Apprendre de chaque évènement pour devenir résilient

Apprendre de chaque évènement pour devenir résilient

Interview de Thomas Biendel, directeur du département Hydrologie de Luxplan, membre de LSC Engineering Group.

Le département Hydrologie de Luxplan travaille en collaboration avec les autres entités du groupe sur de nombreux projets relatifs aux cours d’eau, à l’eau potable et à l’assainissement. Il intervient dans toutes les phases, de la conception au suivi de chantier, et tant dans la construction de nouvelles infrastructures que dans la rénovation du réseau existant, répondant aux problématiques nouvelles soulevées par le changement climatique.

Quelles sont les attributions et compétences du département Hydrologie ?

Notre département s’intéresse à tout ce qui touche aux sciences de l’eau, en particulier à l’assainissement et à l’eau potable – deux volets qui sont liés à la construction de bâtiments et de lotissements et qui concernent des clients publics et privés à parts égales –, ainsi qu’aux cours d’eau – mesures anti-crues, protection de la population contre les inondations, renaturation, etc. – volet qui vise principalement les communes. Nous sommes onze ingénieurs et techniciens de trois nationalités.

Quels types de projets réalisez-vous dans le domaine de l’eau potable ?

Nous travaillons sur deux grandes thématiques : la mise à jour des réseaux et infrastructures existants pour suivre la croissance démographique du pays et la construction d’infrastructures dans le cadre du développement de nouveaux quartiers.

Au sein du groupe, nous sommes en mesure de réaliser un projet de A à Z, depuis la conception jusqu’à la réception clé en main. Notre département travaille sur le calcul hydraulique et le dimensionnement, mais nous intervenons aussi dans les phases de conception et d’exécution, le suivi de chantier, l’assistance technique etc.

Quelles sont les synergies avec les autres entités du groupe ?

Nous collaborons avec de nombreux départements et entités de LSC : la topographie pour les levés terrestres et par drone, la statique pour le calcul des parties en béton et des parties portantes, la géotechnique pour les études de sols, l’environnement pour les autorisations ou encore avec notre entité Devolux, qui est spécialisée dans le suivi de chantier et la sécurité sur chantier.

Que préconisez-vous de mettre en place pour améliorer la gestion des eaux de pluie ?

Lors des évènements climatiques de juillet 2021, les assureurs luxembourgeois ont enregistré plus de 100 millions d’euros de dégâts en moins de 24 heures. Et ce type d’évènement va se répéter dans les années à venir.
Il y a d’abord un travail de fond à réaliser en termes de pédagogie et de compréhension de ce qui s’est passé pour pouvoir orienter nos clients vers des solutions novatrices et adaptées aux défis de demain, par rapport à celles qui sont appliquées depuis des décennies, et adaptées au changement climatique qui génère des pluies moins fréquentes mais plus fortes, alternant des périodes de sécheresse.

En parallèle, il y a une phase d’action. Il faudra s’assurer que les éléments que nous construisons peuvent résister à des pluies cataclysmiques. Les précipitations actuelles sont tellement fortes et subites que l’eau ne peut pas entrer dans le réseau d’assainissement et elle reste en surface.

Il faut donc réfléchir les aménagements extérieurs en conséquence lors de la création de nouveaux quartiers ou la transformation de quartiers existants : réduire les surfaces scellées, placer les bâtiments à risques et leurs entrées judicieusement par rapport à la topographie et aux axes d’écoulement préférentiels, ne pas placer les installations techniques des bâtiments dans des sous-sols ou rez-de-chaussée à risques. Ce sont des détails qui feront la différence entre une ville ou un quartier qui résiste à ce type d’évènements et un quartier qui ne résiste pas.

Il faut savoir qu’il y a des zones à risques, il faut informer les acquéreurs de ces risques mais aussi leur démontrer que tout a été mis en œuvre pour limiter ce risque et pour que les populations et les biens soient protégés. Cela rejoint la pédagogie : dans certains pays, comme le Japon, il y a une culture du risque. On accepte l’idée qu’il y ait plusieurs séismes chaque année et la population comme les infrastructures y sont préparées et y font face. C’est ainsi qu’on acquiert une résilience. On apprend de chaque évènement et on progresse.

Les zones à risques sont-elles identifiées ?

Oui, et ces données sont publiques sur le Géoportail. Elles sont même officielles et opposables pour ce qui est des zones inondables (zones dans les lits majeurs des cours d’eau principaux du pays). Il existe également un Atlas des Pluies torrentielles, visant à informer sur les risques de ruissellement intense en cas de pluie torrentielle. C’est un outil de pédagogie et il permet la planification des infrastructures et bâtiments en bon père de famille.

Certaines personnes sont plus sensibles que d’autres à ces facteurs. C’est aussi une question de mémoire. Typiquement, pendant l’année qui a suivi les évènements de juillet 2021, nous étions dans l’actionnisme pur : il fallait construire des barrages, des canalisations, etc. En 2022 et 2023, années où il n’y a eu (pour le moment) aucun événement de ce type, la demande a diminué. Nous avons réalisé des études, obtenu des résultats, proposé des mesures de protection mais ces études n’ont pas toujours été suivies d’effets, alors que nous devrions rester en alerte sur ces sujets.

Quelle est votre vision sur la problématique de l’eau potable ?

L’eau potable n’est pas rare dans notre région et elle n’est pas chère au Luxembourg car nombreuses sont les communes qui n’appliquent pas le « vrai » prix de l’eau censé recouvrir l’ensemble des coûts liés à l’eau (production, acheminement, évacuation, traitement). C’est un avantage pour la population tout en étant un problème, car cela freine les solutions d’économie et de réutilisation de l’eau. Il est plus coûteux aujourd’hui de mettre en place un système de réutilisation des eaux de pluie ou des eaux grises que d’utiliser de l’eau potable pendant la durée de vie du bâtiment. Ce type de solutions n’étant pas rentable, rares sont les investisseurs et promoteurs qui souhaitent l’implémenter dans les projets.

La politique européenne voudrait que le citoyen paie l’eau potable à prix coûtant. Cela implique une grande disparité en fonction de la quantité de ressource disponible, de la taille du réseau, de la qualité de l’eau et donc des traitements à lui appliquer pour pouvoir la consommer. Ce serait pourtant une solution pour sensibiliser la population à la nécessité d’économiser cette ressource.

Légende photo : Rampe rugueuse ayant remplacé le seuil sur la Syre à Wecker et mise en service fin 2022 (projet Luxplan).
Légende photo : Rampe rugueuse ayant remplacé le seuil sur la Syre à Wecker et mise en service fin 2022 (projet Luxplan).

Qu’en est-il des cours d’eau ?

Une directive-cadre européenne sortie en 2000 imposait qu’en 2015, tous les cours d’eau d’Europe soient en bon état écologique. Cet objectif n’a pas été atteint et au-delà de cela, aucun cours d’eau n’est en bon état écologique au Luxembourg, du fait notamment de son passé industriel.

Que signifie « en bon état » ?

Cela repose sur quatre critères – biologique, chimique, physique et physico-chimique – qui visent à déterminer si l’eau est de bonne qualité, si le milieu est sain, si les espèces présentes dans le cours d’eau sont représentatives de l’écosystème théorique du milieu. Il y a des classes – mauvais, médiocre, moyen, bon et très bon –, le critère le moins bon des quatre étant celui qui définit la note finale.

Le but est d’améliorer l’état des cours d’eau luxembourgeois d’ici 2027. Plusieurs actions en parallèle sont à mener : améliorer la qualité des eaux (stations d’épuration, bassins d’orage, pollutions industrielles et agricoles diffuses…) et améliorer la qualité du milieu (renaturation, ripisylves, suppression d’obstacles…). Nous travaillons beaucoup sur ces sujets, à tous niveaux, et de nombreux projets sont encore à venir pour tenter d’atteindre les objectifs.

Mélanie Trélat
Photo : Luxplan
Article tiré du NEOMAG#55

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Publié le lundi 3 juillet 2023
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