Automatisation, numérisation et emploi : l'amour f(l)ou

Automatisation, numérisation et emploi : l’amour f(l)ou

En cette période de grand doute économique où il y a plus de questions (d’où viendra la prochaine crise ? Faut-il davantage de régulation ? Les réfugiés auront-ils un impact positif ou négatif sur la croissance ? Comment sortir des politiques monétaires accommodantes ? Comment retrouver un peu d’inflation ? Le One Belt One Road chinois est-ce un plan Marshall 2.0 ?) que de réponses (…), un sujet – l’impact des ruptures technologiques[1] sur l’emploi – semble passionner plus que les autres.

Ici une étude (Frey -Osborne) qui nous apprend que 47 % des emplois aux Etats-Unis présenteraient une probabilité élevée d’automatisation à l’horizon de vingt ans, ici un livre (Jeremy Rifkin) qui nous prédi(sai)t que l’âge de l’accès mettra fin au travail salarié de masse tout comme l’âge industriel avait mis fin au travail forcé, là une étude (OCDE) qui nous apprend que ce ne serait que 9% des emplois qui seraient en danger, ici un document de travail (Fondation IDEA) qui “prédit” qu’il y aura encore des emplois salariés qui plus est par “gros paquet” dans le futur, une position qualifiée de parti-pris optimiste (Celine Yan Qi) dans un commentaire accompagnant le document de travail !

Qui a(ura) raison ? En réalité, je ne le sais pas (et je ne suis pas le seul car dans une étude réalisée par Pew Research Center, 52% des près de 2.000 spécialistes interrogés estimaient que les créations d’emplois induites par les nouvelles technologies l’emporteraient sur les destructions, alors que 48% soutenaient le contraire). Mais parce que je suis d’accord avec moi-même, je continue de penser que dans un horizon prévisible, les innovations technologiques en cours ne devraient pas précipiter la fin du travail ni le chômage de masse.

Quatre éléments permettent de soutenir cette position :

L’UE a créé en net plus de 7 millions d’emploi depuis 2013 alors que partout en Europe on parlait de fin du travail, de menace de robotariat, voire de nécessité d’instaurer un revenu de base ;
A côté de la faiblesse de la demande, les entreprises avancent la difficulté de trouver des salariés (avec les bonnes qualifications) comme principal obstacle à leur développement (le taux d’emploi vacant en Europe est à son plus haut niveau depuis 2007) ;
Les plateformes de travail à la tâche (ou travail à la demande)[2] n’emploient que 1% de la population active aux USA, et 0,05% au sein de l’UE.
L’utilisation de robots industriels ne semble pas avoir d’incidence directe sur l’emploi au niveau des entreprises, et la corrélation entre taux de robotisation et croissance économique aurait doublé entre 1995 et 2015.
Il est par conséquent permis de se demander compte tenu de la dynamique (positive) de l’emploi en Europe, de la plus grande sensibilité de l’emploi au PIB (comme en témoigne la faiblesse des gains de productivité), et du poids somme toute insignifiant du travail à la demande, pourquoi la fin du travail est-elle (re)devenue un point focal et d’inquiétude ? Une partie de la réponse se trouve sans doute dans la capacité humaine à (aimer) se faire peur – ce qui explique que nous nous rendons dans des salles de cinéma voir des films d’horreur. Et pourtant, d’autres chocs bien réels (démographiques, climatiques, énergétiques, sociaux, politiques) nous menacent davantage que l’hypothétique fin du travail…

[1] Robotique de pointe, impression 3D, internet des objets, véhicules autonomes, intelligence artificielle, etc.

[2] Des sites ou des applications qui mettent en relation, d’un côté des donneurs d’ordre et, de l’autre des prestataires indépendants ou des particuliers, pour réaliser des tâches plus ou moins qualifiées et dans des délais plus ou moins court.
Par Michel-Edouard Ruben
Communiqué Fondation IDEA

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Publié le lundi 24 juillet 2017
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