Les besoins en santé mentale dans les centres de détention

Les besoins en santé mentale dans les centres de détention

Sandra Miller, ancienne directrice des soins infirmiers de MSF à Tripoli, témoigne.

Sous le ciel lugubre de Tripoli, dans le quartier de Janzour, une femme s’avance sur la terrasse de son appartement au cinquième étage. Elle profite de la brise matinale pour étendre avec soin son linge coloré, encore humide. De l’autre côté de la rue, des murs surmontés de barbelés bloquent son champ de vision. Ils empêchent l’air frais d’atteindre les chemises déchirées et les chaussures suspendues aux murs sales du centre de détention d’Anjila, où sont enfermés plus de 100 réfugiés et migrants.

À l’extérieur, une équipe d’agents de santé MSF, avec qui j’ai travaillé durant les six derniers mois, arrive au centre de détention, très surveillé. Ils apportent des médicaments, des rations alimentaires supplémentaires et un carton rempli de cahiers. L’objectif de la journée : tenter de soigner à la fois les maladies physiques et la santé mentale des réfugiés et migrants détenus. Ceux-ci souffrent de différentes maladies, toutes exacerbées par les conditions inhumaines de leur détention : épisodes croissants de peur, d’anxiété, d’insomnie ou encore de dépression.

Une survivante d’un naufrage dans un centre de détention en Libye. Septembre 2018. © Sara Creta/MSF

Au cours du mois dernier, les problèmes de santé physique et mentale que connaissent les détenus se sont aggravés à mesure que de violents affrontements – qui connaissent une troisième recrudescence en sept mois - ont éclaté dans la capitale libyenne. Les combats ont mis en danger des civils dans toute la zone métropolitaine de Tripoli : plus de 3 000 réfugiés et migrants ont été exposés à des bombardements aveugles, des coups de feu et des attaques aériennes autour des centres de détention.
Alors que nous entrons dans les locaux d’Anjila et commençons à nous préparer pour le travail qui nous attend, un grand groupe d’environ 80 hommes sortent d’une cellule surpeuplée. Les gardes leur ordonnent de s’asseoir par terre en rangées de dix. Beaucoup d’entre eux semblent à peine vivants. Ils ont le regard vide et le visage dénué d’émotion.

Réfugiés et migrants dans un centre de détention à l’est de Tripoli. Libye. Septembre 2018. © Sara Creta/MSF

Leur attention s’installe sur une jeune femme debout devant eux portant un gilet blanc avec un logo rouge. Balkees Mgadami, une traductrice libyenne de 24 ans, parle d’une voix calme et posée, qui contraste avec son apparence délicate : « Bonjour tout le monde. Nous sommes Médecins sans frontières ». Alternant gracieusement entre arabe, français et anglais, ma collègue explique que les médecins, les infirmières et les travailleurs en santé mentale viennent au centre chaque semaine pour fournir des soins médicaux.

À la fin de son discours d’introduction, elle ajoute un point souvent négligé mais important : « Aujourd’hui, nous allons distribuer des cahiers et des stylos. Si vous avez des idées ou que vous voulez dessiner, ça peut aider. »

Inscriptions faites par les réfugiés et migrants sur les murs d’un centre de détention. Libye. Septembre 2018. © Sara Creta/MSF

C’est un geste assez simple, mais qui fait toute la différence pour des gens qui ont vécu tant d’épreuves et qui ont maintenant si peu de liberté. Nombre d’entre eux ont vécu des épisodes de torture profondément traumatisants alors qu’ils étaient détenus par des trafiquants d’êtres humains. D’autres ont vu leurs proches se noyer sous leurs yeux alors qu’ils tentaient de traverser la Méditerranée avant d’être interceptés et renvoyés en Libye.

Parce qu’ils sont maintenus dans un lieu où ils ne font presque rien, les gens ressassent leur histoire. Lorsque vous êtes bloqué dans une nouvelle situation très difficile et que vous ne pouvez pas envisager un futur, vous continuez à vous remémorer vos expériences passées, surtout celles qui sont négatives. Hisham Sofrani, travailleur social de MSF

Des femmes et enfants dans un centre de détention en Libye. Septembre 2018. © Sara Creta / MSF

La stimulation mentale par l’écriture, le dessin et le jeu sont autant de moyens thérapeutiques qui aident les gens à s’exprimer et à faire face aux situations dangereuses auxquelles ils sont confrontés quotidiennement. Cela contribue également à construire des liens entre les détenus qui ont tous des nationalités, des ethnies et des expériences différentes. En détention, il s’avère que le stylo peut être un outil puissant.

« Nous ne leur disons pas qu’ils iront bien, mais nous minimisons le fait d’être détenu. Nous essayons de donner aux gens les moyens, les mécanismes d’adaptation et les activités qu’ils peuvent faire pour survivre  » dit Sofrani.

Pendant que les médecins examinent les patients à la recherche de maladies comme les infections des voies respiratoires, la diarrhée aqueuse aiguë, la gale et la tuberculose, un petit groupe se rassemble sur des tapis de sol à l’autre bout du centre. Avec un conseiller, ils discutent des causes du stress, de ses liens avec d’autres problèmes comme l’insomnie et des façons dont eux-mêmes peuvent y faire face. Debout, le groupe prend de longues inspirations et fait des exercices physiques simples. Le groupe est attentif et certains se mettent même à sourire ; ils commencent à reprendre vie.

À la fin de la journée de travail au centre de détention d’Anjila, j’observe, mal à l’aise, les détenus qui reçoivent l’ordre de retourner dans leur cellule. En fin de compte, les gens n’ont pas seulement besoin d’un médecin, ils ont besoin de soutien. Ils ont besoin de savoir que quelqu’un, quelque part, se soucie d’eux.

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Photo principale : Des hommes allongés dans une étroite cellule de détention à Khoms. Libye. September 2018. © Sara Creta / MSF

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Publié le mardi 21 mai 2019
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