Le Luxembourg au front de l'Europe climatique

Le Luxembourg au front de l’Europe climatique

Dans le concert européen, tout le monde n’a pas les mêmes ambitions pour le climat et la biodiversité. La délégation luxembourgeoise emmenée par Carole Dieschbourg défend ses positions, notamment contre le nucléaire et pour un objectif climatique revu à la hausse.

Pas si simple de mettre en place la loi européenne sur le climat... Les discussions reflètent les positions nationales parfois très opposées, voire l’impact des lobbies. Le petit Luxembourg y fait entendre sa voix et plaide pour une position, commune certes, mais surtout ambitieuse.

Le combat a été rappelé par la délégation luxembourgeoise, emmenée par Carole Dieschbourg, ministre Déi Gréng de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, lors du récent Conseil des ministres « Environnement », le premier sous présidence allemande. L’objectif luxembourgeois est de faire avancer les discussions sur cette nouvelle loi européenne sur le climat, alors que le Conseil européen doit se prononcer sur l’actualisation de l’objectif climatique de l’Union européenne à l’horizon 2030 et qu’une autre stratégie se met en place, parallèlement et à ce même horizon 2030, pour la biodiversité.

Vers des émissions négatives

Pour Carole Dieschbourg, une loi européenne pour le climat doit poser le fondement légal de plusieurs éléments clé. Premièrement, il faut une clarification : « L’objectif de neutralité climatique d’ici 2050 doit valoir autant pour l’UE que pour ses États membres, tout en prévoyant des flexibilités intra-européennes afin que cet objectif puisse être atteint par chaque État membre ». Le Luxembourg fait partie des pays engagés pour que l’UE puisse atteindre des émissions négatives au-delà de 2050 - que les absorptions de gaz à effet de serre par des puits de carbone, comme les forêts, dépassent en volume les émissions. « Il est important d’être, dès à présent, le plus clair possible envers les citoyens et les acteurs économiques sur le cadre réglementaire et politique à attendre dans les années et décennies à venir ».

Ensuite, le Luxembourg insiste sur un objectif climatique européen pour 2030 revu à la hausse : « Il faut un minimum de 55% de réduction d’émissions réelles ». Pour la ministre, c’est un strict minimum, pour s’aligner sur l’objectif de la neutralité climatique pour 2050 et pour éviter que l’objectif recommandé par la communauté scientifique - limiter l’élévation de la température globale à 1,5°C - soit mis hors de portée. Autre point d’attention : des objectifs intermédiaires et un cycle de révision de ces objectifs, suivant le cycle des 5 ans (convenu sous l’accord de Paris), afin de pouvoir s’aligner sur les plus récentes connaissances scientifiques et de pouvoir améliorer la performance des outils.

Il reste des points non résolus. Le Luxembourg a néanmoins soutenu l’adoption de l’orientation générale. « Il est important de pouvoir entamer dès que possible les négociations avec le Parlement européen sur ce texte. Un accord au niveau européen sur la rehausse de l’ambition climatique de l’UE pour 2030 est nécessaire dans les meilleurs délais, afin que l’UE puisse soumettre cette décision auprès des Nations unies avant la fin de l’année 2020 et inspirer d’autres gros émetteurs de gaz à effet de serre d’en faire autant ».

Le nucléaire masqué, la biodiversité dans l’urgence

La voix du Luxembourg n’hésite pas à se faire entendre. Ainsi, Carole Dieschbourg s’est opposée à l’inscription de la « neutralité technologique » dans le texte : « C’est un langage codé et indirect notamment en faveur de l’énergie nucléaire ». Et la ministre de rappeler que, pour le Luxembourg, « le nucléaire n’est pas une solution ». Elle a aussi rejoint la position autrichienne qui demande de rendre explicite, dans le texte, les principes fondamentaux des traités européens en matière d’environnement : principe de précaution et d’action préventive de risques, réparation des dommages environnementaux et « pollueur-payeur ».

Sur la préservation de la biodiversité, le Luxembourg fait partie des ardents défenseurs de l’urgence absolue dans les actions à mener. « Il faut des mesures fortes afin d’infléchir la courbe du déclin de la biodiversité. L’urgence est extrême ». La ministre revendique notamment la création d’un réseau de zones protégées, juridiquement contraignant, d’au moins 30% de la superficie terrestre et marine, dont 10% de protection stricte. Petit pays proactif, le Luxembourg rappelle qu’il s’agit bien d’un effort collectif au niveau de l’Union, et qu’il faudra s’assurer que chaque État membre y participe activement et sur une base équitable. Les délégués luxembourgeois soulignent que ce combat doit aussi être mené au niveau mondial lors de la prochaine Conférence des Parties à la convention sur la diversité biologique. C’est la raison pour laquelle le Luxembourg a rejoint la « coalition à haute ambition pour la nature et les peuples » et appuie les 10 points transformateurs du « leaders pledge » signé lors du sommet sur la biodiversité.

Carole Dieschbourg insiste : « L’urgence en matière de biodiversité ne concerne pas que les 30% protégés, mais aussi les 70% restant du territoire. L’Europe devra être capable de soutenir la transition vers des pratiques réellement durables. Elle devra faire de l’agriculture biologique et de l’agroécologie la base de la future politique agricole commune avec comme conséquence la diminution radicale d’au moins 50% de l’utilisation des pesticides chimiques. L’Europe devra appliquer partout une sylviculture proche de la nature pour accroître la résilience de nos forêts et protéger nos vieilles forêts et nos dernières forêts primaires ».

Chimie et alchimie

Avoir voix au chapitre ne veut pas dire être écouté pour autant. Le Luxembourg a proposé, en vain, de faire référence à la biodiversité dans la nouvelle « facilité pour la reprise et la résilience » afin de rendre les économies de l’Union plus durables. « C’est une occasion manquée de rendre le budget de l’Union mieux armé face aux défis posés par la transition écologique. Il faudra absolument veiller à ne plus tomber dans les vieux schémas et sortir d’un jeu à double perdant entre biodiversité et croissance économique. La biodiversité devra être une des priorités dans le futur cadre financier pluriannuel 2021-2027 ».

On notera encore l’engagement du Luxembourg dans la stratégie européenne face aux produits chimiques. Le Grand-Duché fait partie des États faisant pression pour une « stratégie ambitieuse qui préviendra les effets nocifs des produits chimiques sur la santé humaine et l’environnement ». Objectif : améliorer la législation européenne et doter l’UE d’un plan d’action assorti de mesures concrètes, notamment dans le domaine des perturbateurs endocriniens, des produits dangereux qui se retrouvent dans une série d’articles de consommation à l’import-export, des effets combinés de produits en interaction, ou des produits chimiques très persistants comme les substances dites « per- et polyfluoroalkylées ».

Le Luxembourg fait également partie des soutiens à une modification de la convention d’Aarhus (accès à l’information, participation du public au processus décisionnel, accès à la justice en matière d’environnement), dans le sens d’un accès élargi aux juridictions européennes, afin de permettre aux ONG œuvrant en matière environnementale d´assumer leur rôle.

Alain Ducat

Photo : Carole Dieschbourg s’engage clairement pour le Luxembourg sur le terrain de l’urgence climatique, de l’anti-nucléaire et de l’accès élargi aux juridictions de justice européenne pour les ONG. (photo : Sina Niemeyer - Greenpeace)

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Publié le mercredi 28 octobre 2020
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