Cités ouvrières, comment faire du neuf avec du vieux ?

Cités ouvrières, comment faire du neuf avec du vieux ?

Stigmate déchu de l’époque sidérurgique et pourtant partie intégrante du patrimoine historique et architectural de la Grande Région, la cité ouvrière présente un potentiel non négligeable dans le cadre d’éco-rénovations. De quoi susciter l’intérêt du GEIE EcoTransFaire qui planche sur la question.

Interview de son gérant, Bernard Lahure.

Où réside le potentiel des maisons de cité ouvrière ?

Ces maisons répondaient dès leur construction, avant les années 1960, à un besoin de densification de l’habitat, qui est toujours d’actualité. Elles sont conçues selon un modèle reproductible d’unités qu’on accole les unes aux autres et, en ce sens, elles correspondent bien aux contraintes urbanistiques actuelles.

Autre avantage : elles possèdent souvent un jardin au fond duquel se trouve une ouverture, ce qui d’une part favorise les échanges familiaux et inter-familiaux, et d’autre part permet de cultiver localement des fruits et légumes.

Enfin, ces bâtiments sont constitués le plus souvent des déchets de l’usine, de briques de laitier notamment, ou du calcaire trouvé dans les jardins. Ils ont donc consommé peu de CO2 lors de leur construction et ont déjà amorti leur énergie grise.

Quels sont, en revanche, leurs inconvénients ?

Elles ne correspondent plus aux besoins en termes d’espaces et d’agencement - ces maisons sont souvent petites, moins de 100 m2, et le besoin en nombre de m2 par personne est aujourd’hui plus élevé qu’il ne l’était il y a quelques décennies -, mais également en termes de luminosité : la tendance actuelle est aux grandes surfaces vitrées qui apportent à la fois lumière et chaleur, alors que les maisons de cité sont souvent pourvues de petites fenêtres.

De plus, cet habitat était à l’origine chauffé par l’industrie locale, soit à travers un réseau de chaleur lorsque que l’usine était vraiment très proche, soit par la fourniture du coke nécessaire au chauffage. On ne regardait donc pas à la dépense énergétique car il y avait de quoi se chauffer tant qu’on en voulait. Il y a donc un défaut de réponse de ces maisons quant à la consommation énergétique.

Pourquoi alors ne pas raser ces maisons pour en construire de nouvelles ?

Le nombre de maisons ouvrières a été évalué à 7 millions en Europe du Nord et, même si beaucoup ont pris le parti de détruire pour reconstruire - notamment aux Pays-Bas et en Belgique-, on ne peut pas toutes les raser car le nombre de carrières qui reprennent les déchets de construction est limité. La déconstruction est donc amenée à s’essouffler. C’est pourquoi il est essentiel de préserver et de réhabiliter ce type de bâtiments.

À quels obstacles êtes-vous confrontés dans le cadre de ces projets d’éco-rénovation ?

Nous devons faire face à la difficulté de convaincre les habitants de faire des travaux dans leur habitation, et de le faire ensemble, car la rénovation, pour être sensée, doit être opérée sur une bande de maisons. Il est d’autant plus difficile de les convaincre que, plus la maison remise à neuf est petite, plus les frais engagés seront difficilement amortissables avec les économies d’énergie qui pourront être réalisées dans un second temps. Il faut savoir que la population concernée est composée d’une forte mixité en termes d’intérêt pour l’action de rénover, d’âge et de revenu. Ces population, personnes âgées vivent depuis longtemps dans ces maisons sans avoir eu la possibilité de les rénover ni l’envie, ou des primo-accédants qui ne se lancent pas dans d’importants travaux car ils épargnent en attendant de pouvoir acheter plus grand.

La seule solution est alors de modéliser un système technique constructif permettant de faire baisser les coûts de rénovation, couplé à une approche sociale.

Quelquefois engager une rénovation peut également s’avérer complexe du fait que les matériaux qui composent la maison étaient issus de l’industrie locale (laitier de hauts-fourneaux, briques fabriquées sur place…), avec une forte hétérogénéité et des contraintes environnementales accrue lors des opérations de rénovation.

Comment financer ces travaux puisqu’ils ne sont pas amortis par les économies d’énergie ?

En réintroduisant dans le système économique l’énergie grise consommée, la densification de l’habitat, le non-stockage en décharge… Mais tout cela est compliqué car nous devons nous adresser à plusieurs acteurs différents qui ne travaillent pas de manière transversale. La question est de savoir qui met combien dans la corbeille pour financer cette rénovation.

Quelles sont les retombées économiques de tels projets ?

À l’inverse de la démarche mercantile de certaines grosses firmes qui sont à l’origine de l’ubérisation de la rénovation, notre approche est d’être au service des citoyens, ce qui implique de travailler avec des acteurs de terrain de manière à pouvoir faire évoluer les procédés et à créer un climat de confiance, de mobiliser les entreprises locales, d’utiliser des matériaux locaux et même de se financer en partie localement.

Où et quand seront menés les 1er projets ?

Deux chantiers démonstratifs seront réalisés à Differdange au Luxembourg et à Saulnes en France, deux communes qui ont une certaine proximité géographique donc une culture commune mais des différences constructives qui vont nous permettre de faire des propositions différentes. Dans le cadre de ce projet, nous travaillerons dans un second temps avec les communes de Chiny en Belgique et de Birkenfeld en Allemagne. Le planning dépend de l’attribution ou non de fonds européens. Le dossier a été déposé, il est en cours d’analyse, l’acceptation nous sera confirmée ou infirmée courant octobre et s’il est retenu, les travaux pourront débuter début 2018.

Nous préparons également un autre projet sur Dudelange et Virton.

Le GEIE que vous dirigez se définit comme un « pôle de coopération transfrontalier en éco-rénovation et éco-construction ». Travailler de manière transfrontalière, n’est-ce pas se donner des contraintes supplémentaires là où il y en déjà assez ?

C’est la contrainte qui fait avancer l’Homme et, d’ailleurs, nous voyons cet aspect transfrontalier comme une richesse avant de le voir comme une contrainte. Les entreprises échangent ici sur tous les territoires et chaque pays à ses thématiques de prédilection : la Belgique est plus avancée que ses voisins dans le domaine des éco-matériaux, le Luxembourg sur les groupements d’entreprises, la France sur les questions d’insertion sociale et de travail ainsi que les techniques de massification de la rénovation, l’Allemagne est quant à elle très efficiente en économie locale et impact environnemental.

Travailler de manière transfrontalière, c’est combiner tous ces avantages. Je viens du monde scientifique et, en sciences, on observe que c’est toujours sur les bords, à la frontière, que se créent les réactions. Nous sommes transfrontaliers, c’est une de nos caractéristiques et nous ne pouvons pas vivre autrement.

Crédit photo : Differdange - Wikimedia commons - martinroell

Mélanie Trélat

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Publié le mardi 18 octobre 2016
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