Les exosquelettes : une amélioration pour la santé des salariés manuels ?

Les exosquelettes : une amélioration pour la santé des salariés manuels ?

Le port de charges et les répétitions de mouvements sont inhérents aux métiers de la construction qui relèvent, aujourd’hui encore, de la force et de l’énergie humaines. Les exosquelettes sont une des solutions qui permettrait de réduire la pénibilité des tâches et de préserver la santé des travailleurs.

Loin de transformer l’utilisateur en robocop de chantier, ils soutiennent son geste et allègent son effort sans lui ôter sa maîtrise. Mais, pour que leur utilisation soit efficace, il faut que la solution soit préconisée en ciblant de multiples paramètres qui doivent être analysés en amont et en tenant compte des retours d’expérience en situation réelle.

Des experts de la sécurité et de la santé au travail, des développeurs d’exosquelettes passifs et actifs, des formateurs techniques et des formateurs en sécurité et santé au travail se sont réunis à l’IFSB (Bettembourg) pour la 5e édition de Meet&Build, qui proposait un panel de discussions et de présentations autour de cette thématique émergente.

Les exosquelettes sont-ils une piste pertinente pour réduire les problèmes de santé et de sécurité au travail dans le secteur de la construction ? Les intervenants de cette matinée de conférence ont tenté de donner des éléments de réponse à cette question et ont présenté différentes solutions déjà disponibles sur le marché.

Patrick Nemry, Deborah Seutin et Thierry Grimée
Patrick Nemry, Deborah Seutin et Thierry Grimée - ©Marie Champlon

Les TMS, des maladies multifonctionnelles

Dr Thierry Grimée (Service de Santé au Travail de l’Industrie) a introduit le sujet en présentant les pathologies pouvant survenir chez les personnes qui exercent un travail manuel.

Première cause de maladie professionnelle en France, les troubles musculosquelettiques (TMS) sont des maladies multifactorielles qui touchent les membres et la colonne vertébrale, a-t-il expliqué. Répétitivité des gestes, port de charges, utilisation de machines vibrantes, mauvaises postures, exposition à des intempéries sont des facteurs de risques, mais les causes sont aussi d’ordre organisationnel, individuel (âge, ancienneté, état de santé du salarié, risques psychosociaux auxquels il est soumis, etc.).


D’après une étude menée par l’IFOP en 2023, 80% des salariés se plaignent de douleurs. Elles peuvent se transformer en maladies chroniques, voire en inaptitudes dans un délai de quelques mois à quelques années. Près de la moitié des reclassements professionnels ont pour motif les TMS. Au-delà d’un problème de santé au travail, ils représentent donc un problème de santé publique, qui a un impact objectif sur le salarié, sur l’entreprise et sur la société. D’où l’importance de la prévention.

« Il n’y a pas de solution universelle »

Deborah Seutin (Service de Santé au Travail Multisectoriel) a ensuite parlé de prévention des TMS. Elle a souligné l’importance d’identifier les causes, les risques et les déterminants de ces troubles en amont de toute action. Il existe de multiples déterminants techniques, organisationnels et humains sur lesquels jouer pour prévenir les TMS.

Il convient aussi d’établir une hiérarchie de prévention : peut-on éliminer complètement le risque ? Si non, peut-on le réduire ? Puis, pour pallier les risques résiduels, peut-on mettre en place premièrement des équipements de protection collective ou une aide extérieure individuelle (catégorie dans laquelle entrent les exosquelettes), deuxièmement des équipements de protection individuelle ? Et enfin, peut-on former et informer les salariés ? Une fois que l’activité a été analysée et toutes les pistes de solutions envisageables balayées, si l’utilisation d’un exosquelette a été retenue, il s’agit de définir à quelle gestuelle, quelle tâche, quelles conditions il sera adapté, de le tester sur le terrain, en situation réelle, et de s’appuyer sur le retour d’expérience pour évaluer si c’est une option efficace ou non, si des risques persistent ou de nouveaux risques qui se sont créés.


« Il n’y a pas de solution universelle, mais une démarche de prévention à adapter à chaque situation »

Deborah Seutin, Service de Santé au Travail Multisectoriel

Quelques exemples de technologies passives et actives

Joel Bonsafo (Auxivo) a présenté l’exosquelette passif Lifsuit. Ce support mécanique pour le dos, également recommandé pour le soutien des hanches, est un harnais composé quasi à 100% de textile, ce qui en fait un produit particulièrement léger - environ 1kg – et peu encombrant qui peut être porté toute la journée, y compris sous une veste. Son principe repose sur deux élastiques qui aident l’utilisateur à se relever à chaque fois qu’il courbe le dos et l’incite à adopter la bonne posture. Auxivo annonce jusqu’à 40% de réduction de charge sur les muscles. Le travail est facilité sans risque de relâchement musculaire car le corps reste actif. Le harnais est lavable et les élastiques doivent être remplacés tous les 2 ans environ. L’ensemble coûte 900 euros, 200 euros pour les élastiques seuls.

Johann Gisclard et Joel Bonsafo
Johann Gisclard et Joel Bonsafo - ©Marie Champlon

Mis en avant par Johann Gisclard (Hilti), EXO-S est un exosquelette passif permet de soulager les épaules ainsi que le cou dans toutes les applications au-dessus du cœur, grâce à un système de tendeurs qui peuvent être révisés et changés si besoin. D’un poids de 2,4 kg, il offre une grande liberté de mouvement. Il est disponible à l’achat ou à la location. Hilti prépare d’ores et déjà un nouveau modèle, disponible en 2024, qui permettra de porter des charges lourdes en hauteur, sans forcer.

Serge Grygorowicz (RB3D) a dévoilé un exosquelette passif qui a été pensé pour soutenir le dos lors des travaux d’entretien de la vigne - taille, arrachage, marche avec le buste penché en avant, etc. -, mais qui peut éventuellement aussi trouver des applications dans le secteur de la construction. Il est le fruit d’un long travail de développement qui a inclus plus de 150 essais auprès de viticulteurs pour arriver au produit final. Il est basé sur des ressorts qui permettent de réduire la compression lorsqu’on se penche au-delà d’un certain angle, de créer un couple de soutien du buste penché et de maintenir le dos aligné. Il pèse 2 kg et est vendu au prix de 1.500 euros.

Serge Grygorowicz et Pierre Davezac
Serge Grygorowicz et Pierre Davezac - ©Marie Champlon

L’exosquelette passif d’assistance à l’effort Exo-Stronger, présenté par Pierre Davezac (Exhauss), permet de suspendre tous types d’outils au moyen d’un exobras. Active, à l’origine, dans la conception de stabilisateurs de caméras pour l’industrie cinématographique, la société Exhauss a près de 50 ans d’expérience dans la répartition des efforts sur le corps, entre la tête, les omoplates et le bas du dos, ainsi que dans la compensation des effets de la gravité via l’isoélasticité. Elle propose une gamme de produits étendue et modulaire qui permet de configurer des exosquelettes sur mesure en fonction des tâches à accomplir, des postures et des charges.

Filipe Quinaz (Nuada) a dévoilé un gant exosquelette, équipement de prévention des blessures et système de soutien fonctionnel également utilisé dans le cadre de traitements de rééducation. Connecté à une montre intelligente, il permet de maintenir la main complètement relâchée quand elle tient un objet. Facile à enfiler et à utiliser, c’est un outil « naturel » qui se fait oublier.

Filipe Quinaz et Sébastien Danet
Filipe Quinaz et Sébastien Danet - ©Marie Champlon

Autre équipement de prévention des blessures des épaules, ExoActiv, mis en avant par Lionel Scaloni (General Technic) et Sébastien Danet (Festool), est le premier exosquelette actif du marché - par actif, il faut comprendre motorisé. Il permet de rendre la charge de l’outil moins pénible et de lisser la courbe d’effort. Ce modèle pneumatique, équipé d’une batterie de 18 volts autonome plusieurs heures, fonctionne avec un compresseur qui distribue l’air dans les vérins pour adapter la force et l’amplitude de travail et offrir jusqu’à 5 kg d’assistance par bras.

Bientôt un centre de référence et de formation sur les exosquelettes

Patrick Nemry (IFSB) a conclu la matinée en annonçant la création d’un centre de référence et de formation exosquelettes, au sein de l’Institut de Formation Sectoriel du Bâtiment avec le lancement d’un premier module de formation dédié à l’encadrement début 2024 et d’autres modules déjà en préparation dans les mois qui suivront. « Nous sommes convaincus que les exosquelettes feront partie du travail de demain, dans toutes les entreprises, et nous voulons favoriser leur déploiement sur les chantiers », a-t-il conclu.

Les participants ont ensuite pu découvrir en grandeur réelle et tester les différents exosquelettes mis en avant lors des présentations, dans des stands d’exposition installés dans le hall d’accueil de l’IFSB, qui ont suscité une grande curiosité de la part des participants.

Les différents exosquelettes ont été présentés lors du networking
Les différents exosquelettes ont été présentés lors du networking - ©Marie Champlon

Mélanie Trélat
Photos : Marie Champlon

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Publié le mercredi 15 novembre 2023
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