Un bâtiment exemplaire pour les générations futures

Un bâtiment exemplaire pour les générations futures

Interview d’Anna Gidt, ingénieure, et Philippe Genot, ingénieur en chef chez Schroeder & Associés.

La crèche de Roodt-sur-Syre est un projet innovant, porté par la commune de Betzdorf et soutenu par plusieurs ministères, qui a vocation à servir de base de réflexion pour la conception des bâtiments durables de demain sur les notions-clés que sont le réemploi des matériaux, l’économie des ressources, les circuits courts, ou encore la création d’un environnement de vie sain.

Quel a été le rôle de Schroeder & Associés dans ce projet ?

Anna Gidt : Avant tout, précisons que ce projet est un travail d’équipe qui a impliqué plusieurs partenaires. Le moteur est la commune de Betzdorf car elle a eu l’ambition de se lancer dans une démarche innovante plutôt que standard, et d’exploiter de nouvelles voies qui ne sont pas tracées par avance. Nous avons besoin de maîtres d’ouvrage visionnaires pour réussir de tels projets.

Philippe Genot : L’assistance technique que nous apportons porte sur 3 volets : santé, économie circulaire et écologie.

Sur le plan de la santé, nous avons fait un « check » des matériaux intégrés dans le bâtiment en nous appuyant sur la méthodologie H2E (Healthy Home Experts) développée par le ministère de l’Aménagement du territoire et Neobuild.

Concernant l’économie circulaire, nous avons travaillé sur la conception pour rendre possible la déconstruction du bâtiment, ainsi que sur le réemploi des matériaux. Un inventaire de tous les matériaux provenant de la déconstruction de 3 bâtiments de la commune, potentiellement réutilisables a été réalisé. Il faut trouver, pour chaque produit, une solution économiquement intéressante et qui crée de la valeur. Un véritable travail de fourmi, qui rend le projet aussi complexe qu’intéressant. Nous avons prévu de réutiliser un parquet en chêne vieux de plus de 100 ans. Il sera remis en état par le CIGR Syrdall et posé dans le nouveau bâtiment par un menuisier local. Nous avons aussi récupéré d’autres planches, plus abîmées, qui serviront sur le chantier.

Enfin, au niveau écologie, nous avons mis l’accent sur l’aspect local. Ce projet sera le 1er au Luxembourg dont le bois sera labellisé « Holz von Hier » et nous aurons recours à des blocs en terre crue, fabriqués à partir d’argile originaire de la commune.

AG : Le facteur primordial est la santé : nous voulons créer une structure saine pour les enfants. Par exemple, nous avons mis un point d’honneur à trouver une colle qui n’émette pas trop de formaldéhydes, quitte à aller la chercher au-delà du rayon fixé.

Ce projet pilote est accompagné par les ministères de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, de l’Énergie, et de l’Aménagement du territoire. Qu’a-t-il de novateur ? À quels challenges avez-vous été confrontés pour répondre aux attentes d’écocircularité ?

AG : L’innovation se trouve surtout dans le fait de travailler avec les matériaux que nous avons sous la main. L’argile qui servira à produire les blocs à maçonner et à enduire les murs viendra de terres d’excavation issues de projets réalisés sur le territoire. Les éléments non porteurs seront en hêtre des forêts communales. Pour travailler ce bois, qui est délicat, très sensible à l’humidité et à la découpe, nous avons dû chercher des solutions qui sortent de l’ordinaire, comme le fait d’utiliser des sections plus petites et des hauteurs plus courtes pour réduire les risques de déformation lors du séchage.

PhG : Nous avons aussi porté une attention particulière au rétroplanning. Pour le bois, par exemple, il ne suffit pas ici de commander des poutres et des planches, mais il faut prélever en forêt le bon volume au bon moment, c’est-à-dire en hiver. Nous avons collaboré étroitement avec l’administration de la Nature et des Forêts pour choisir les bons arbres. Nous partagions le même enthousiasme à les valoriser dans un beau projet qui profitera aux générations futures. Pour le moment, les arbres ont été coupés, ils sont en train d’être transportés vers la scierie qui va les transformer en planches prêtes à être mises en œuvre, en septembre.

Quels matériaux avez-vous sélectionnés pour les structures portantes ?

AG : Les fondations, le radier et un mur semi-enterré sont en béton à faibles émissions en CO2. Le reste est en bois, avec différents principes : dalles CLT, système de poteaux-poutres. Il y a très peu de murs porteurs ce qui laisse une certaine flexibilité dans l’aménagement ultérieur. Les murs extérieurs sont en ossature bois, avec une isolation en fibre de bois insufflée entre les panneaux. Peu de murs sont statiquement nécessaires et les autres pourront être changés assez facilement si nécessaire. La toiture est isolée avec des fibres de bois en panneaux ou en plaques, le radier avec du verre granulé.

PhG : Nous avons réalisé une étude de marché qui a permis de lister les produits « Holz von Hier » disponibles sur le marché régional et nous les avons introduits dans la soumission. Nous avons choisi du bois certifié PEFC ou FSC - c’est la norme - qui, en plus, provient d’un rayon de moins de 200 km autour du Luxembourg, ce qui est un challenge aussi pour les entreprises impliquées dans le projet.

Mélanie Trélat

Le mot de Roby Eischen, administrateur délégué chez Goblet Lavandier & Associés

« Nous avons étudié plusieurs pistes techniques novatrices pour l’approvisionnement en énergie du futur bâtiment : forages géothermiques, corbeilles géothermiques, raccordement au réseau de chauffage urbain existant sur le site alimenté par des copeaux de bois, … Mais nos analyses ont finalement abouti à un concept relativement classique, vu les limites et contraintes réelles avec lesquelles nous avons dû composer sur les plans environnemental, technique et législatif.

Si nous n’avons pas le droit de faire des forages géothermiques, si nous n’avons pas assez de terrain pour mettre en place des corbeilles géothermiques et si le réseau de chauffage urbain existant fonctionne avec un régime de température élevé alors que nous avons besoin de chaleur à basse température, la réalité nous mène à une solution technique finale qui est et restera toujours un compromis. Et ce compromis n’est pas exceptionnel, même si le projet en tant que tel l’est, notamment au niveau des matériaux et de la durabilité en général.

Nous avons donc opté pour une pompe à chaleur air-eau, couplée avec des panneaux photovoltaïques en toiture. Là encore, nous avons dû trouver un équilibre entre toiture végétalisée et panneaux photovoltaïques, afin de pouvoir produire de l’énergie renouvelable tout en soutenant la biodiversité.

Afin de réduire la surchauffe estivale du bâtiment liée à l’ensoleillement, nous avons choisi de travailler avec une combinaison de plantes grimpantes et de stores extérieurs mobiles ».

Le mot de Filipe Valente, architecte

« Le projet s’adapte au terrain situé au bout du campus existant et le long de la route de Luxembourg. Il s’articule autour d’une volumétrie simple, reprenant la forme du terrain tout en jouant sur des blocs saillants marquant la distribution des espaces à l’intérieur, le tout uniformisé par une façade en bardage bois qui nous permet aussi d’intégrer les bâtiments techniques.

Une des spécificités étant de mettre l’accent sur le low-tech, des parois végétalisées ont été prévues devant les façades, servant de pare-soleil. Des panneaux à lamelles permettent également de laisser les fenêtres ouvertes la nuit pour ventiler naturellement le bâtiment.

La crèche pourra accueillir 96 enfants de 0 à 4 ans sur 2 niveaux, le rez-de-jardin étant dédié aux petits et la plateforme supérieure aux grands ainsi qu’aux utilisations secondaires.

Le parking existant sera prolongé et desservira l’accès principal de la crèche situé en contre-haut du terrain via des escaliers et une rampe PMR.

Le but est d’offrir aux enfants la plus grande surface possible pour jouer. Ils profiteront d’une salle polyvalente intérieure (accessible indépendamment et ouverte à d’autres activités) qui surplombe le jardin sous laquelle se trouve un préau soutenu et rythmé par des piliers en bois autour desquels les enfants pourront s’amuser. Ils bénéficieront aussi d’une aire de jeu extérieure aménagée avec des matériaux locaux.

Caritas, qui sera l’exploitant de cette crèche, nous a accompagnés dans nos réflexions en nous faisant partager son expérience du fonctionnement quotidien d’une telle structure ».

Données

Maître d’ouvrage : administration communale de Betzdorf
Conception : Valente Architectes et ZRS Architekten (architecture), Goblet Lavandier & Associés et Ingenieurbüro Hausladen (génie technique), Schroeder & Associés (déconstruction sélective, structure, aménagements extérieurs et infrastructures, conseil en construction durable, en construction saine et économie circulaire, passeport de matériaux, project management)
Début des travaux : avril 2022 / Mise en service : 2023
Coût TTC : 13 350 000 euros
Volume brut total : 13 550 m³ / Surface totale bâtie : 2 516 m2

Article paru dans le NEOMAG#46
Plus d’informations : http://neobuild.lu/ressources/neomag
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Publié le mardi 31 mai 2022
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