Décarboner la construction, c'est possible

Décarboner la construction, c’est possible

Pour s’inscrire dans le Green Deal et les objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 et de neutralité carbone d’ici 2050, le secteur de la construction a entamé une mutation qui touche tant les entreprises que les projets, et les engage à plus de responsabilité et de résilience.

Interview de Bruno Renders, administrateur directeur général de l’écosystème CDEC et de l’IFSB.

Comment décarboner le secteur de la construction ?

Il convient tout d’abord d’avoir une vue holistique du cycle de vie d’un bâtiment. On doit considérer toutes les phases de la vie d’un bâtiment pour identifier tous les leviers possibles. Sachant que 60 % de l’impact des bâtiments est lié à leur construction et les 40 % restants à leur utilisation et à leur déconstruction, installer des pompes à chaleur et des panneaux photovoltaïques partout est quelque peu réducteur.

Il convient également de combiner cette approche holistique du cycle de vie en intégrant les éléments relevant de la construction de bâtiments neufs mais également de la rénovation des bâtiments existants. Cette approche combinée est en effet la seule qui permettra d’atteindre les objectifs stratégiques devant nous. Une approche intégrant le bénéfice d’usage des bâtiments (neufs et existants), au bénéfice carbone des opérations constructives et à leur rationalité économique est en effet une vision pertinente de la manière dont nous devons aborder l’acte de construire et de rénover.


D’abord, il faut s’intéresser à la rénovation. Dans l’Union européenne, on dénombre environ 35 millions de bâtiments, dont 75 % sont aujourd’hui des passoires énergétiques. 50 % de ces bâtiments qui seront nécessaires pour absorber nos besoins en 2050 sont déjà construits. Notre approche sur la rénovation et l’assainissement énergétique de l’existant montre un taux de rénovation actuel inférieur à 0,7 % là où l’ambition du Green Deal est de passer à 3 %.

L’initiative Renovation Wave qui porte, à ce titre, très bien son nom, fait suite à l’annonce du pacte vert pour l’Europe qui vise à établir une feuille de route pour rendre l’économie de l’Union européenne durable et en conformité avec l’atteinte de nos objectifs climatiques en y intégrant un véritable plan stratégique de rénovation.


« La législation est parfois, malheureusement, un frein quand elle ne permet pas d’être agile. »

Bruno Renders, administrateur directeur général de l’écosystème CDEC et de l’IFSB

Cette approche stratégique de la rénovation suppose également une approche systémique de la rénovation.

Rénover, ce n’est pas seulement faire d’une passoire énergétique un bâtiment performant. C’est entre autres :

  • améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments existants,
  • refonctionnaliser un bâtiment existant ou changer son affectation (de bureaux en logements, ou inversement) encore appelée réversibilité des bâtiments,
  • densifier le bâti existant en agrandissant ses surfaces (par exemple en le dotant d’étages supplémentaires, en réaffectant des zones bâties à d’autres usages),
  • industrialiser la rénovation.

Tout cela présuppose une législation adaptée, des solutions techniques et des compétences.
Le processus de rénovation peut être industrialisé. C’est tout le sens et l’intérêt du projet EnergySprong, qui s’est traduit dans la maison CDEC par le projet E=0 et qui consiste à « emballer » (wrapping a building), en quelques jours à peine, un bâtiment avec des éléments préfabriqués qui intègrent isolation et menuiseries extérieures.

Les moyens utilisés pour rénover ont également leur importance : employer des matériaux carbonés pour rénover et assainir énergétiquement un bâtiment est un non-sens parce qu’on rajoutera du carbone là où on essaie d’en enlever. Il existe une série de solutions techniques transversales, comme l’utilisation des matériaux biosourcés, qui concernent aussi bien la rénovation que le neuf. Qu’en est-il du neuf ?

Il faut appliquer le principe des 4 R : Repenser, Réduire, Réutiliser, Recycler.

Repenser, cela peut signifier fonctionner autrement, par exemple en attribuant des fonctions multiples aux bâtiments ou en partageant les infrastructures dans une optique d’économie collaborative.

En phase de construction, c’est passer d’une logique de façonnage à une logique d’assemblage d’éléments préfabriqués hors-site, sur le modèle de l’industrie automobile. Cela permet de gagner en efficacité, en temps, de réduire les déchets et les transports - voire de déphaser les transports -, et de moins subir l’impact des conditions climatiques de travail et donc de gagner en efficacité et en efficience. Toutes les entreprises ne sont pas encore aptes à faire de l’assemblage, mais elles peuvent le devenir à travers la formation, raison pour laquelle l’IFSB propose déjà des formations en ce sens.
Il faut innover à toutes les échelles – la planète, l’Europe, le pays, le secteur, l’entreprise, le projet – et adopter une vision holistique et systémique.

Au sein de l’écosystème CDEC, on parle beaucoup de construction 4.0, par analogie avec l’industrie 4.0, et de construction éco-circulaire…

Notre approche est une approche intégrée faisant la part belle à la décarbonation et à la circularité autant qu’à des approches managériales plus résilientes. Notre approche de la circularité repose sur deux sous-ensembles, les Green Tech et la construction 4.0.

La construction 4.0 peut recourir à des drones, à des robots, à l’impression 3D, à la digitalisation, au BIM, etc. Elle vise à mieux encadrer l’acte de construire / rénover par une vision plus industrialisée plus liée à l’assemblage de solutions constructives multifonctionnelles. La construction 4.0 doit également contribuer à mettre en œuvre des Green Tech ou nature-based technologies telles que des matériaux d’isolation ou de structure biosourcés, une approche plus végétalisée de l’aménagement de nos espaces construits ou encore des serres de toiture. La serre urbaine FRESH, d’une superficie de 380 m2 et d’un volume de 2.700 m3, est connectée au bâtiment et doit permettre d’économiser 45 t de CO2 par an en réutilisant la chaleur résiduelle et le CO2 émis par le bâtiment de l’IFSB.

La construction 4.0 est également liée à la construction hors-site et à l’assemblage. Il y a 10 ans, par exemple, nous avons intégré, dans le bâtiment Neobuild, un prémur en béton avec un isolant sous vide, sur lequel pourraient être ajoutés, aujourd’hui, des panneaux de façade photovoltaïques. Nous aurions ainsi un ensemble constructif multifonctionnel, statique, esthétique, isolé et actif du point de vue énergétique.

Parler de construction 4.0, c’est aussi parler des fonctions nobles des bâtiments. Les bâtiments, regroupés à l’échelle du quartier, peuvent être de véritables plateformes technologiques regroupant différents usages : production d’électricité via des panneaux photovoltaïques en toiture ou en façade, capture du carbone à travers des micro-forêts, des façades et toitures végétalisés ou la culture de micro-algues, production de fruits et légumes en circuit court dans des serres urbaines qui récupèrent la chaleur perdue par les toits, dépolluent l’air ambiant, améliorent la qualité de vie en ville, etc.

Une piste pour construire de manière éco-circulaire est de considérer les déchets comme des ressources. Nous travaillons sur un projet, avec des partenaires luxembourgeois, qui consiste à récolter la biomasse émise par les humains pour en retirer l’énergie thermique via un processus de biométhanisation et la distribuer dans un réseau de biogaz urbain. Il vise également à récupérer la fraction liquide de ces effluents pour en faire de l’eau circulaire, non potable. Mais, encore une fois, cela présuppose qu’il y ait des connaissances techniques, des formations pour la diffuser et que la réglementation autorise la mise en œuvre de tels concepts. La législation est parfois, malheureusement, un frein quand elle ne permet pas d’être agile. Nous travaillons sur ce point dans le cadre de la stratégie de décarbonation établie par le Conseil national de la construction durable (CNCD).

Que pensez-vous de la taxonomie ?

Si les termes Renovation Wave et Green Deal ont le mérite de clarifier sa compréhension, voire son acceptation, le mot taxonomie peut paraître plutôt barbare. Toutefois, les objectifs liés à la taxonomie, au reporting extra-financier des organisations ainsi qu’à l’application de la directive CSRD vont clairement dans la bonne direction tout en satisfaisant le climatoptimiste que je suis.

En effet, nous publions un rapport de développement durable et un bilan carbone depuis plus de 15 ans. Je vois donc la taxonomie et la CSRD d’un œil très positif. C’est la première fois que, dans des textes réglementaires européens, on met en place un système structurant d’évaluation des entreprises qui ne repose pas uniquement sur le quantitatif financier mais aussi sur un qualitatif climatique et/ou environnemental. L’évaluation qu’on fait d’une organisation, d’une entreprise reste aujourd’hui purement comptable et financière. La taxonomie montre la volonté de l’Union européenne d’orienter la finance vers une logique plus verte, mais tout aussi performante, qui combine la notion de rentabilité économique et celle de rentabilité environnementale. Une approche de comptabilité double économique et carbone est donc une approche progressiste pour faire évoluer les secteurs et les entreprises plutôt que de sans cesse pratiquer une course à la marge. Même si la période sectorielle que nous vivons est critique, ne dit-on pas, pour paraphraser Darwin, que celui qui sort gagnant de la crise est celui qui est le plus agile, le plus anticipatif, le plus en transition et qui capitalise sur demain plutôt que sur hier. Elle donne la possibilité aux entreprises de valoriser leurs efforts et leurs engagements en faveur des objectifs de développement durable.

Mélanie Trélat
Photo : Fanny Krackenberger

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Publié le lundi 8 avril 2024
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