Au cœur du réseau le plus intégré et le plus interconnecté au monde

Au cœur du réseau le plus intégré et le plus interconnecté au monde

Interview de Claude Turmes, ministre de l’Énergie et ministre de l’Aménagement du territoire

En ce lundi de Pâques, la rédaction d’Infogreen vous propose de redécouvrir les articles qui étaient en Une la semaine passée.

Pour pouvoir se passer des énergies fossiles, une piste est de construire et de rénover les bâtiments dans une optique zéro carbone. Mais, au-delà des bâtiments, les frontières de la réflexion doivent être élargies aux quartiers, aux villes, voire aux autres pays qui font partie de la même communauté électrique.

M. Turmes, où en est-on des ambitions de réduction de l’empreinte carbone des bâtiments ?

Le Luxembourg relève le défi comme aucun autre pays en Europe. Le règlement grand-ducal sur la performance énergétique des bâtiments a été modifié l’année dernière et, à partir du 1er janvier 2023, les nouveaux bâtiments résidentiels et fonctionnels viseront le zéro carbone en combinant efficacité énergétique et technologies basées sur les énergies renouvelables, avec la pompe à chaleur comme référence. Les pompes à chaleur ont gagné en efficience et sont devenues plus silencieuses ces dernières années. D’ailleurs, le nouveau programme de subventions pour les personnes privées prend en compte le bruit comme paramètre pour l’attribution des aides. Nous voulons que le Luxembourg devienne un leader dans le domaine des pompes à chaleur.

Cette loi qui a pour but de sortir les nouveaux bâtiments du fossile dès 2023 est la plus ambitieuse en Europe.

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Quelle est la politique concernant le bâti existant ? Comment accompagnez-vous cette transition ?

D’ici 2050, un maximum de bâtiments devront être rénovés pour tendre vers le zéro carbone ; ils seront isolés thermiquement et les installations qui fonctionnent avec des énergies fossiles seront remplacées par des pompes à chaleur. Cela représente un énorme défi… mais aussi une énorme opportunité, dans le sens où cela créera de l’emploi local, massif, pour les 30 prochaines années.

Pour motiver les particuliers, les communes et les entreprises à passer du fossile au renouvelable, nous offrons des subventions et des primes conséquentes, qui sont cumulables avec les mesures mises en place par les distributeurs d’électricité et de gaz.

Pour soutenir les entreprises, nous travaillons main dans la main avec la Fédération des Artisans, la Chambre des Métiers, les Centres de Compétences et Neobuild pour former suffisamment d’installateurs de pompes à chaleur.

Enfin, nous travaillons sur des mesures pour créer de grands réseaux de chaleur et de froid, dont le but est de remplacer le gaz dans les réseaux urbains, en particulier dans les quartiers classés par le service des sites et monuments nationaux, par la chaleur d’une industrie ou d’un datacenter ou par la chaleur produite par une chaudière à copeaux de bois.

En tant que ministre qui a une double casquette – l’énergie et l’aménagement du territoire -, quelle est votre vision si on élargit cette réflexion à l’échelle du quartier ?

La voiture ne doit plus dominer l’espace public dans les nouveaux quartiers. Il faut que les habitants puissent se déplacer plus naturellement à pied ou à vélo dans des rues agréables, sans bruit, sans risques et au milieu de la verdure. Pour cela, nous améliorons les réseaux de transport public, ce que fait actuellement le ministre des Transports et des Travaux publics, François Bausch.

Parmi les grands quartiers de demain, nous sommes en train d’aménager celui d’Elmen à Olm, mais aussi d’autres à Dudelange, à Wiltz, le long de l’axe central de la Nordstad ou sur l’ancienne friche industrielle entre Esch-sur-Alzette et Schifflange. Nous voulons montrer l’exemple au niveau européen avec des projets où les voitures seront regroupées dans des parcs de stationnement, qui seront aussi des lieux de convergence regroupant différents services : épicerie, recyclage des déchets, aire de jeu, bar, location de vélos et, bien sûr, carsharing. Nous espérons ainsi réduire la nécessité de posséder une voiture.

Si on parle des quartiers existants, dans le cadre de la consultation internationale « Luxembourg in Transition », j’ai fait travailler des équipes sur la redensification du vieux Gasperich notamment. La réponse était la même : créer un parc de stationnement de voitures, afin de libérer de la place pour développer des espaces verts, de rencontre et de jeu. On peut redensifier en construisant des étages supplémentaires et réinvestir le montant des loyers dans la rénovation thermique pour accélérer l’assainissement énergétique du parc immobilier, comme cela se fait en Autriche.

La voiture électrique peut aussi être vue comme un maillon d’un smart grid qui permettrait de stocker de l’énergie…

Un des avantages compétitifs du Luxembourg est de se trouver au cœur du système électrique le plus intégré et le plus interconnecté au monde. Chaque watt produit avec du photovoltaïque ou de l’éolien dans notre pays est aujourd’hui injecté dans ce réseau et est utilisé par le consommateur final.

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Par ailleurs, pour favoriser l’autoconsommation, nous travaillons sur le stockage. Différents projets de recherche et de développement menés en Europe ont démontré que, techniquement, il est possible de charger sa voiture au bureau en journée avec de l’énergie solaire pour la réinjecter dans sa maison le soir. La question aujourd’hui est de disposer de batteries conçues dès le départ pour fonctionner dans les deux sens. Nous étudions la possibilité de réaliser un petit projet pilote au Luxembourg sur le sujet.

Puisqu’on parle de réseaux, pourriez-vous nous en dire plus sur les coopérations avec d’autres pays européens pour l’approvisionnement en énergie verte ?

Même en étant le meilleur élève de la classe en efficacité énergétique, même en installant des panneaux photovoltaïques et des éoliennes partout où on peut le faire et en produisant du biogaz avec les agriculteurs, le Luxembourg ne pourra jamais être alimenté à 100 % par ses propres sources d’énergie renouvelable. C’est impossible sur un territoire aussi dense, avec une demande en énergie aussi élevée : n’oublions pas que 50 % de l’électricité consommée l’est par les industries comme ArcelorMittal, Goodyear et DuPont de Nemours. Ce n’est pas un problème tant que l’on fait tout son possible chez soi et que l’on est au cœur du meilleur réseau électrique du monde.

Nous voulons coopérer avec les pays qui proposent de vraies solutions, des solutions vertes.

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C’est le cas du Danemark, avec qui nous allons créer des îles artificielles reliées à des centaines d’éoliennes offshore. Les électrons produits par ces éoliennes feront partie, en quelque sorte, du même lac électrique vert que le Luxembourg.

Mélanie Trélat
Article paru dans le NEOMAG#45
Plus d’informations : http://neobuild.lu/ressources/neomag
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ClaudeTurmes, Crédits photo Sophie Margue

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Publié le lundi 18 avril 2022
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