Thierry Feltgen - BLI

La finance durable au révélateur de son impact véritable

Au-delà des simplifications et des raccourcis, Thierry Feltgen porte l’ambition de rectifier quelques croyances en matière d’investissement durable. Face à la complexité du sujet, BLI procède de façon structurée et transparente, pour trouver réponse à la question : quel est mon véritable impact ? La question devrait infuser l’éthique de toute gestion d’actifs responsable.

D’après une estimation des Nations Unies, 5 à 7.000 milliards de dollars d’investissements seront nécessaires chaque année jusqu’en 2030 pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD). Quelles sont les solutions pour parvenir à ces ambitions ?

Thierry Feltgen, Head of SRI (Socially Responsible Investment) Strategy & Stewardship chez Banque de Luxembourg Investments (BLI), l’asset manager de la Banque de Luxembourg, opte pour la lucidité : « Ce n’est pas aussi simple que l’on voudrait l’avoir. Il serait tellement beau d’affirmer : lorsque j’achète une entreprise d’éoliennes sur le marché secondaire, j’ai atteint les ODD. Souvent, le sujet est tellement simplifié qu’il en devient faux.

Les activités d’une multitude d’entreprises permettent de changer le tissu économique, la qualité de la croissance. Ces changements se passent dans le monde réel. A côté de celui-ci, il y a le monde financier, tel un monde virtuel. Dès qu’une entreprise a émis ses actions, elles peuvent s’échanger de détenteur en détenteur, indépendamment de sa volonté – et de ses activités. Il faut se rendre à l’évidence : que je sois investi dans une entreprise ou que je l’évite ne changera rien dans un premier temps. »

Thierry Feltgen emprunte la définition du GIIN (Global Impact Investing Network) pour affirmer un état de fait : « Les investissements à impact sont réalisés dans l’intention de générer un impact social et environnemental positif et mesurable en même temps qu’un rendement financier. »

Il confère à la réglementation son effet fédérateur et incitateur : « Elle ne nous interdit pas d’investir dans le charbon, mais nous engage à être transparents vis-à-vis de notre clientèle. C’est un peu le name and shame. Beaucoup d’investisseurs ont des valeurs, ils se détournent du charbon, du nucléaire, du tabac, de l’alcool etc.si bien que de plus en plus d’acteurs financiers sont amenés à respecter ces critères éthiques. Cela a un effet significatif sur le cours de ces entreprises à moyen/long terme. Une entreprise au comportement douteux aura des difficultés à réémettre du capital, tandis que des entreprises vertueuses auront un accès plus facile aux financements. C’est pour moi l’enjeu du green deal européen : réorienter les flux vers les activités vertueuses.

La SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) et la taxonomie européenne des activités environnementalement durables sont de très bonnes initiatives, même s’il y a une quantité énorme de données à appréhender, de concepts à mettre en place pour être conformes, car les autorités de tutelle telle la CSSF veillent. Ainsi, les conseillers clientèle de la Banque de Luxembourg sont invités à des séances de formation continue pour bien intégrer toutes les notions de l’investissement durable et garder à jour leur maîtrise du sujet, selon l’exigence de la réglementation, afin que le client puisse en tirer une valeur ajoutée. »

Signalons que la majorité des fonds gérés par BLI et distribués par la Banque de Luxembourg sont classés article 8+ ou 9 selon la classification SFDR (c’est-à-dire les plus hauts niveaux d’ambition selon le cadre défini par l’Union européenne ; ndlr).

« La majeure partie de nos fonds investit donc en actifs durables quand le reste de notre portefeuille est composé d’actions faisant la promotion des facteurs de durabilité, » poursuit Thierry Feltgen. « J’estime qu’à la fin de cette décennie, tout le cadre en matière de finance durable sera en place et en équilibre – car plein d’éléments restent à construire. L’industrie financière se voit confrontée au défi de devoir se rendre conforme à un cadre réglementaire de plus en plus ambitieux. Mais outre la conformité réglementaire, il s’agit maintenant d’y ajouter de la substance qualitative, afin de soutenir le Green Deal. »

Le leitmotiv de BLI est de pouvoir quantifier cette substance : la notation ESG (critères Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance) a ainsi été intégrée dans son modèle de valorisation des entreprises. « Chez nous, les décisions d’achat/vente sont faites par rapport à la fair value (valeur intrinsèque de l’entreprise : estimation de la valeur financière d’un bien la plus objective possible, au-delà de sa valeur de marché actuelle) des entreprises. Ainsi, un émetteur faisant face à des risques de durabilité majeurs ou qui les gère mal verra sa fair value baisser. A contrario, une entreprise qui rencontre peu de risques en matière de durabilité et/ou qui les gère très bien verra sa fair value majorée. Ainsi, nous avons intégré des considérations extra-financières dans le moteur-même de nos décisions d’achat/vente .

Par ailleurs, nous appliquons parcimonieusement des politiques d’exclusion (charbon, hydrocarbures non conventionnels, armes controversées…). En effet, mis à part les activités incontestables, nous n’aimons pas trop les exclusions. La raison : si je suis investi, je peux influer sur l’entreprise en tant que co-propriétaire, l’encourager à signer l’UN Global Compact (Pacte Mondial des Nations Unies) ou les SBTI (Science-Based Targets Iniative, ndlr) ... Si par contre je l’exclus de mes investissements, je n’ai pas la légitimité d’intervenir au niveau de ses décisions stratégiques. Cette activité d’engagement prend plusieurs formes : l’engagement individuel, l’engagement collaboratif, et l’influence par le vote aux assemblées générales. »

Le gérant SRI voit dans l’engagement collaboratif un instrument de choix pour stimuler cette exigence d’influence. Aujourd’hui, des plateformes tel que l’ISS (Institutional Shareholder Services) permettent de soumettre sans grand effort les votes possibles aux assemblées générales des entreprises dans lesquelles on est investi et de les ajuster éventuellement en quelques clics. Ainsi, l’accès au vote est devenu simple : il s’agit d’une avancée démocratique, d’autant plus qu’il existe des plateformes avec lesquelles il est possible de s’allier, comme par exemple celle de l’UNPRI, ce qui permet d’entrer en dialogue avec les entreprises.

Il active alors un autre levier, le risque : « Imaginons une entreprise produisant des boissons à Cape Town en Afrique du Sud, en proie à de graves problèmes d’approvisionnement en eau, puisque les nappes phréatiques sont en train de baisser considérablement. Dans le futur, cette activité rencontrera des difficultés pour perdurer.

Ces effets sont lents à se matérialiser. Par contre, en tant que financiers, nous devons appréhender les entreprises et leurs risques, surtout lorsqu’ils sont extrêmes, afin de prendre les bonnes décisions d’investissement pour les portefeuilles sous notre responsabilité.

Avec notre équipe, nous avons le projet de construire un modèle permettant d’identifier les risques physiques et climatiques qui auront un effet matériel sur nos portefeuilles, et d’utiliser cette information pour entrer en dialogue avec les entreprises dans lesquelles nous sommes investis. »

En guise de conclusion, une projection à courte échéance : « Quand il y aura un consensus général pour préférer les entreprises intègres, qui vont dans le sens de la transition, elles auront alors un accès plus aisé aux financements, que ce soit en capital ou en crédit. Là, le changement va s’opérer ».

Cette interview a été réalisée sur la base d’un article de Thierry Feltgen intitulé « L’investissement durable et responsable déconstruit et reconstruit » publié sur le blog de BLI le 3 avril 2023. Il est à lire ICI.

Par Sébastien Michel
Photos : Marie Champlon
Article tiré du dossier du mois « L’âme de fonds »

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Publié le vendredi 26 mai 2023
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