Quand les plantes inspirent de nouvelles formes d'énergie solaire

Quand les plantes inspirent de nouvelles formes d’énergie solaire

Le Pr Michael Grätzel est l’inventeur d’une cellule photovoltaïque révolutionnaire capable de reproduire artificiellement la photosynthèse au moyen d’un pigment photosensible. Cette nouvelle technologie, moins coûteuse économiquement, est aussi plus durable et plus écologique.

Rencontre avec le Professeur Michael Grätzel, chimiste, directeur du Laboratoire Photonique et Interfaces à l’École polytechnique fédérale de Lausanne

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Sur la piste du biomimétisme

« J’ai toujours été passionné par la photosynthèse qui est, avec la respiration, une des 2 réactions clés de la vie. C’est la raison pour laquelle j’ai suivi des études de chimie », confie Michael Grätzel en introduction de notre entretien, et de poursuivre : « Quand la crise pétrolière de 1973 est survenue, je me suis posé la question des réserves en pétrole : il n’en restait pas pour des dizaines d’années ! Dans ce contexte, j’ai pensé qu’il était primordial de s’occuper de la question de la photosynthèse artificielle ». C’est ainsi qu’a débuté une grande aventure : celle de la mise au point de cellules solaires à pigment photosensible, ou DSSC pour Dye-sensitized solar cells, dont l’idée est d’utiliser la lumière du soleil pour créer des combustibles en imitant la photosynthèse.

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L’équipe dirigée par le Pr Grätzel s’est d’abord intéressée à la production d’hydrogène, qui est d’ailleurs un sujet sur lequel elle travaille toujours. C’est ce qui a mis les chercheurs sur la piste de la clé de voûte des DSSC : l’oxyde de titane, un semi-conducteur qui photo-dissocie l’eau en oxygène et hydrogène.

« Dans les années 80, nous étions les 1ers à travailler sur des nanoparticules d’oxyde de titane - appelées à l’époque des colloïdes - dispersées dans un solvant », raconte-t-il. « Nous ne pouvions pas les voir du fait de leur très petite taille, mais nous pouvions les exciter avec un laser pour obtenir les réactions induites par la lumière. Au lieu de chercher à changer la composition de l’oxyde de titane pour avoir une absorption visible, ce que faisaient les autres laboratoires, nous essayions de les sensibiliser. Nos études ont démontré qu’en choisissant le bon sensibilisateur, il était possible d’injecter des électrons très rapidement dans les particules et que la réaction inverse - la recombinaison des charges - était beaucoup plus longue, ce qui nous donnait l’opportunité de capter ces charges à plus de 99 %. Cela nous a ensuite menés à créer des couches nanocristallines de façon simple, par un processus sérigraphique ou sol-gel. Nous obtenions ainsi un rendement de 7 % et démontrions pour la 1re fois que l’on pouvait singer efficacement la photosynthèse. C’était ça la surprise ! ».

« Singer la nature »

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Les cellules du Pr Grätzel sont constituées de 2 fines plaques de verre, transparentes et conductrices. Elles constituent l’une le pôle positif, l’autre le pôle négatif. Sur la plaque négative, une mince couche d’oxyde de titane couvert d’un colorant de synthèse conduit les électrons. Exposés à la lumière, ces derniers sont éjectés du colorant et captés par l’oxyde de titane, puis ils migrent vers la 2de plaque et ce mouvement amorce la production électrique. Ce qui s’opère dans cette cellule est très proche de ce qui s’opère dans la nature où les photons contenus dans la lumière excitent les électrons contenus dans le colorant vert de la plante, la chlorophylle. Cette excitation confère aux électrons assez d’énergie pour être libérés du colorant, mouvement qui engendre une cascade de réactions chimiques qui produisent l’énergie nécessaire à la croissance des plantes. « Des charges électriques sont produites par la lumière. Elles sont converties sur le champ par un processus électrochimique qui aboutit à la fixation du CO2 et à l’oxydation de l’eau. Nous singeons la 1re partie de cette réaction, en utilisant un colorant pour créer des charges positives et négatives qui seront captées et converties en courant électrique », décrit le Pr Grätzel. « La structure nanocristalline de la couche est un élément essentiel : en utilisant des colorants sur des oxydes plats, on obtient un rendement de 10-4. Avec ces couches cumulées de petites particules, on l’augmente 10 000 fois, parvenant ainsi à des rendements compétitifs », ajoute-t-il.

L’amélioration des performances des DSSC est au cœur des recherches de l’équipe du laboratoire photonique et interfaces de l’EPFL. Le remplacement récent du colorant de synthèse par la pérovskite a permis de réduire les coûts et de doper la cellule. On atteint désormais 28 % de rendement avec la lumière ambiante naturelle ou artificielle à l’intérieur des bâtiments ! Et ce n’est pas terminé, la marge de progression est encore de 100 %, comme le souligne le chimiste : « Nous n’avons pas encore épuisé toutes les possibilités. La limite pour une fonction simple est de 33 %, mais avec des tandems on peut arriver à 45 % ! ».

De l’invention à l’industrialisation

Alors que la 1re version exploitable de l’invention du Pr Grätzel date de 1991, il aura fallu attendre près de 25 ans pour que des fabricants la prennent en main. C’est notamment le cas de la société suisse G2E ou de la société suédoise Exeger qui produisent et utilisent des panneaux intégrant des cellules Grätzel. Ceux-ci alimentent la totalité de la consommation du site d’Exeger, sans même une batterie. « Nous sommes dans une logique de cycle fermé où l’on peut fonctionner de manière quasi autonome », explique le professeur.

1991 a été un tournant décisif dans l’industrialisation des DSSC. L’année a été marquée par une publication commune dans la revue Nature de Michael Grätzel et Brian O’Regan au sujet de l’utilisation de l’oxyde de titane en couches nanocristalline. « À la suite de cet article, nous avons été approchés par des grandes entreprises - ABB, Sandoz et Swatch - qui ont convaincu l’EPFL de ne pas laisser d’autres accéder à la recherche. Le contexte était alors défavorable : nous étions au cœur de la crise contre l’adhésion de la Suisse à l’UE qui a duré 10 ans, le photovoltaïque était réservé à quelques applications spécifiques (l’espace, par exemple) et les entreprises actives dans le photovoltaïque perdaient de l’argent. ABB s’est retiré au bout d’un an pour se concentrer sur son core business et Sandoz, qui était intéressé à fabriquer des colorants, ne pouvait le faire sans ABB. Tout à coup, nous nous sommes retrouvés seuls, et nous avions fâché d’autres acteurs qui avaient témoigné un intérêt pour notre projet. L’EPFL a alors pris une décision courageuse dans ces circonstances : elle a choisi de conserver le paquet de brevets et de déposer elle-même les licences. Et ce, malgré les propositions émises par Nicolas Hayek, le fondateur de Swatch ».

C’est seulement dans les années 2000 que le photovoltaïque a démarré, grâce à l’introduction de subventions. De nouveau mis à mal par la crise de 2008, il connaît depuis des hauts et des bas, toujours tributaire des subsides à l’heure actuelle. C’est dans ce contexte que les cellules Grätzel ont un atout stratégique à jouer : « elles produisent de l’énergie à un coût de 2 ct/kWh ».

Applications et performances !

Hormis le célèbre sac à dos solaire qui inclut une cellule Grätzel permettant de recharger divers petits appareils électroniques (téléphone, GPS ou autre), il est aujourd’hui possible d’imaginer de multiples applications dans les bâtiments, la limite étant notre créativité. « Il existe des meubles conçus avec ces panneaux qui produisent de l’énergie grâce à la lumière ambiante. Dans mon bureau, se trouve un panneau de verre qui peut être utilisé comme table, paroi de séparation ou autre. J’ai, d’ores et déjà, demandé à notre service électrique d’y connecter mon ordinateur. La construction est un des domaines d’application qui présente le plus grand intérêt pour nos cellules : on construit déjà des maisons au Danemark avec des briques rouges qui produisent de l’énergie et nous soulevons beaucoup d’intérêt aux États-Unis où les gratte-ciel ne sont composés que de verre. Je suis très heureux de constater que l’étincelle que nous avons générée s’est transformée en un feu qui s’étend. L’industrialisation est en plein essor et elle crée des emplois ! », se réjouit le chimiste.

Un coût environnemental modéré

Quant à l’aspect durable des DSSC, il est avéré. D’abord, elles ne contiennent ni éléments toxiques ni éléments rares. Ensuite, si le photovoltaïque n’émet pas de CO2 lors de la phase de production d’électricité, cette technologie est souvent pointée du doigt pour la consommation d’énergie induite par la fabrication et le recyclage des panneaux. Selon une étude réalisée par Clément Girault, Emmanuel James et Aurélien Montfort de l’ENSTA ParisTech en 2011, la dette énergétique des cellules photovoltaïques au silicium est de 3 ans pour une durée de vie de 15 ans, alors que celle des cellules Grätzel n’est que de 2 à 4 mois, pour une durée de vie des cellules supérieure à 20 ans. Elles peuvent, en outre, être recyclées, selon leur inventeur : « Les 2 verres conducteurs sont séparables. On peut en retirer le colorant pour y appliquer un colorant nouvelle génération, puis recomposer la cellule. Ce verre est un matériau très coriace que l’on peut plonger dans l’acide sulfurique concentré à 500 degrés sans l’altérer. Il ne faut pas le jeter parce qu’il constitue la partie la plus chère du panneau ».

Et demain ?

Selon le Pr Grätzel, la technologie photovoltaïque a un grand avenir devant elle : « Si on continue au rythme actuel de 50 gW installés par an, il faudra attendre 1 000 ans pour couvrir la moitié de notre consommation actuelle. Il y a donc beaucoup de place pour le photovoltaïque (…). L’éducation est extrêmement importante pour passionner les jeunes qui devront reprendre le flambeau, car on a besoin d’experts impliqués. Et il faut les meilleurs éléments ! », conclut-il.

Qui est Michael Grätzel ?

Originaire d’Allemagne de l’Est, le Professeur Michael Grätzel a rejoint l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) en tant que chercheur il y a une quarantaine d’années et dirige le laboratoire photonique et interfaces qui regroupe aujourd’hui 25 personnes et en a compté jusqu’à 50 par le passé. Naturalisé Suisse en 2000, il a reçu le Prix Marcel-Benoist en 2013 et figure sur la short list des personnes éligibles au Prix Nobel. Il a 1 200 publications et 180 000 citations à son actif et fait partie des 3 chimistes les plus mentionnés au monde. À titre d’exemple, son article dans Nature sur l’utilisation de l’oxyde de titane en couches nanocristallines a été repris près de 18 000 fois, ce qui le place parmi les 100 publications scientifiques les plus citées de tous les temps, y compris le papier sur la relativité restreinte d’Einstein en 1905 !

Mélanie Trélat

Source : NEOMAG

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Publié le mercredi 6 septembre 2017
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