Covid-19 : la partie immergée de l'iceberg (1/7)

Covid-19 : la partie immergée de l’iceberg (1/7)

Même si nous abordons régulièrement le sujet sur Infogreen, à l’annonce mi-mars de l’arrivée fulgurante d’un nouveau virus, « Corona » de son prénom, nous n’avons pas voulu jouer le jeu de l’actualité quotidienne et entrer dans une course à l’information à chaud sur la pandémie. Ici, c’est différent et c’est peu de le dire.

2 mois de confinement, 2 mois de paranoïa aussi, mais surtout 2 mois de lutte, de recherche de solutions durables et de réponses concrètes pour lutter efficacement contre ce Covid. Comment gérer tout cela ? Les cartes sont trop souvent redistribuées, sans prévenir. Comment y voir clair dans ce déferlement d’information de toute part ? Ce n’est déjà pas évident à assimiler, à digérer faut-il dire, pour une entreprise, une famille, un individu « lambda ».

Mais qu’en est-il pour celles et ceux qui sortent du cadre ? Ceux qui sont par essence dans une autre forme de réalité quotidienne ? Souvent parmi les plus démunis, les plus vulnérables aussi. Ceux pour qui le challenge quotidien se résume déjà à pouvoir circuler à leur guise dans une rue, une grande surface, un parking, un appartement.

Qu’en est-il de ces personnes qui ne peuvent déjà pas se laver, se vêtir seule ? Qu’en est-il de ces personnes, pour lesquelles une aide est requise pour les actes essentiels de la vie ? Pour ces équipes soignantes et éducatives, ces aidants formels ou informels, ces organisations dont l’ADN est avant tout celui d’être humain aux côtés d’humains, qui apportent une épaule, une écoute, une compétence et se dédient à la mise en œuvre concrète, sur le terrain d’une pratique d’un monde inclusif et équitable ? En résumé, qu’en est-il aujourd’hui du monde du handicap ? La question est posée.

La comparaison avec l’iceberg est intéressante et tellement réaliste. Il y a ce que l’on voit, la petite pointe qui fait du bien à notre moral, à notre bien-pensance, notre bonne conscience… et il y a un monde juste derrière, enfin à côté, vraiment pas loin, juste là. Tirez la petite ficelle et vous découvrirez une organisation économique et sociale avec ses codes, son langage, sa terminologie. Vous constaterez qu’il existe un ensemble d’acteurs avec chacun ses qualités, ses outils, ses compétences, ses obligations aussi et assurément ses limites… organisationnelles, structurelles, physiques.

Rien n’est vraiment simple et pourtant pour celles et ceux qui vivent dans ce monde, tout coule de source lorsque l’on s’implique avec son âme, ses tripes et que l’on fait de son mieux. Sans autre ambition que d’apporter quelques éléments de réponses, nous avons décidé de nous entretenir avec un partenaire de choix, qui, pour nous, est représentatif à lui seul des enjeux d’un secteur, l’asbl Tricentenaire.

Le cadre : organisé et réactif

Accueillant près de 300 clients usagers, dans 5 résidences et foyers, 2 services d’activités de jour et 1 centre de propédeutique professionnelle, l’ASBL Tricentenaire n’emploie pas moins de 261 collaborateurs, certains à temps partiel, dont 43 infirmiers, 29 aides-soignants, 64 éducateurs, 22 aides socio-familiales et encore 17 thérapeutes -ergothérapeutes, kinés, psychologues…- soit 67% du personnel dédié à l’activité de soins et d’encadrement.

On pourra aussi noter que parmi ces soignants il y a entre autres une majorité de Luxembourgeois -près de 40%-, 20% d’allemands, 12% de belges et 7% de français…

Alors, au regard de cette diversité de profils, du nombre d’usagers et de soignants, comment l’association a-t-elle réagi à l’annonce de cette pandémie ? Comment s’est-elle structurée ? quel est son quotidien depuis lors ? Et quelle est sa vision et son organisation pour l’avenir et le déconfinement ? Rencontre avec Christophe Lesuisse administrateur délégué du Groupe Tricentenaire, Laura Veneziani, directrice de l’Asbl et Elisabete Nobrega, directrice de l’hébergement.

Dès l’annonce officielle de confinement, l’équipe dirigeante s’est réunie pour définir une série de d’objectifs prioritaires. Au premier rang desquels il convenait de garantir la sécurité de tous : usagers comme équipes médicales et organisationnelles. À l’unisson Christophe, Laura et Elisabete déclarent que « La prise de conscience de l’impact du Covid-19 par les autorités gouvernementales et dans l’opinion publique a été fulgurante. Et pourtant, sans faire de jeu de mots déplacé, le secteur du handicap a bien failli être considéré comme la cinquième roue du carrosse dans le cortège de mesures sanitaires annoncées en urgence par le gouvernement dès la mi-mars. »

Et Christophe Lesuisse de déclarer qu’au niveau sectoriel : « il y a souvent un amalgame entre prise en charge des personnes âgées et prise en charge des personnes en situation de handicap… et nous avons eu peur de ne pas être intégrés au programme sanitaire du pays, mais, même si ce n’est jamais assez tôt, on peut dire que nous avons été rassurés rapidement sur ce point et que la logistique mise en place d’acheminement de matériel par exemple aura été optimale. Au final, c’est rassurant, la stratégie nationale de réponse de crise nous a finalement inclus et le secteur s’est très vite organisé. En outre, les deux fédérations des acteurs du secteur social au Luxembourg COPAS et FEDAS auxquelles nous adhérons ont fait aussi preuve d’une très belle collaboration. Une cellule « experts handicap » a été mise en place avec 3 autres directions d’organisme représentant le secteur -Ligue HMC, APEMH et Yolande asbl- afin d’apporter le plus de cohérence possible.

Au Tricentenaire… action/réaction

Pour Christophe Lesuisse, la décision de fermer certaines structures du groupe comme 321 Vakanz ou encore les Ateliers protégés est apparue comme un impératif dès le départ. Par ailleurs, dit-il « Nous avons très vite collaboré avec la Croix Rouge pour organiser notre bâtiment à Bissen comme un des deux centres nationaux de distribution du matériel de protection au COVID pour les secteurs de soins extra-hospitaliers ».

Laura Veneziani de renchérir « La sécurité passe avant tout. Nous avions déjà, en notre qualité de prestataire de soins de santé, des procédures d’hygiène strictes en place – lavage des mains, protections masque lors de certains soins rapprochés… - nos équipes étaient habituées au protocole. » Toutefois, en s’inspirant des mesures prises dans les maisons de retraite, il a fallu mettre en place d’autres mesures « barrières » : la distanciation entre les soignants et les usagers, ainsi qu’entre les usagers eux-mêmes… un véritable challenge et parfois même une limite du système. Car en effet, comment maintenir une distance « barrière » avec un enfant polyhandicapé, qui ne s’exprime pas ou peu, et pour lequel une communication « non-verbale » au moyen du contact humain, du sourire, de l’attention est privilégiée ? Le but est bien entendu de trouver un équilibre entre la mise en place de consignes strictes et le respect de la relation humaine qui est au cœur de la mission de l’association.

Pour Elisabete NOBREGA, il est aussi bon de préciser « qu’une aile de notre bâtiment de Bissen a été configurée de manière à pouvoir accueillir les usagers qui seraient touchés par le Covid-19 dans un parfait confinement ». Cela a représenté un énorme travail d’adaptation des lieux pour lequel nous avons bénéficié de bénévolat de compétence des ingénieurs de PROGROUP.

Toujours pour Elisabete « il était aussi primordial d’assurer la communication entre les parties prenantes, de façon mutuelle et continue. La mise en place et le déploiement de tous les outils/médias possibles se sont avérés très utiles, les visioconférences, skype/zoom et bien entendu les emailings afin d’actualiser les recommandations en interne sont devenus notre quotidien. »

Laura poursuit en ce sens en déclarant « Sous l’impulsion de notre déléguée à l’expression des usagers, nous avons aussi mis en place et développé l’animation d’un groupe Facebook interne au Tricentenaire baptisé Zesummen op Face book pour renforcer le lien entre les équipes, les résidents, les usagers, les travailleurs en situation de handicap, … chacun y publie des photos, des messages… c’est un vrai plus en termes d’échanges que ce soit de l’encadrement vers les équipes, des équipes entre elles, à destination des usagers, tout cela sans jamais oublier d’impliquer les familles. »

L’idée est véritablement de soutenir par cette démarche le lien entre équipes, usagers et résidents avec pour objectif d’innover en ouvrant des voies de communication et de partage.

Un milieu novateur ?

En octobre 2019, dans un article reportage dédié, nous présentions une actualité unique en Europe, celle de l’agrément Milieu Novateur justement reçu par le Tricentenaire - cf https://www.infogreen.lu/faire-mieux-ensemble.html - qui concrétisait, après plusieurs années de travail, la volonté d’un changement complet dans l’approche et la prise en charge du handicap.

Au Tricentenaire, lorsqu’une idée est émise, elle est discutée en commun et les décisions sont prises ensemble. Fabienne Wiltgen, Déléguée à l’Expression des Usagers (DEU) a en charge de coordonner et suivre les différentes actions. La création d’un poste de Déléguée à l’Expression des Usagers (DEU), directement rattaché à la direction, pierre angulaire de la démarche co-productive, n’existe dans aucune autre structure ou association au Luxembourg ni même en Europe.

Comme un signe du destin ? La providence ? Le hasard ? Certainement un peu de tout cela mais c’est surtout le témoignage d’une volonté forte de changer la vision de handicap et intégrer complètement l’usager non plus comme sujet des réflexions mais comme acteur du milieu dans lequel il évolue au même titre que les équipes soignantes et encadrantes.

Cette démarche fait de l’asbl Tricentenaire, une structure agile, vive et surtout très réactive. C’est une des raisons pour laquelle, à l’aide de la flexibilité de penser et d’agir, mais aussi d’outils développés à cette occasion comme un langage simplifié (et non pas simpliste) permettant à chacun quel que soit son « niveau » d’expression de prendre la parole et exprimer ses besoins, ses attentes, qu’elle sait gérer au mieux cette situation complexe en lien avec la pandémie.

« L’organisation requise pour l’obtention de l’agrément « milieu novateur » se révèle finalement être aujourd’hui de la plus grande utilité » confie l’équipe de direction.

L’autonomie

« Au-delà de la démarche classique de recherche et de développement d’autonomie pour les usagers, chaque foyer-résidence de l’asbl fonctionne en autonomie. » affirme Elisabete Nobrega.

En effet, chacun a son organisation adaptée en fonction du profil de ses résidents, de ses équipes. Ensemble, éducateurs et usagers réfléchissent au meilleur « agenda » pour leur journée en confinement : réveil plus tardif, activités différentes -yoga, sortie en extérieur dans les jardins…-. Pour Elisabete encore « chaque usager était dans une routine – qui par ailleurs en temps normal les réconfortait- et il a fallu en sortir. Même si quelques tensions se sont faites ressentir, dans l’ensemble tout se passe au mieux. »

Sur ce point, Laura complète ces propos « Le plus dur maintenant est de ne pas savoir leur donner plus d’information quant à la durée de ce confinement et le manque des visites familiales, de retour en famille, interrompus depuis la mi-mars, se fait ressentir. Nos équipes essaient autant que possible de pallier ce manque… ».

Et Christophe d’ajouter « Nous pensons beaucoup à toutes les familles qui se sont retrouvées du jour au lendemain avec leur membre en situation de handicap à domicile -y inclus les familles des travailleurs en situation de handicap de nos ateliers, autre entité du Groupe Tricentenaire-. Nous sommes en train de réfléchir à comment réorganiser tout le concept, avec le lot de nouvelles règles strictes d’hygiène à respecter, au mieux pour tout le monde. »

Des résultats rassurants

Fruit d’un engagement sans faille, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, de l’équipe de coordination, des soignants et éducateurs, avec le concours de tous les usagers, l’asbl obtient d’excellents résultats car elle n’a à ce jour à déplorer aucun cas de coronavirus en son sein.

Même s’il existe encore des inquiétudes quant à l’organisation d’un déconfinement, il est certain que ces équipes sauront trouver les réponses adaptées en mobilisant dans ce processus l’ensemble de ce petit monde impliqué et solidaire.

Last but not least

Cet article est le point de départ d’une petite série de témoignages qui seront publiés jour après jour cette semaine. La rédaction d’Infogreen va se projeter au cœur du Tricentenaire pour vous faire découvrir comment des usagers en situation de handicap, mais aussi des infirmiers, éducateurs, chefs d’équipe vivent le Covid. Chacun à sa manière, avec sa vision propre. Le résultat est vraiment très intéressant car au sein d’un même monde, chacun a sa propre réalité, souvent complémentaire aux autres.

Jour après jour, suivez-nous, suivez-les, car il faut le dire au Tricentenaire on fonctionne différemment… Comme le dit si bien leur devise, pour « faire ‘vraiment’ mieux, ensemble, intelligemment et dans le bonheur ».

Frédéric Liégeois

Article
Publié le lundi 11 mai 2020
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