« La durabilité n'est pas dans l'ADN du secteur financier »

« La durabilité n’est pas dans l’ADN du secteur financier »

La Luxembourg Sustainable Finance Initiative, partenariat public-privé du ministère des Finances, du ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, de Luxembourg for Finance et du Conseil supérieur pour un développement durable, agit depuis 2020 comme coordinateur national sur les sujets relatifs à la finance durable.

Interview de sa general manager, Nicoletta Centofanti.

Dans quel contexte a été créée la Luxembourg Sustainable Finance Initiative et quel est son rôle ?

En 2018, le gouvernement publiait une feuille de route sur la finance durable, avec comme première recommandation de fonder une entité de coordination de tous les acteurs de la finance durable. LSFI a donc vu le jour en 2020 avec pour missions principales d’identifier des synergies entre les différents acteurs concernés par la finance durable et de rédiger une stratégie pour le Luxembourg. Cette stratégie, nous l’avons publiée en 2021 avec des objectifs à court (1 an), moyen (2-3 ans) et long termes (5 ans). Elle peut être consultée sur notre site web.

Nos missions incluent également la sensibilisation des différentes parties prenantes : population, grand public, institutions financières et l’accompagnement du secteur financier dans cette transition durable.

Quels sont selon vous les principaux obstacles actuels de la finance durable ?

Pour ma part, je suis une experte en durabilité, ingénieure de l’environnement. Mais quand on parle de finance durable, on demande à un secteur jusqu’hier focalisé sur le sujet « finance », de devenir expert en durabilité. La durabilité qui est, comme on le sait, un sujet très complexe, avec beaucoup d’enjeux. Même en ne considérant « que » les dimensions ESG (environnement, social et de gouvernance), chacune comporte beaucoup de sous-catégories avec des complexités et un besoin de connaissances spécifiques.

C’est donc un sujet qui n’est pas dans leur ADN. La connaissance, la sensibilisation et la compréhension des enjeux derrière les termes « finance durable » sont sans doute les obstacles les plus difficiles à surmonter. Beaucoup de travail a été réalisé par les institutions financières, et surtout par la Commission européenne, qui est en train de réglementer le secteur. Mais à ce stade, cette réglementation représente, elle aussi, un grand obstacle, car il faut la mettre en place, la rendre juste, la comprendre et ensuite collecter les données nécessaires pour répondre aux obligations.

On parle beaucoup du défi des données, de leur collecte et de leur qualité. Je pense que ce défi n’est pas tellement lié au manque de données, mais surtout à la façon de collecter ces données, avec le procédé le plus juste et d’être capables de les comprendre et de les utiliser de manière adéquate, afin de mener à des actions concrètes et pertinentes.

Le greenwashing est également un terme qui revient souvent. Mais à vrai dire, à l’heure actuelle, tout le monde est encore dans l’attente d’une définition correcte. De mon point de vue, on fait du greenwashing quand on utilise des informations dont on dispose pour les transmettre de façon trompeuse. Or, le greenwashing volontaire n’est, à mon sens, pas vraiment présent, car les institutions financières ont à cœur de donner les informations correctes.

Le risque est plutôt indirect, lorsqu’une entreprise financière transmet des informations incomplètes, parce qu’elle ne comprend pas tout à fait ce que l’on attend d’elle. C’est pourquoi les piliers éducation, sensibilisation et prise de conscience sont très importants pour la LSFI et ses diverses parties prenantes. En étant bien informé, on peut mieux communiquer.

Quelles synergies-clés, mises en place à l’aide de la LSFI, permettent au secteur d’avancer vers une finance plus durable ?

En tant que plateforme de coordination, nous échangeons périodiquement avec toutes nos parties prenantes. Actuellement, nous avançons sur deux thématiques réparties dans des groupes de travail. Ces groupes rassemblent des acteurs financiers, éducatifs, publics, des ONG, etc. qui, grâce à leurs propres expertises, accompagnent notre équipe sur les différents thèmes et sur les missions qui y sont liées.

Le premier se nomme «  Sustainable Finance Education & Training » et se focalise donc sur la formation, tandis que le second – « Climate Measurement & Reporting » - coordonne les acteurs actifs dans les outils de mesure et le reporting. Deux autres groupes de travail commenceront bientôt à discuter des thématiques « Innovation & Retail Products for Sustainable Finance » et « ESG Data ». Ce dernier groupe a un très grand défi qui l’attend, puisqu’il va essayer d’identifier quels indicateurs peuvent nous aider à mesurer les développements de la finance durable sur l’économie réelle. À l’heure actuelle, nous ne pouvons mesurer que l’impact durable des fonds d’investissement, sur base des critères ESG inclus dans leurs stratégies. L’étude que nous avons réalisée avec PwC Luxembourg indique d’ailleurs que près de la moitié des fonds luxembourgeois appliquent une stratégie ESG.

Pour citer un autre exemple de synergie, nous avons conclu un partenariat avec l’Université du Luxembourg, incluant la création d’une série de webinaires trimestriels sur la finance durable. Ceux-ci nous permettent de créer un pont entre le monde académique et financier dans le but d’appliquer les meilleures pratiques du monde académique dans le secteur financier.

Enfin, notre assemblée annuelle donne l’occasion à toutes nos parties prenantes de faire part de leurs récentes activités, de leurs obstacles et opportunités, et génère des actions communes ou la mise en place d’actions leur permettant de faire face aux difficultés qu’elles rencontrent.

Propos recueillis par Marie-Astrid Heyde
Photo : LSFI

Article tiré du dossier du mois de la rédaction « L’âme de fonds »

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Publié le mardi 16 mai 2023
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