La résilience du pays à l'épreuve des chiffres

La résilience du pays à l’épreuve des chiffres

Sortir de la crise et de ses conséquences, mieux, assurer la relance, c’est aussi un défi politique et financier pour les États. Le Luxembourg s’est jeté assez tôt dans la bataille de la résilience. Regard sur les annonces, les mesures, les données budgétaires et les pistes durables.

« Avec des performances bien meilleures que celles anticipées, le Luxembourg confirme sa résilience face à cette crise et ses conséquences ». La phrase pourrait être celle d’un politicien s’auto-congratulant. Elle vient pourtant du panel d’économistes parfois décapants de la Fondation IDEA. Ils ont passé le budget 2022 de l’État au scanner et se sont penchés sur le projet de programmation financière pluriannuelle pour la période 2021-2025.

Flashback. Décembre 2020 : les dirigeants de l’Union européenne, le Parlement européen et la Commission européenne, approuvent un Plan de Relance pour aider à réparer les dommages économiques et sociaux causés par la pandémie COVID-19. Une enveloppe de 2 018 milliards d’euros se dégage pour « construire une Europe plus verte, plus numérique et plus résiliente ». Pour pouvoir accéder aux fonds européens, les pays membres soumettent un plan national de relance et de résilience, dans lequel au moins 37% des dépenses sont allouées au climat et 20% aux investissements et aux réformes numériques, un plan à mettre en œuvre pour 2026.

Une vingtaine de projets à construire et des tabous à briser

Le Luxembourg présente son plan, estimé à 183,1 millions d’euros répartis sur une vingtaine de projets de réformes ou d’investissements, et demande un total de 93,4 millions d’euros de subventions, au titre de la « facilité pour la reprise et la résilience » (FRR), pièce maîtresse du programme NextGeneration EU. Le plan luxembourgeois s’appuie sur 3 piliers : cohésion et résilience sociale, transition verte et transition numérique, innovation et gouvernance.

61% de l’enveloppe totale du plan pour les réformes et investissements concernent les objectifs climatiques. Le Luxembourg cible la résilience économique mais aussi sociale, en mettant notamment sur la table son « Pacte logement 2.0 » avec les communes, qui vise à faciliter l’accès à un logement abordable et durable.

Mi-octobre 2021 : le Premier ministre Xavier Bettel fait son traditionnel « discours sur l’état de la Nation ». Parmi les annonces à impact sociétal, le Premier évoque un système pour compenser l’empreinte carbone des missions gouvernementales et une comptabilisation de la consommation de CO2 sur les trajets des services de l’État d’une année entière. Il parle aussi de ce « Bureau du citoyen pour le climat » (il en reparlera quelques semaines plus tard à la COP26 ), dont les idées devront être débattues à la Chambre des Députés. Dans la foulée, Xavier Bettel promet encore une étude sur la décarbonation de l’industrie luxembourgeoise à l’horizon 2040 et « de nouvelles aides pour réduire les émissions de CO2 de l’économie et les ramener à zéro à moyen terme. »

Il parle également du logement, en brisant un tabou : taxer la spéculation de terrains constructibles et d’appartements non occupés, dans le cadre d’une réforme générale de l’impôt foncier.

Investissements pour demain

Dans la foulée, le ministre des Finances (futur démissionnaire), Pierre Gramegna, propose un budget 2022 (à suivre en détails ici) menant le Luxembourg sur « la voie de la normalisation », après la crise. Pour lui, 3 axes guident l’exercice, dont la lutte contre le réchauffement climatique et une composante sociale ambitieuse.

Quelques chiffres ? 765 millions d’euros d’investissement pour lutter contre le réchauffement climatique, « le défi du siècle », une enveloppe qui atteindrait 975 millions d’euros à l’horizon 2024. Les moyens pour atteindre les objectifs fixés dans le Plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC) seront augmentés pour atteindre 1,8 milliard d’euros en 2022.

Investissements aussi, notamment dans les réseaux ferroviaires (300 millions d’euros pour le Fonds du rail), le tram, le développement de la mobilité douce. Le programme pluriannuel des investissements atteint 1,5 milliard d’euros sur la période 2021-2025.

Et, en matière de logement, on annonce 228 millions d’euros dans la construction de logements abordables, une enveloppe en hausse de 77%.

Décembre 2021 : Revenons-en à l’analyse de ce budget 2022 par la Fondation IDEA. « En complément des principales mesures annoncées dans le cadre de la présentation de la loi budgétaire pour renforcer les investissements publics, accompagner la transition énergétique, rendre le logement plus abordable et soutenir la formation ainsi que la transition digitale, plusieurs mesures pourraient utilement compléter le budget dans le but d’améliorer la protection des ménages les plus vulnérables, de soutenir les entreprises, de limiter la pression sur le marché de l’immobilier et de ne pas injurier l’avenir du pays ».

Propositions concrètes

Et les contributeurs à cette étude prospective - Muriel Bouchet, Narimène Dahmani, Vincent Hein, Michel-Edouard Ruben et Thomas Valici - de proposer une série de 9 amendements.

Par exemple : « Compte tenu du surcoût que représentent les projets de décarbonation pour les entreprises, tant en matière d’investissements que de coûts opérationnels (…), il pourrait être opportun d’élargir le spectre des coûts couverts par le mécanisme d’amortissement spécial pour les investissements réalisés dans l’intérêt de la protection de l’environnement et de la réalisation d’économies d’énergie. Cet amortissement spécial ne couvre pas à l’heure actuelle les investissements productifs, ni les coûts induits en matière de personnel et de formation. En outre, il pourrait être réévalué à la hausse - le taux actuel est de 80% des investissements réalisés ».

Le panel cible aussi d’accélérer l’impact des mesures gouvernementales et la priorité au logement. « Une mesure à impact immédiat pour tenter d’augmenter l’offre de logements à destination des locataires, qui sont ceux qui ont le plus de difficultés en termes d’accessibilité au logement, serait de ‘’réactiver’’ la lutte contre la vacance, de mobiliser les logements vacants et les terrains non construits ».

« Au Grand-Duché, l’impôt foncier ne pèse actuellement que 0,05% du PIB, alors qu’il se montait encore à 0,3% du PIB en 1970 », observent les économistes de la Fondation IDEA. « Le Premier Ministre a mentionné la nécessité de taxer davantage les terrains constructibles vides et les logements non occupés, dans le contexte d’une ‘’réforme générale de l’impôt foncier’’. La lutte contre la détention improductive de biens pourrait contribuer à améliorer la situation en matière d’offre de logements. (…) Il convient également de réfléchir à l’adaptation au contexte luxembourgeois de la ‘’bedroom tax’’ britannique, qui concernerait les propriétaires en situation de sous-occupation de leur logement ».

Bien d’autres analyses seront à faire, à risquer ou à suivre. Ce qui est clair, c’est que la résilience d’un pays passe aussi par les moyens et la volonté politique qu’on y met.

Alain Ducat
Photos/Infographies : SIP, Ministère des Finances, Ministère d’État
Article tiré du dossier du mois « R é S ili E nce ? »

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Publié le mardi 4 janvier 2022
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