Best-of : Odyssea veille au grain

Best-of : Odyssea veille au grain

[Article du 4 mai 2022] Pas besoin de côtes pour dégrader les mers. Au Luxembourg, chacun de nos gestes pollueurs a un impact sur les écosystèmes marins. On embarque avec le Dr Anna Schleimer, présidente de l’association Odyssea, qui nous donne quelques informations capables de nous faire chavirer.

Odyssea est une association indépendante fondée en 2013 par 4 biologistes marins. « Nous avons fondé Odyssea faute de la présence d’une autre organisation luxembourgeoise regroupant des chercheurs dans le domaine marin », explique le Dr Anna Schleimer, actuelle présidente. Ils sont aujourd’hui une quinzaine à contribuer à ce réseau national, dont le Dr Pierre Gallego, qui représente le gouvernement luxembourgeois lors de conférences internationales.

Odyssea fonctionne sur base volontaire, avec le soutien du gouvernement luxembourgeois et du cluster maritime pour l’achat de matériel ou les déplacements. Si la plupart des recherches sont effectuées dans le cadre d’études ou de thèses, ce n’est plus le cas pour Anna Schleimer, qui fait actuellement de l’analyse de données pour le MNHN (Musée national d’histoire naturelle).

Un puits, mais pas sans fin

On le sait, le Luxembourg, bien qu’étant un petit pays, a une empreinte carbone élevée. Une partie de ce carbone - un tiers des émissions mondiales environ - est absorbée par les océans, gigantesques puits de carbone. Mais à quel prix ? « En absorbant tout ce carbone, la formule chimique des eaux est modifiée. Leur taux de pH, qui était de 8,2 avant la révolution industrielle, est descendu à 8,1. Si nous continuons à produire trop de dioxyde de carbone, ce taux baissera encore, et, bien entendu, cela affecte les organismes vivant dans l’océan. Les coquillages, généralement composés de carbonate de calcium, s’affinent en se dissolvant dans l’eau (comme lorsqu’on les trempe dans du vinaigre, par exemple). C’est très problématique pour les mollusques, les escargots, les crabes, ou encore les homards. »

Le réchauffement climatique dû aux gaz à effet de serre fait également monter la température de l’eau. « En cas de fortes chaleurs, les récifs de corail, par exemple, sont sujets au blanchiment en raison de la dépigmentation des algues. Si cela dure, le corail en mourra ». C’est ce qu’on constate actuellement à la Grande barrière de corail, au nord-est de l’Australie.

I’m on a Seafood Diet : I see food, I eat it !

Bien que ne pêchant pas son propre poisson, « le Luxembourgeois est un des plus grands consommateurs européens (33,7 kg de poissons par personne par an) ». Il se situe en 4e place au palmarès européen, à égalité avec la France, derrière le Portugal, l’Espagne et Malte, qui jouissent, quant à eux, d’un accès direct à la mer.

Ce sont le thon, le cabillaud et le saumon que nous préférons manger. Toutes des espèces marines ! Les poissons d’eaux fraîches, comme les truites, se retrouvent tout en bas du classement. Il faut dire que la consommation de poissons de nos rivières est déconseillée, tant nos eaux sont polluées.

« Nous avons pris l’habitude de trouver non-stop du thon dans les rayons des magasins. Toutefois, le thon est une espèce saisonnière, donc il va parfois provenir d’Europe, mais à d’autres périodes de l’année, il viendra de l’océan indien ou d’autres régions éloignées... ». Une première étape en faveur de notre environnement pourrait donc être de privilégier les poissons les plus « locaux » possible et de s’en passer lorsque ceux-ci ne sont pas disponibles.

Certifié pêche durable ?

On distingue deux grandes origines : la pêche en haute mer (thon, cabillaud) et l’aquaculture (saumon). Chacune ayant ses problématiques propres…

Environ un tiers du stock mondial de poissons est pêché de manière non durable, ce qui signifie que nous pêchons trop de poissons, à un rythme qui ne leur permet pas de se reproduire - « le cabillaud et le thon vivent en moyenne 40 ans, ce sont des espèces qui mettent longtemps à se régénérer. Il serait donc préférable de consommer de plus petits poissons ». À long terme, maintenir un taux de pêche trop élevé mènera simplement à l’extinction de ces espèces. Dans les années 1990, le Canada a connu un effondrement de la pêche à la morue à laquelle il a fallu mettre un terme.

Les bateaux de pêche actuels sont capables de tirer des filets de la taille d’un avion, qui collectent tout ce qu’ils croisent. Ils sont en plus équipés de systèmes de radars à sonar, qui permettent au capitaine de détecter précisément l’emplacement d’un important banc de poissons et de le pêcher dans son entièreté. « Nous sommes simplement devenus très bons en pêche, très performants. On a longtemps cru que les océans n’avaient pas de limites, mais ce n’est pas le cas, et nous sommes en train d’épuiser les stocks... » Les prises accidentelles sont aussi nombreuses, et, pour les pallier, certains bateaux s’équipent de trappes qui permettent aux espèces non visées de s’échapper (dauphins, tortues, etc.). Les quotas de pêche permettent également d’éviter des situations catastrophiques et ont notamment permis de sauver le thon, qui fut un temps en voie d’extinction. « En indiquant que tel pays a l’autorisation de pêcher autant de tonnes, durant telle saison, dans telle ou telle région…, on peut parvenir à une pêche durable, du moins dans le sens où l’on maintiendrait une quantité de poissons raisonnable et stable dans les océans. »

« En aquaculture, les problèmes sont différents. Le saumon, pour rester sur cet exemple représentatif, a besoin de manger d’autres poissons, qui sont eux pêchés en mer. Mais en plus, l’aquaculture produit beaucoup de déchets : une grande quantité de poissons est contenue dans de petites zones, véritables tourbillons d’excréments, de bactéries, etc qu’ils ingurgitent aussitôt. Dans les fjords norvégiens, certaines eaux de culture ne contiennent simplement plus d’oxygène, en raison de la dégradation des déchets par les bactéries. »

Ohé, ohé, matelot

« À ma connaissance, le Luxembourg importe tout le poisson consommé. Il ne dispose pas de bateaux de pêche. Il y a bien des flottes de bateaux enregistrés au Luxembourg, mais ce sont des navires de charge ou industriels liés à des chantiers de construction de ports maritimes, notamment. » Des flottes qui n’en sont pas moins bruyantes et imposantes, et qui perturbent aussi les écosystèmes marins…

Pour en savoir plus sur les navires estampillés Luxembourg, poursuivez votre plongée dans notre dossier du mois.

Marie-Astrid Heyde
Article paru dans le dossier du mois « Bouteille à la mer ! »

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Publié le mardi 16 août 2022
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