais trop souvent comme un lieu que l’on ne fait que traverser et qu’on utilise « à sens unique » ou en « one shot ». Non seulement notre société actuelle consomme le territoire comme si ses ressources étaient illimitées, mais en plus nous avons tendance à ne lui attribuer qu’un rôle fonctionnel, en négligeant son rôle relationnel. Or, nous sommes bien des êtres sociaux.

Une ville idéale ne peut donc se concevoir sans réflexion profonde sur notre société, nos relations en tant qu’êtres humains et notre relation à notre environnement naturel. Pour illustrer mes propos, imaginez un arbre avec ses racines bien ancrées qui représentent notre relation à la nature ; son tronc solide et stable qui s’apparente au vivre ensemble et à l’organisation collective ; ses branches diverses et variées qui symbolisent les nouvelles technologies, les énergies renouvelables, les produits bio, le do it yourself, le fait de ralentir, de consommer moins, etc. ; et ses feuilles légères et lumineuses qui correspondent aux projets, initiatives innovantes et autres actions du quotidien qui voient le jour et émergent ici et là. Je remarque que ces nouvelles technologies et les alternatives (les branches de l’arbre) sont mises en avant de manière très volontariste. Or, ce ne sont que des outils, certes très intéressants, mais qui doivent rester au service de la société, et non l’inverse. Pour parvenir à mieux les utiliser, une réflexion sur le vivre ensemble est nécessaire (le tronc de l’arbre). Cela demande beaucoup d’efforts car notre société ne nous a pas éduqués à collaborer, mais plutôt à être les meilleurs, à être compétitifs, à ne pas faire d’erreur, ce qui nous a menés à l’individualisme et à une économie linéaire, avec toutes les conséquences que nous connaissons.

Un des meilleurs moyens pour revenir à la notion de bien commun et renforcer notre tronc est de nous resituer en tant qu’être appartenant à la nature (les racines de l’arbre). Nous séparons souvent nature et urbanisme, comme si la ville était contre la nature, alors qu’en fait l’Homme fait partie de la nature et la ville est son habitat, au même titre que le nid est celui de l’oiseau. Pour construire notre habitat, nous devons faire avec les paramètres de la nature, pas en luttant contre, mais en travaillant avec, et en les intégrant dans le projet. Nature et ville ne sont pas contradictoires ou exclusives. Pour moi, la ville idéale, la ville de demain, est en harmonie avec la nature.

À titre d’exemple, Common Paradox a réalisé le design d’un projet de renaturation de deux rivières situées derrière le Pall Center à Oberpallen. Ce terrain a été acquis dans le but d’y cultiver des fruits et des légumes pour le restaurant du centre commercial, mais il se trouve qu’il est régulièrement inondé. Nous aurions pu canaliser les rivières, mais nous avons plutôt choisi d’élargir leurs lits et de donner plus d’espace à l’eau pour permettre à son niveau de fluctuer dans des zones qui peuvent se remplir et se vider, et conserver ainsi des espaces cultivables. En plus de la production, une des intentions est de sensibiliser l’utilisateur à la nature en lui permettant de s’y reconnecter : lorsqu’il traverse le parc et parcourt les chemins sur pilotis, il vit une expérience physique qu’il va emporter avec lui. De plus, les avantages et les services écosystémiques que fourniront la faune et la flore aquatiques qui y prendront place sont nombreux : régulation thermique, « gestion » naturelle des parasites pour la culture maraîchère bio, diminution des coûts d’entretien, beauté du paysage, etc. Tous les acteurs du territoire sont sollicités et invités à participer à ce projet et leur excellente connaissance de leur environnement permet de le nourrir.

Nous avons également lancé, le 8 novembre dernier (date de la journée mondiale de l’urbanisme), un projet intitulé Arlon Identity. Il vise à co-créer une image positive de la ville d’Arlon avec la diversité des acteurs présents sur le territoire ciblé : citoyens, politiques, entreprises, associations, etc. Ce projet s’étale sur 3 phases de 6 mois durant lesquelles des espaces d’expression sont offerts à la population. Durant la phase de diagnostic qui s’est achevée en mai avec la publication d’un rapport illustré, nous avons occupé un rez-de-chaussée commercial proposant une exposition interactive qui présentait différentes facettes de la ville. Des citoyens se sont intéressés au projet et ont émis des propositions d’animation. C’est ainsi que des ateliers pour enfants, des concerts, des petits-déjeuners à base de produits locaux, des panels de discussion, des quiz, etc. ont été co-organisés avec les citoyens. Depuis novembre 2017, plus de 600 personnes ont participé au projet.

Pour la deuxième phase, la vision, nous organisons la tournée Arlon IdentiTOUR. Il s’agit d’un atelier de co-création qui se reproduira à 4 reprises à des dates et dans des lieux différents d’Arlon de juillet à septembre. Le thème : « Vos idées pour la ville et les villages de demain ». L’intention est de faire émerger des idées qui deviendront des projets concrets accessibles aux citoyens et à tous les acteurs du territoire. Définir quel « Arlon de demain » nous souhaitons voir et vivre, augmente les chances de s’en approcher. Parce que cette vision sera partagée et collective, chacun pourra agir dans son domaine tout en avançant ensemble dans la même direction. Cette vision devra évidemment rester flexible et résiliente afin d’intégrer des enjeux sociaux, économiques et environnementaux d’aujourd’hui et de demain. L’entraide et la collaboration sont au cœur de la réflexion.

Avec ce projet pilote, nous développons en fait un véritable outil d’aide à la décision pour les autorités publiques, un outil qui est accessible au plus grand nombre. Car il s’agit bien de créer des ponts entre les acteurs et de réinstaurer le dialogue sur des sujets d’intérêt général. Nous l’avons initié dans la commune où nous vivons pour montrer les bénéfices qui en ressortent, montrer que c’est possible, que travailler ensemble pour le bien commun, cela fonctionne ! Nous espérons en inspirer d’autres que nous pourrons accompagner étape après étape grâce à notre méthodologie et à notre philosophie ».

Mélanie Trélat
Photo : Fanny Krackenberger
DDM 13 Infogreen « Construire demain »

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Publié le vendredi 28 septembre 2018
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