« Il existe une aide humanitaire au Luxembourg »

« Il existe une aide humanitaire au Luxembourg »

Onze ans après l’attentat qui a coûté la vie à de nombreux travailleurs humanitaires à Bagdad et suite auquel l’ONU a décidé de faire du 19 août la Journée Mondiale de l’Aide humanitaire, la situation semble s’empirer. Multiplication des conflits, catastrophes naturelles de plus en plus violentes ou effets de la crise, l’insécurité s’accroît partout dans le monde et l’aide humanitaire est de plus en plus sollicitée.

« Je serais content de ne plus compter l’aide humanitaire parmi mes missions, de n’intervenir que pour du soutien social. » Andreas Vogt, vice-président du Cercle de Coopération des ONG de développement et chargé de direction de la Coopération internationale de Caritas Luxembourg, fait partie de ces rares personnes au monde à espérer voir un jour leur métier devenir obsolète. D’ailleurs, pour lui, « l’aide humanitaire ne devrait plus exister » ! Rapidement ses espoirs se fracassent contre le mur des réalités comme les bombes s’abattent sur les têtes des civils lors d’un conflit : guerres, accidents ou catastrophes naturelles, « en 20 ans, j’ai rarement vu un temps aussi important de crises humanitaires » que ces dernières années.

« Les besoins humanitaires explosent »

D’un côté, « les fameux “printemps arabes“ ont abouti à des guerres civiles et/ou se sont transformés en crise humanitaire grave », de l’autre, les catastrophes naturelles prennent de l’ampleur et ont des conséquences de plus en plus dramatiques. « Les guerres géo-politiques et confessionnelles se multiplient également », ajoute Andreas Vogt. Ajoutez à cela le changement climatique et les déplacements de populations qu’il implique, sans parler des disputes générées par l’appropriation des ressources rares, et voilà que l’avenir s’assombrit de plus en plus. « D’une manière générale, le combat mondial contre la pauvreté a quand même progressé », admet Andreas Vogt, apportant ainsi un peu de lumière sur la sombre fresque de notre avenir. « Mais l’insécurité va croissante. Partout les besoins humanitaires explosent et la solidarité a ses limites ».

Limites parfois imposées par la désinformation. « La médiatisation n’est pas représentative de la crise humanitaire », assure Andreas Vogt avant de citer des crises qui durent depuis de nombreuses années et que l’on a tendance à oublier au profit des dernières nées. « Il faudrait réussir à trouver un équilibre entre les “coups de projecteurs“ sur une situation à un moment donné et ces crises dont on ne parle plus ». Cet équilibre, ce sont surtout les ONG qui tentent de l’assurer en jonglant entre les évènements soudains et ceux qui semblent malheureusement s’éterniser et que les reportages finissent par ne plus évoquer. Sinon, le public finit par “oublier“ et l’argent ne suit pas, « aussi bien en matière de dons qu’en matière de financements étatiques ».

La mécanique du don

C’est que l’attention du public, comme celle des gouvernements, répond à une mécanique logique : « La médiatisation d’une crise entraîne l’intérêt du public et, du coup, l’intérêt politique ». Par ailleurs, la mécanique même des dons a changé. Si certaines catastrophes (surtout naturelles) entraînent de formidables élans de générosités (le typhon Haiyan, en novembre 2013, par exemple), ces « réflexes de solidarité » tendent à disparaître pour laisser place à des « dons raisonnés ». « Les donateurs sont plus critiques, ils s’informent avant de décider à qui donner et pour quelle cause ». « Expliquer clairement les enjeux d’un conflit peut-être parfois très complexe ». Or, « faire un don est un acte émotionnel » que le particulier se retiendra pas de faire s’il ne parvient pas à identifier clairement “qui sont les bons et qui sont les méchants“. Ainsi, « il est très difficile de mobiliser le public sur un conflit armé, surtout si celui-ci est long et récurrent ».

Excuse toute trouvée (et, il est vrai, un peu usée maintenant), la crise économique en Europe peut-elle, également, être l’une des limites de la solidarité ? « Les ONG doivent investir de plus en plus pour arriver au même niveau de dons », constate Andreas Vogt tout en ajoutant qu’« il est cependant difficile d’accuser la crise ». Il en veut pour preuve un exemple luxembourgeois. « Si de réelles difficultés économiques ont affecté le Luxembourg, alors celles-ci ont poussé de nombreuses entreprises à mobiliser leurs ressources quant à l’aide aux populations grand-ducales. Aussi bien les sociétés locales que les grands noms internationaux ayant une filiale basée ici ont renforcé, depuis deux ou trois ans, leurs contributions à la paix sociale » dans notre pays.

La culture luxembourgeoise de la solidarité

Car si la majeur partie du travail des professionnels et bénévoles d’ONG sur le territoire luxembourgeois relève principalement de l’aide social (« fournir à tout résident ce dont il a le droit au niveau national »), « il existe une aide humanitaire au Luxembourg », c’est-à-dire des personnes qui courent un risque vital. Ainsi, malgré la bonne santé (économique et politique) du pays et son « système social très performant », certaines personnes passent à travers les mailles du filet. Des ONG comme Caritas ou la Croix-Rouge offrent des services humanitaires pour ces personnes à Luxembourg.

A l’international non plus, le Luxembourg n’a pas à rougir de ses résultats. Avec pas moins d’une centaine d’ONG agissant dans le cadre de la coopération au développement, dont « cinq ont l’aide humanitaire dans leurs missions », Andreas Vogt va jusqu’à qualifier d’« exemplaires » les efforts du pays en termes de respect des engagements internationaux. « Sans être réellement obligatoires, l’ONU a posé des “Objectifs du Millénaire pour le développement“ qui veulent, notamment, que chaque pays développé consacre au moins 0,7% de son PIB au financement d’aide au développement. Le Grand-Duché de Luxembourg en consacre 1% quand la moyenne européenne n’est qu’à 0,4%. Nous en sommes très heureux et ne cessons de féliciter l’Etat », bien que quelques regrets subsistent quant « à la façon dont certains financements sont distribués ».

De l’aide sans discriminations

Célébrée tous les 19 août, la Journée mondiale de l’Aide humanitaire vise notamment à sensibiliser au travail des professionnels et bénévoles. Peu prioritaire au Luxembourg où Andreas Vogt témoigne d’une véritable « culture de la solidarité », cette sensibilisation doit, selon lui, surtout s’adresser aux gouvernements de certains pays. « Que ce soit par le don ou l’action bénévole, la solidarité a toujours fait consensus au Luxembourg et ce, même en temps de crise, quelle soit financière ou électorale. Malheureusement, ailleurs, il est nécessaire de rappeler qu’il existe un droit humanitaire » !

Trop souvent oublié et négligé, ce droit fondamental est bafoué par de nombreux gouvernants, quand ceux-ci « n’instrumentalisent pas les ONG à leur faveur ». Pourtant, « la neutralité, ainsi que la non-discrimination, que ce soit par l’âge, le sexe, la confession, la couleur de peau, l’origine, etc., et l’accès aux victimes sont les principes de base de toute ONG ». Des principes parfois loin d’être respectés par les gouvernements, ou, plus grave encore, par certaines associations qui “choississent“ les populations à aider. « Alors ce ne sont plus des ONG d’aide humanitaire », tranche Andreas Vogt.

Photo © UN Photo / Marco Dormino

Article
Article
Publié le mardi 19 août 2014
Partager sur
Nos partenaires