Les effets inattendus de l'écotourisme sur les populations animales

Les effets inattendus de l’écotourisme sur les populations animales

Les activités humaines provoquent la mort à petit feu de vastes populations d’animaux sauvages. La faune est chassée, pêchée, braconnée. Elle subit le changement climatique et la pollution. Les maladies font des ravages, tout comme les nouvelles espèces invasives. Des colonies entières d’animaux se trouvent éparpillées en raison de la destruction de leur habitat.

Il s’agit là de phénomènes bien connus de la dégradation de l’environnement. Mais il existe un autre domaine capable d’avoir des conséquences aussi inattendues qu’insidieuses : celui de l’écotourisme, centré sur la découverte d’espaces naturels.

Il est en effet possible que le succès grandissant de ce type de loisir rende la faune plus vulnérable aux prédateurs. Cependant, nous ne disposons pas de données suffisantes pour évaluer précisément ces nouveaux risques.

Notre équipe a attiré l’attention sur cette problématique dans un article publié dans la revue Trends in Ecology and Evolution. Dans cette étude, nous avons essayé de comprendre comment les animaux peuvent devenir, lorsqu’ils sont exposés à la présence humaine, plus dociles, plus audacieux et moins craintifs.

Nous suggérons ainsi que cela pourrait conduire à un risque accru de prédation lorsque les visiteurs quittent les zones concernées, et signalons par là même un impact méconnu de l’écotourisme.

Le « bouclier humain »

Pour domestiquer les animaux, il faut les apprivoiser, ce qui se traduit souvent par une sélection des espèces les plus dociles et les plus tolérantes. La domestication s’obtient en partie grâce à la mise à l’abri des animaux à l’égard de leurs prédateurs – en les plaçant par exemple derrière des clôtures, en les laissant entrer à l’intérieur des maisons ou en les élevant en cage.

Nous savons aujourd’hui que l’urbanisation produit des effets similaires : les animaux qui prospèrent en ville sont généralement plus dociles et ont moins peur des humains (comme pour les pigeons) que ceux qui vivent en dehors des zones urbaines. Ces traits sont sélectionnés au travers des générations, soulignant une composante évolutive à ces changements qui caractérisent les populations animales évoluant en milieu citadin.

Dans de nombreux cas, les prédateurs évitent les zones urbaines, créant ainsi un « bouclier humain » qui isole les proies urbaines et peut déclencher une cascade de bouleversements écologiques. Protégées par ce bouclier, les proies deviennent plus susceptibles de fréquenter les zones que les prédateurs évitent. Cela les conduit à être moins vigilantes à leur égard et à consacrer une plus grande part de leur temps à la recherche de nourriture. Ces effets en cascade peuvent finalement conduire à des dommages plus importants pour la végétation, puisque les potentielles proies se concentrent sur cette activité.

Les zones urbaines ne sont pas les seules à connaître ce phénomène de bouclier humain. Le tourisme en pleine nature pourrait également produire de tels effets.

Plus de touristes, plus d’animaux menacés ?

Selon un rapport de 2015, on dénombre quelque 8 milliards de visites annuelles dans les aires terrestres protégées. C’est donc comme si chaque personne sur Terre se rendait au moins une fois dans ces lieux, puis quelques fois encore ! Ces données chiffrées semblent encore plus impressionnantes lorsqu’on sait que ce rapport ne prend en compte que les zones de plus de 10 hectares et laisse de côté les aires marines protégées.

La présence humaine dans ces zones comporte des impacts négatifs évidents : hausse de la circulation automobile et de la pollution, piétinement de la végétation, collisions entre véhicules et animaux sauvages. Par le biais de notre étude, nous montrons que l’écotourisme, en créant un bouclier humain, contribuerait également à la mise en danger des animaux face à leurs prédateurs naturels. Nous savons d’ores et déjà que ce type d’activité a intensifié la vulnérabilité de certaines espèces par rapport aux braconniers et autres chasseurs illégaux.

Il semble à première vue difficile d’établir un lien de cause à effet entre le fait de s’habituer à la présence humaine et celui de manifester une plus grande vulnérabilité face aux prédateurs.

Les proies possèdent des aptitudes anti-prédateurs sophistiquées qui leur permettent d’évaluer les risques d’attaque. Ces systèmes d’alerte innés sont le résultat d’une sorte de course aux armements entre proies et prédateurs au cours de l’évolution ; il arrive ainsi que certains animaux gardent en « mémoire » le souvenir de leurs prédateurs et réagissent de manière instinctive à des simulations d’attaque, même après avoir été soustraits aux prédateurs depuis un certain temps. On peut citer ici ces populations de cerfs à queue noire qu’on trouve à Sitka (Alaska) : elles ont vécu hors de portée des prédateurs soixante années durant tout en conservant le même niveau de vigilance que certains de leurs congénéraires exposés.

Mais il existe des preuves selon lesquelles des individus faisant preuve d’audace à l’égard des hommes possèdent le même comportement envers leurs prédateurs. Prenons le cas d’écureuils fauves habitués à la présence humaine : ces derniers se montrent moins vigilants à différents bruits émis par leurs prédateurs que leurs semblables non habitués à l’homme.

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Les écureuils fauves qui se sont habitués aux humains prennent moins garde aux prédateurs. Est-ce valable pour d’autres espèces ? mandj98/flickr, CC BY-NC

Certains traits de caractère se trouvent souvent associés chez les animaux, on parle alors de syndrome comportemental. Citons, par exemple, l’agressivité et l’audace qui vont souvent de pair en fonction des contextes. De la même façon, la docilité peut s’accompagner d’une baisse de la vigilance face aux prédateurs. C’est ainsi que des animaux dociles peuvent réagir de façon inappropriée en présence d’une menace.

Si les boucliers humains relatifs à l’écotourisme sont suffisamment stables pour augmenter la tolérance des animaux à l’égard des humains, et si en étant exposés à cette présence ceux-ci deviennent plus dociles voire très audacieux, ils pourront devenir plus vulnérables lorsqu’ils se trouveront nez à nez avec de véritables prédateurs.

Quel avenir ?

Notre article est un appel pour que davantage d’études soient lancées sur les effets de l’écotourisme. La revue dans laquelle notre étude scientifique a été publiée fait régulièrement paraître des contributions qui cherchent à stimuler la recherche dans ce nouveau champ ; nous avons énuméré dans notre étude un certain nombre de sujets que nous jugeons nécessaires pour mener à bien de tels travaux.

Bien que l’UNESCO ait établi des recommandations pour l’écotourisme, ces dernières ne traitent pas des problèmes que nous avons identifiés. Il nous faut donc comprendre les facteurs et les conditions dans lesquels les boucliers humains se développent ainsi que leurs effets sur le comportement de la faune. Lorsque nous pourrons nous appuyer sur des données relevées auprès de multiples espèces dans des endroits et des conditions variés, nous serons alors en mesure de fournir des recommandations concrètes pour la gestion de la faune auprès de ceux qui en sont responsables dans les zones protégées.

Nous pouvons néanmoins émettre dès aujourd’hui ces quatre consignes :

  • Créer des zones pour gérer les visites dans les aires naturelles protégées (comme cela se fait déjà dans maints endroits, comme aux Galapagos).

  • Faire respecter des périodes au cours desquelles les espaces naturels sont fermés aux visiteurs (comme on le fait pour la chasse).

  • Éviter le contact avec les êtres humains là où se trouvent les petits des animaux (si, comme nous le pensons, de premiers contacts avec les humains peuvent accentuer la docilité des animaux sauvages).

  • Contrôler ou interdire aux compagnies et aux guides touristiques le fait de nourrir les animaux (une pratique courante dans un certain nombre de lieux dits « écotouristiques »).

Écotourisme ou non ?

Il est temps de conclure : l’écotourisme est-il une bonne chose ou non ? Tout dépend.

Dans de nombreux pays en développement, les habitants doivent choisir d’exploiter les ressources naturelles ou de créer une économie viable. Le tourisme axé sur la nature crée des opportunités économiques uniques. Et le prix de la prédation causée par l’écotourisme sera bien maigre en comparaison des bénéfices qu’une telle industrie peut apporter. Mais quand les impacts négatifs touchent des populations fragilisées ou encore des zones situées dans des pays plus développés, alors la prédation paraîtra moins acceptable.

TheNous pensons que les écotouristes qui voyagent dans le but de venir en aide aux communautés et à la biodiversité seront ouverts à l’autorégulation pour préserver la faune locale. Nous espérons que notre étude, en stimulant la recherche, permettra d’obtenir des informations et des outils utiles au développement des aspects bénéfiques de l’écotourisme tout en en réduisant les impacts négatifs.

Auteurs :

Daniel Blumstein, Professor and chair for the Department of Ecology and Evolutionary Biology, University of California, Los Angeles ; Benjamin Geffroy, Postdoctoral Fellow, INRA ; Diogo Samia, Postdoctoral Fellow, Universidade de Sao Paulo et Eduardo Bessa, Professor of Zoology, Universidade do Estado de Mato Grosso

Illustration principale : Des touristes nagent parmi les poissons dans les eaux chaudes de la rivière Cuiaba (État du Mato Grosso) au Brésil. Author provided

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Publié le jeudi 24 août 2017
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