Faut-il devenir végétarien pour sauver la planète ?

Faut-il devenir végétarien pour sauver la planète ?

L’élevage est une source notable de gaz à effet de serre. Doit-on pour autant le supprimer ? Y a-t-il des types d’élevage respectueux de l’environnement ? Faut-il cesser de manger de la viande ou seulement de la viande industrielle ? Enquête... et réponse.

C’est le genre de débat qui anime les déjeuners à La Ruche, l’espace de bureaux coopératif qui accueille la rédaction de Reporterre. Hervé et Barnabé assument sans complexe leur côté carnivore tandis que Lorène mange sa salade, soutenue par Flore, une des animatrices de La Ruche.

« J’ai fait une école d’agronomie, raconte notre apicultrice, on parlait beaucoup d’agriculture intensive et de la quantité de ressources qu’il faut pour produire un kilo de bœuf. Je me suis dit que sachant cela, je ne pouvais pas continuer à manger de la viande. »

Pour Lorène, l’élément déclencheur a été un voyage au Mexique : « J’ai travaillé avec des communautés rurales qui souffraient de la faim parce que leurs terres étaient trop pauvres. Quelques kilomètres plus loin, les meilleurs champs étaient occupés par le bétail exporté aux États-Unis. Puis je me suis documentée sur l’impact environnemental. Manger autant de viande, c’est un caprice de riches. »

Et c’est vrai, les faits sont accablants. L’élevage paraît incroyablement destructeur pour la planète comme pour la majorité des Hommes. C’est ce qu’assène l’américain Kip Andersen dans son documentaire Cowspiracy :

« L’élevage est responsable de 18 % des émissions de gaz à effet de serre, plus que tous les modes de transport réunis » ; 
« l’élevage est responsable de 91 % de la destruction de l’Amazonie » ; 
« le méthane est un gaz 86 fois plus réchauffant que le CO2 », etc.

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Cowspiracy

Alors faut-il arrêter de manger de la viande, et même plus, lait et œufs ? Est-ce la solution la plus efficace pour lutter contre le changement climatique ? C’est ce que laisse entendre ce documentaire, qui nous incite à devenir non pas seulement végétarien, mais vegan : c’est à dire à exclure tout produit animal de notre alimentation.

Les mêmes arguments sont repris par l’association L214. Comme elle l’explique , elle « s’est donné pour mission première de dénoncer la réalité de l’élevage ». Sur son site viande.info , elle informe sur les conséquences de la consommation de produits animaux : émissions de gaz à effet de serre (les rots des vaches), déforestation (on importe du soja brésilien pour nourrir le bétail), pollution de l’eau (à cause de l’excès de déjections animales)…

Pour L214, l’élevage est aussi un gâchis de terres arables. « Les animaux sont de piètres convertisseurs d’énergie en alimentation humaine », explique l’association. En effet, « il faut en moyenne sept calories végétales pour donner une seule calorie animale », poursuit Brigitte Gothière, porte-parole de l’association.

Conclusion de la militante : « Il faut supprimer l’élevage », ou, au moins, « le réduire de façon très, très importante, et là on aura suffisamment diminué les émissions de gaz à effet de serre ».

« Un amalgame entre productions animales et élevage »

« C’est vrai, si on pose les faits sur une feuille blanche, on se dit que l’élevage contribue à réchauffer la planète, admet Jean Cabaret, éleveur bio de vaches laitières en Bretagne. Donc il faudrait supprimer l’élevage. Mais ce n’est pas si simple... »

Car tous les élevages ne se valent pas. « Le problème c’est qu’en France on a poussé le curseur de l’industrialisation trop loin, estime Sylvain Doublet, spécialiste de l’agriculture au cabinet de conseil Solagro. En France aujourd’hui, on consomme trois fois plus de protéines animales que les recommandations de l’OMS [Organisation Mondiale de la Santé - NDLR] »

Jocelyne Porcher, directrice de recherches à l’INRA Montpellier, distingue le « véritable »élevage, qui vise à créer une relation entre l’homme et l’animal, de ce qu’elle appelle « les productions animales », qui considèrent les animaux comme une ressource.

« Pour moi ce n’est pas l’élevage qui détruit la planète, ce sont les productions animales », soutient-elle. Une affirmation qui se vérifie en tout cas pour les bovins. Reporterre vous l’a déjà raconté : les élevages herbagers ont un impact moindre sur l’environnement et le climat que celui des élevages hors sol.

Des prairies riches en carbone

Pour l’éleveur Jean Cabaret, l’élevage peut même être une partie de la solution. Il a longuement réfléchi au sujet avec le groupe « élevage et changement climatique », créé au sein de son syndicat la Confédération paysanne. Ils rappellent que le sol de leurs prairies stocke du carbone, alors que les retourner pour en faire des champs dédiés à l’alimentation humaine relâcherait de grandes quantités de CO2 dans l’atmosphère.

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Et puis, les bêtes vont souvent se nourrir dans des endroits inaccessibles aux tracteurs. « Par exemple dans mon exploitation, on a plusieurs zones en prairies humides qui ne pourraient pas être cultivées. L’élevage permet d’entretenir ces zones. Un élevage avec de bonnes pratiques agricoles peut ainsi contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique », raconte Jean Cabaret.

« On a besoin des vaches, des moutons, des chèvres parce qu’ils mangent l’herbe. Ils permettent d’entretenir les bocages, les zones peu accessibles dans les montagnes, et ils rentrent aussi dans les rotations de cultures où il y a de l’herbe », ajoute Jacques Caplat, agronome spécialiste de la bio.

Le cabinet Solagro a imaginé à quoi pourrait ressembler l’agriculture française en 2050. Une agriculture qui respecterait l’environnement, ne polluerait plus l’eau, créerait des emplois, et diminuerait son impact sur le climat. Le résultat est détaillé dans le scénario Afterres 2050 .

« On a calculé qu’il faudrait diviser pas deux notre consommation de viande et par trois notre consommation de produits laitiers », explique Sylvain Doublet. Les herbivores restants seraient majoritairement nourris à l’herbe. Le tout permettrait de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture.

Des forêts à la place des prairies

Mais pour L214, ce scénario ne tient pas. « Pour nous, tous les élevages sont équivalents. Que les vaches soient élevées en bâtiment ou en prairie, c’est la même chose, elles émettent toujours des gaz à effet de serre par leurs rots, estime Brigitte Gothière. Quand les éleveurs nous disent que les prairies sont des puits de carbone, on répond qu’il pourrait y avoir une forêt à la place, et elles captent bien plus de carbone. »

Quant à l’entretien des prairies humides et autres zones de montagnes difficilement accessibles ? « Quand on arrête l’élevage, cela ne veut pas dire que tous les animaux disparaissent. Ces trois chèvres qui courent dans la montagne pourraient continuer à l’entretenir », tranche-t-elle. La suppression de l’élevage est un scénario réalisable, mais « jamais envisagé car il fait trop peur », estime-t-elle.

C’est vrai, « la meilleure solution si on veut réduire les émissions de gaz à effet de serre, c’est de convertir toutes les prairies en forêt », convient Sylvain Doublet. L’agriculture française diviserait alors ses émissions de gaz à effet de serre par quatre.

De la viande in vitro pour McDo

Mais ce discours en terme de bilan comptable des émissions de CO2 peut se révéler dangereux, rappelle Léopoldine Charbonneaux, directrice de l’antenne française du CIWF, une association qui milite pour le bien-être des animaux d’élevage : « Certains répondent que la solution, c’est d’intensifier encore plus. Car en enfermant les animaux, on peut récupérer les gaz à effet de serre... »

Pour Jocelyne Porcher, le discours vegan peut même, involontairement, servir les intérêts de l’agrobusiness. Exemple avec le premier steak « in vitro », qui a déjà été mangé en août 2013 . Le programme de recherches, hébergé par l’université de Maastricht aux Pays-Bas, et notamment financé par Google, affiche quatre bénéfices : sécurité alimentaire, peu d’émissions de gaz à effet de serre, moins d’impacts sur l’environnement et pas de problèmes de bien-être animal.

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Le Professeur Mark Post de l’université de Maastricht

« Je pense que les industriels sont en train de préparer le remplacement des productions animales par les biotechnologies. Elles produiront des ersatz de viande, fabriqués en laboratoire, redoute la chercheuse. Le steak in vitro, c’est le rêve de Mc Donald’s. Le but de l’industrie des biotechnologies, c’est de se débarrasser des animaux. » Cela pourrait être notamment profitable à des multinationales comme Monsanto ou Bayer, selon elle, qui fournissent un des principaux substituts à la viande : le soja.

Retrouver un lien au sol

Alors Sylvain Doublet s’interroge : supprimer l’élevage, « est-ce souhaitable ? » Il répond lui-même négativement à la question, car « l’élevage ce sont aussi nos paysages, notre patrimoine culturel : des AOC, des savoir-faire, des modèles économiques qui marchent », rappelle l’agronome.

Même discours chez Flore, notre apicultrice végétarienne : « Récemment, je discutais avec un éleveur qui m’expliquait que cela permet d’entretenir les paysages. Pour moi c’est l’élevage intensif qui est problématique. » Lorène, elle, serait prête à remanger de la viande, « si elle est issue d’un élevage paysan, et que ce n’était qu’une fois par semaine ou par mois. »

Un élevage climato-compatible est possible, à condition de retrouver un équilibre, ajoute Léopoldine Charbonneaux : « Pour nous l’objectif c’est que l’élevage retrouve un lien au sol, explique-t-elle. A l’origine, l’élevage était là pour créer une complémentarité entre l’homme et l’animal. Les animaux mangent ce que les hommes ne mangent pas. Le problème de l’élevage intensif c’est qu’il a introduit une concurrence. »

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« Tout ce qui est élevage hors sol n’a aucune raison d’être », poursuit Jacques Caplat. Il plaide notamment pour une diminution très importante de la production de porcs et volailles. « Ils n’ont de sens que si ce sont de petits ateliers, dans des fermes qui font autre chose, détaille Jacques Caplat. Les porcs pourraient manger les déchets de légumes et les volailles les résidus de fermes céréalières. »

Et puis, les animaux font partie de l’écosystème agricole, rappelle Jean Cabaret. Par exemple, leurs déjections nourrissent les champs. « Le fumier est un engrais organique, il permet d’entretenir l’humus des sols, rappelle l’éleveur. Or cet humus contribue à la captation du CO2. Ils évitent l’utilisation de fertilisants minéraux [obtenus par synthèse chimique – NDLR], qui déstructurent les sols et les appauvrissent en humus. » Le nombre d’animaux d’une ferme doit donc être adapté à sa surface de terres, contrairement au déséquilibre créé par exemple par l’élevage industriel en Bretagne.

La chercheuse Jocelyne Porcher, elle, va plus loin. « Je ne défends pas l’élevage parce qu’il fait partie de nos traditions, explique-t-elle. Je le défends parce que les animaux font partie de nos sociétés humaines. Le but de l’élevage est de créer une relation aux animaux qui ait un sens. Si on n’a plus d’animaux, on mourra de leur absence. »


Lire aussi : L’élevage, atout ou malédiction pour le climat ?


Source : Marie Astier pour Reporterre

Photos :
. Chapô : la « vache Pink Floyd »
. Mark Post : Cultured beef (Sacha Ruland)
. Prairie : Ferme Laherrere
. Usine au Brésil : Georges Steinmetz

Plus d’info sur le lien http://www.reporterre.net/Faut-il-devenir-vegetarien-pour

Ce reportage est mené en partenariat avec la campagne Envie de paysans ( Infos ).

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avec qui nous organisons une belle rencontre vendredi 10 avril

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Publié le mercredi 8 avril 2015
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