« Aujourd'hui, nous construisons les déchets de demain »

« Aujourd’hui, nous construisons les déchets de demain »

Dans cette carte blanche, Paul Schosseler, président du Conseil national pour la construction durable (CNCD), dépeint la situation actuelle des modes de construction luxembourgeois et esquisse les directions à prendre pour un avenir plus durable pour le secteur.

Un bilan inquiétant

Lorsqu’on parle de développement durable, dans la construction comme dans tout autre secteur, il est utile de rappeler que cette notion de durabilité comprend les dimensions environnementales, bien sûr, mais aussi économiques et sociales. Pour construire de manière durable, il est donc important d’adopter un point de vue holistique sur tous les cycles de vie et le cycle d’utilité d’un bâtiment, avec ses différentes fonctions.

Jusqu’à présent, au Luxembourg, nous nous sommes principalement concentrés sur le volet économique ; nous essayons de construire de manière peu chère sans trop nous soucier de ce que deviendra le bâtiment dans, par exemple, 50 ans. Aujourd’hui, nous construisons les déchets de demain, notamment en transformant des matières premières naturelles en produits de construction - tels que le bois, en aggloméré -, et en assemblant ces produits d’une manière difficilement démontable, les rendant ainsi non réutilisables et non recyclables dans la plupart des cas.


Il devient donc essentiel de réfléchir au-delà de l’investissement initial, et d’inclure les coûts sur tout le cycle de vie dans la réflexion, de même que les autres impacts environnementaux (empreinte carbone, énergies non renouvelables, possibilités de réemploi des éléments, etc.) et d’utilité sociale (l’espace est-il multigénérationnel ? Est-il modulable, également dans le souci de prolonger sa durée d’utilité ?).

Des guides pour changer la donne

Le CNCD travaille avec le Centre de ressources des technologies et de l’innovation pour le bâtiment (CRTI-B), le ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire (MEA) et le ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable (MECDD) sur une nouvelle version du « Guide de la construction et de la rénovation durables », dans lequel des éléments importants pour le Luxembourg seront mis en évidence. Il y a par exemple tout le volet de la construction saine, sur lequel le MEA est très actif, avec notamment la préparation d’un « Livre vert sur la construction saine » qui sera présenté prochainement. On aborde ici un aspect social : construire de telle manière que les occupants ne soient pas exposés à des produits chimiques toxiques et se sentent à l’aise au sein du bâtiment.


Il nous semble important de mettre au point de bons outils pour aider les acteurs du secteur à aller dans la bonne direction.

La « Feuille de Route Construction Bas Carbone Luxembourg », mise en place par le MEA et le MECDD, en collaboration étroite avec les membres du CNCD, rassemble des méthodologies permettant non seulement de limiter l’empreinte carbone, mais finalement l’impact environnemental dans sa globalité, ce qui passe par l’analyse complète du cycle de vie des matériaux et des processus de construction.

Les prochains outils à développer

Une base d’outils est requise afin d’avancer vers des modes de construction durable. Il y a tout d’abord les registres digitaux des matériaux. Ceux-ci constituent la première étape pour arriver à l’analyse des cycles de vie. À partir de 2025, la loi déchets-ressources exigera un registre digital pour les grands bâtiments. Dans le contexte de la Feuille de route citée plus haut, nous avons aussi besoin de ces informations.

Le deuxième volet concerne les impacts environnementaux. Nous travaillons sur la mise à disposition facile de DEPs - Déclarations environnementales de produits (EPD en anglais) - pour disposer des données pertinentes pour tout ce qui est construit sur le territoire grand-ducal.

Les prochaines étapes consisteront à établir une ligne de référence pour l’empreinte carbone des bâtiments du Luxembourg - où en sommes-nous aujourd’hui ? -, de fixer des objectifs de décarbonation en ligne avec l’Accord de Paris et la loi relative au climat et de proposer des solutions pour les différents corps de métier, aussi bien pour la nouvelle construction que pour la rénovation.

La sensibilisation et la formation de tous les acteurs à la bonne utilisation des outils est un élément clé de la Feuille de route. Tous ces développements sont alignés à la refonte actuellement en cours de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments et s’inspirent des travaux de nos pays voisins.

Opportunités pour le secteur de la construction luxembourgeois

Le CNCD est un acteur fédérateur important dans ce sens qu’il permet de rassembler à la fois les institutions publiques et les entreprises privées autour de la table - « à la luxembourgeoise » - afin de dégager les problématiques mais également et surtout d’envisager des solutions. Par exemple, travailler avec les acteurs impliqués, tels que l’Ordre des Architectes et des Ingénieurs-Conseils (OAI), aide à identifier les barrières réglementaires à faire tomber pour favoriser certains modes de construction plus durables. La collaboration avec les entrepreneurs à travers le Conseil pour le développement économique de la construction (CDEC) vise à réduire l’empreinte carbone des activités de construction par le bon choix des matériaux et une logistique de chantier optimisée. Les industriels fabriquant des matériaux de construction supportent ces efforts par la réduction de l’énergie grise comprise dans des produits tels que le béton ou l’acier.


La gestion des ressources est amenée à évoluer vers moins de dépendance des stocks de matériaux importés, en misant notamment sur l’exploitation minière à travers le réemploi et le recyclage. Économiquement, ce type d’approche entraîne de nouveaux modèles de gestion, dont certains centrés sur la digitalisation, secteur dans lequel certaines entreprises luxembourgeoises sont déjà très compétentes.

En parallèle, une certaine forme de sobriété dans l’utilisation à la fois des matériaux et des surfaces est aussi un élément-clé de la construction durable. Cela inclut la préservation d’écosystèmes importants pour la société. On ne peut évidemment pas artificialiser tout le territoire même si la crise du logement impose la création rapide de surfaces habitables.

Les matériaux biosourcés ont aussi leur rôle à jouer pour décarboner la construction, tout en assurant un recours raisonné à du bois issu d’une gestion forestière durable. D’autres matériaux naturels et biosourcés ont l’avantage d’être disponibles en abondance, tels que l’argile, le chanvre, le miscanthus ou encore la paille qui ont des vertus non négligeables.

Les communes ont de nombreuses cartes en main pour stimuler ces développements vers plus de durabilité, en transcrivant ces prérequis dans leurs propres réglementations et en encourageant ces projets d’avenir. C’est une mission qu’elles assument déjà et qui s’est concrétisée par un certain nombre de projets pilotes cofinancés par le Fonds Climat et Énergie, comme la crèche de Roodt-sur-Syre, le campus scolaire de Wiltz, ainsi que des projets plus novateurs tels que l’Äerdschëff à Redange et BENU Village à Esch-sur-Alzette.

Je suis confiant que bien d’autres exemples suivront et que nous construirons bientôt les ressources de demain.

Propos recueillis par Marie-Astrid Heyde

Article tiré du dossier du mois de septembre de la rédaction : « Doheem »

Article
Publié le mercredi 13 septembre 2023
Partager sur
Nos partenaires