Le prix à payer - Comment renforcer la résilience dans la filière de la banane ?

Le prix à payer - Comment renforcer la résilience dans la filière de la banane ?

L’industrie de la banane, déjà fortement entachée par des cas d’abus de pouvoir et de violations de droits humains, doit désormais faire face à la pandémie du Covid-19 et à ses conséquences dramatiques sur le terrain.

Risquer sa santé pour nos bananes ?

Guayaquil, Équateur – Jorge Acosta, représentant du syndicat équatorien des travailleurs et travailleuses des bananeraies : «  Tout ce qui compte pour les principaux négociants, c’est que la production ne soit pas interrompue.  »

Alors que le couvre-feu était en vigueur à Machala – surnommée capitale mondiale de la banane – de 5h à14h en avril dernier, le personnel des plantations de la région était quant à lui autorisé à travailler 12 à 15h par jour ! Certaines entreprises auraient même proposé cinq à six dollars de plus par semaine pour que leur personnel reprenne la récolte sans se soucier que l’équipement nécessaire de protection soit à disposition des employés et que la distanciation sociale soit respectée dans les entrepôts d’emballage. Pourtant, les travailleurs et les travailleuses des bananeraies comptent parmi les personnes les plus vulnérables, à cause de voies respiratoires particulièrement sensibles et un système immunitaire affaibli par les pesticides toxiques qui sont régulièrement épandus sur les bananeraies.

À travers le monde, des millions de personnes qui produisent des matières premières agricoles pour le marché mondial sont confrontées à ce dilemme depuis ces derniers mois : continuer à travailler pour survivre ou bien rester à la maison pour se protéger ? Pour Silvie Lang, experte des matières agricoles chez Public Eye[1], « la pandémie de Covid-19 met à nu les faiblesses du système agroalimentaire mondial et montre ce qui se passe lorsqu’on se repose essentiellement sur l’agriculture industrielle, un nombre réduit de chaînes d’approvisionnement, un marché contrôlé par une poignée de grands acteurs et des conditions de travail déplorables. La perversion de ce système porte surtout préjudice aux maillons les plus faibles des chaînes de valeur internationales de l’agroalimentaire. » Bon nombre de travailleurs et de travailleuses se retrouvent aujourd’hui dans une situation plus difficile encore qu’avant : « soit elles perdent leur source de revenus à cause de la chute de la demande ou de l’impossibilité de continuer à produire, soit elles sont contraintes de continuer à travailler pour assouvir la demande mondiale en denrées alimentaires, même si les mesures de protection contre le Covid-19 sont insuffisantes, voire inexistantes. »

À côté des risques accrus pour leur santé, les travailleurs sont confrontés à une augmentation du coût de la vie, aussi bien pour les denrées alimentaires que pour les produits de soins et de protection. Au Pérou, par exemple, un marché noir s’est développé pour l’achat de tests mais aussi pour l’achat d’oxygène. Pendant plusieurs semaines, certains hôpitaux n’avaient plus de stocks d’oxygène et celui-ci était seulement disponible sur le marché noir à un prix exorbitant pouvant aller jusqu’à 1000 € la bouteille d’oxygène, quantité nécessaire par jour pour un patient atteint du Covid-19. Cette situation exacerbe encore plus les inégalités existantes dans les régions concernées.

D’après Marcia Herrera Reto, membre de la coopérative de bananes APPBOSA, située au nord du Pérou à Piura, l’activité de la coopérative a été fortement réduite due notamment au couvre-feu, au temps investi pour désinfecter les espaces de travail ou encore au roulement des équipes sur place. Ces charges supplémentaires pour l’achat de matériel de protection font naturellement augmenter les coûts de production.

Au cœur des plantations de bananes : violations des droits humains …

La crise du Covid-19 survient dans un contexte déjà particulièrement difficile ces dernières années pour le secteur de la banane. Salaires de misère, contrats de travail non signés, absence de protection sociale sont malheureusement monnaie courante dans la filière de la banane. Des milliers de personnes dépendent chaque jour du bon vouloir des contremaîtres qui proposent du travail à la journée. Certains travailleurs ne sont pas assurés, des syndicats sont réprimés, le risque de se retrouver sur une liste noire et de ne plus retrouver de travail est omniprésent, d’où l’utilisation de noms d’emprunt pour certains

… sous le poison des avions…

La filière de la banane est également caractérisée par l’utilisation massive de pesticides de synthèse, dont certains sont bannis depuis longtemps en Europe. Chaque jour, les petits avions survolent les plantations et pulvérisent des pesticides sur ces monocultures qui s’étendent à perte de vue alors que les travailleurs se trouvent au beau milieu des bananeraies. Le poison ne se dépose malheureusement pas que sur les feuilles, mais il pollue aussi les jardins privés, les cours des écoles, les places publiques, les rivières, etc. À côté de l’effet dévastateur sur l’environnement, les travailleurs et les habitants de la région sont confrontés à de graves problèmes de santé.

… avec les Effets du Changement climatique et la lutte contre la Fusariose RT4

De plus, les producteurs sont de plus en plus confrontés aux effets négatifs du changement climatique, à savoir sécheresses, tempêtes, inondations ; mais aussi à des phénomènes divers comme l’apparition de maladies. Depuis 2019, un champignon, appelé le Fusariose Race Tropical 4, attaque les plantations de bananes en Amérique latine. Démarrée en Asie, l’épidémie a progressivement gagné l’Australie et l’Afrique. Son arrivée en Amérique latine menace aujourd’hui la production mondiale de la banane. Ce champignon, présent dans le sol, détruit complètement le bananier en moins de deux mois et contamine la terre pendant plusieurs décennies, rendant toute future culture au même endroit impossible. Cette situation risque de menacer la durabilité de l’industrie mondiale de la banane ainsi que les moyens de subsistance de millions de producteurs et de travailleurs de ce secteur.

FAIRTRADE : un filet de sécurité

En réponse à l’épidémie du COVID-19, Fairtrade International, dont est membre l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg, a adapté temporairement une partie de ses standards afin de permettre aux organisations de producteurs de prendre des mesures immédiates pour protéger la santé et les moyens de subsistance de leurs producteurs, travailleurs et communauté.

La prime Fairtrade est utilisée pour détecter et traiter les contaminations au Covid-19 et également pour venir en aide aux familles. Dans la coopérative APPBOSA, de laquelle proviennent la majorité des bananes BIO-Fairtrade vendues sur le marché luxembourgeois, la prime Fairtrade a servi à financer l’achat de masques, de gants de protection, de respirateurs artificiels, de produits de désinfection, mais aussi pour acheter des biens de consommation de première nécessité. Dans les grandes exploitations, les comités de gestion de la prime peuvent distribuer jusqu’à 100 % de la prime Fairtrade sous forme de paiements en espèces aux travailleurs. Le commerce équitable démontre aujourd’hui une fois de plus qu’il agit en tant que filet de sécurité, aussi bien au niveau économique que sanitaire.

The True Cost et devoir de vigilance

Les chaînes de valeur mondiales, dans leurs formes actuelles, n’accordent pas assez de valeur aux personnes qui travaillent dans la production des matières premières, ni aux populations des pays où celles-ci sont cultivées, ni aux effets négatifs de cette production sur l’environnement. De plus en plus de voix réclament plus de durabilité et de transparence dans le secteur de la banane, visant à forcer les entreprises à inclure les coûts externalisés dans leurs calculs.

Selon les résultats d’une étude[2] menée par True Price et Truecost et commandité par Fairtrade International, il a été identifié que les coûts externes moyens d’une boîte de bananes (18,14 kg) sont de 6,70 $, avec en général une répartition de 60 % attribués aux coûts sociaux et 40 % liés aux coûts écologiques. Les coûts sociaux les plus importants sont l’insuffisance des salaires et de la sécurité sociale pour les travailleurs salariés et l’insuffisance des revenus des petits producteurs et de leur famille. Ensemble, ils représentent en moyenne 33 % du total des coûts externes. Les autres coûts sociaux externes importants sont le harcèlement et les risques pour la santé et la sécurité au travail (respectivement 13 % et 11 % des coûts externes totaux en moyenne). Les coûts environnementaux les plus importants sont l’occupation des sols (21 %), le changement climatique (10 %) et l’épuisement de l’eau (6 %). Au niveau du label Fairtrade, l’étude a révélé que les coûts externes moyens de la production de bananes sont 45 % plus bas pour les producteurs du commerce équitable que pour les producteurs conventionnels du secteur, soit 3,65 $ contre 6,70 $ par boîte de bananes.

Il va de soi que ce cercle vicieux de l’exploitation des humains et de l’environnement ne pourra être brisé que si les multinationales payent un prix décent sur le long terme, intégrant les coûts sociaux et environnementaux externes de la production de la banane. L’ONG Fairtrade Lëtzebuerg, qui est membre de l’Initiative pour un devoir de vigilance, plaide également en faveur d’une loi nationale sur le devoir de vigilance en matière de droits humains et de l’environnement pour les entreprises afin que les violations « de ces droits » dans les chaînes de valeur cessent définitivement.


[1] https://www.publiceye.ch/fr/
[2]Communiqué de presse : https://www.fairtrade.lu/communiques-de-presse-en-savoirplus/communiqu%C3%A9-the-true-costs-of-the-banana-445.html
Plus d’informations : https://www.fairtrade.lu/

Communiqué
Publié le vendredi 25 septembre 2020
Partager sur
Avec notre partenaire
Nos partenaires