Au Cameroun, « La voix du paysan » au service des agriculteurs

Au Cameroun, « La voix du paysan » au service des agriculteurs

Depuis 29 ans, ce mensuel d’information accompagne des millions d’hommes et de femmes qui s’investissent dans le monde agro-pastoral sur l’ensemble du territoire national.

Pendant 23 ans, SOS Faim Luxembourg a soutenu le travail du SAILD, promoteur de La Voix du paysan, un journal consacré à l’information et la formation des paysans. Ce partenariat est arrivé à son terme fin 2016, alors que La voix du paysan poursuit son développement en version papier toujours, mais désormais aussi en version numérique. Pour clôturer ce partenariat, SOS Faim a tenu à donner un ultime coup de pouce à ce mensuel rural en faisant réaliser le récit de cette aventure humain, à la fois à l’écrit et en vidéo ( merci à Agribusiness TV).
En cette matinée ensoleillée du mois de mars, David Momo claudique d’un point à l’autre de sa porcherie plantée en plein cœur du quartier Ngoulmekong, à 17 Km de Yaoundé, la capitale du Cameroun. Au milieu du couinement des animaux, l’homme, la soixantaine entamée, dos légèrement vouté, aidé de ses employés, nettoie, nourrit et abreuve. Des gestes qu’il accomplit minutieusement. « Au début, je n’avais que 8 truies et un verrat, se souvient l’éleveur, souriant à pleines dents. J’étais un ignorant dans la filière porcine. Il me fallait trouver quelqu’un qui me montre la voie de sortie, la voie d’entrée ».
Cette « voie » sera La Voix du Paysan (LVDP), célèbre mensuel camerounais dédié depuis 29 ans au monde agro-pastoral. « C’est à travers La Voix du Paysan que j’ai rencontré des organisations non gouvernementales (ONG) qui sont venues à mon secours. On avait des projets et on ne pouvait pas les financer », assure David, délégué du Groupement d’initiative commune « La fierté du monde rural » (GIC-LAFIMOR). A l’époque, il lit de « temps en temps » le journal. Il apprend au cours d’une de ses lectures qu’un séminaire est organisé au ministère du commerce.
David s’y rend et coup de chance, il rencontre des ONG qui financent des projets. Il postule et est retenu. Son cheptel passe de 9 à plus de 200 porcs. « Depuis ce jour, je n’ai plus lâché La Voix du Paysan », sourit-il. Au Cameroun, le journal fondé un jour d’octobre 1988 par Bernard Njonga, alors directeur de publication, entouré des paysans et autres amis, est lu aux quatre coins du pays, d’Est en l’Ouest, du Nord au Sud, jusque dans les champs.

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Plus de 60 000 journaux imprimés en 2016

D’ailleurs, parmi les 64 500 journaux imprimés en 2016, 32 384 sont allés en milieu rural, soit 55,11% de l’ensemble des journaux diffusés. Une augmentation du taux de pénétration par rapport aux années 2014 et 2015 qui était respectivement de 40,5% et 52,28%. Dans les villages, beaucoup de paysans ne savent pas lire. Des groupes de lectures sont alors organisés. Article après article, ceux qui savent lire résument le contenu du journal pour leurs pairs.
Pour les agriculteurs, LVDP est leur « vitrine ». Ils y trouvent un peu de tout : témoignages de leurs compères, des histoires-à-succès, des nouvelles du marché, et surtout des fiches techniques pour améliorer leurs pratiques agricoles. « La Voix du Paysan est pour moi le seul organe de presse qui se préoccupe des problèmes de production du monde rural et qui a une certaine aura auprès du public », assure Auréole Sinclair Mbakop, ingénieur agroindustriel à la tête plusieurs hectares de champ d’ananas. Le jeune homme âgé de 38 ans a grandi en lisant ce journal. Il y a puisé sa passion pour l’agriculture, des éléments pour son mémoire, avant de s’investir après ses études dans le travail de la terre.
Encourager des jeunes Camerounais à se lancer dans l’entrepreneuriat rural est justement l’un des principaux buts de LVDP. A sa création en 1988, le journal est surtout une réponse appropriée aux besoins des agriculteurs de l’époque, selon Hozier Nana, l’un des membres fondateurs du journal, et actuel Secrétaire Général de l’ONG Service d’Appui aux Initiatives Locales de Développement (SAILD), éditrice du journal. Il explique : « Parmi les contraintes qu’ils rencontraient, il y avait celles de la formation, du financement et de l’accès à l’information. Il nous reçoit dans son bureau où s’amoncellent documents, journaux et autres livres destinés au monde agricole. Ce sont ces paysans qui ont même choisi le nom La Voix du Paysan », ajoute-il. Au fil des années, le journal a « innové » et surtout, « franchi un autre palier ».
En 1995, la version anglaise, destinée à la partie anglophone qui représente deux des dix régions du Cameroun, The Farmer’s Voice (TFV), a été créée et est tirée à 2 000 exemplaires par mois. « L’avenir est désormais tourné vers les nouvelles technologies de l’information et de la communication, poursuit Hozier Nana. Nous sommes sur ce chemin. Nous avons une version électronique avec plus de 300 abonnés. Nous ne voulons pas rater le train du développement qui passe par les TIC ».

Des photos et plus de couleurs

Ce jeudi 23 mars est jour de la grande conférence de rédaction. Dans le bureau de Marie Pauline Voufo, la rédactrice en chef de LVDP et directrice des rédactions de LVDP et TFV, Daniel Bangsi, rédacteur en chef intérimaire de The Farmer’s Voice a fait le déplacement comme chaque mois depuis Buea (Sud-Ouest), les journalistes et responsables de rubriques sont tous là pour dresser le menu du journal d’avril, le n°311. Avant, une critique du numéro précédent. Les discussions s’enflamment pour ces journalistes, plongés dans la peau de lecteurs ordinaires. Le principal point « négatif » est la pâleur des couleurs du journal. La crainte est perceptible.
« Si cette pâleur touche les publicités, on peut avoir des annonceurs qui ne paient pas », s’inquiète Marie Pauline, qui a rejoint LVDP en 1997, en qualité de diffuseur-rédactrice. Pointé du doigt, l’infographe se justifie : à l’imprimerie appartenant à l’Etat, il faut attendre que le quotidien national, Cameroon Tribune, soit d’abord édité. « Tu peux voir dans quelle mesure nous faire imprimer en premier ? », demande la rédactrice en chef. Jean Kana promet de le faire !
Marie Pauline Voufo exhorte ensuite les journalistes à miser sur des bonnes photos. « Les photos sont parlantes. Ne les prenons plus n’importe comment. Nos lecteurs méritent mieux. Ne croyons pas que nous connaissons plus qu’eux », avertit-elle. Place enfin à l’édition d’avril. Des sujets sur les cultures du maïs, arachides, sorgho…, leur production, commercialisation, astuces pour réussir sa récolte… sont arrêtés en français et en anglais. « Je propose qu’on fasse un bon dossier sur l’adaptation des cultures au changement climatique », propose un journaliste.

Miser sur le numérique

Fille d’agricultrice, la rédactrice en chef est consciente que, pour intéresser les lecteurs, il faut non seulement miser sur la bonne information agricole, mais, « innover avec la mutation du monde ». En janvier 2016, LVDP et TFV sont passés en quadrichromie. Les responsables ont créé un site web et renforcé la présence sur les réseaux sociaux comme Facebook, avec l’ouverture d’une page où des articles du journal sont partagés. Désormais, l’abonnement électronique se fait aussi en ligne et les achats de la version papier sont possibles depuis quelques mois par mobile money. « Nous avons un nouveau ‘‘lectorat androïd’’, très rapide et nous pensons que nous allons nous y accrocher », soutient Marie Pauline Voufo.
« Si nous voulons vivre véritablement, c’est dans le numérique. Y aller ou ne pas aller et mourir », assure Jean Kana qui cumule les postes d’infographe, responsable bureau régional du Centre et webmaster. Mais, le journal papier reste le plus prisé. A Buea, tous ont oublié mon nom. Ils m’appellent The Farmer’s Voice. Ce journal les aide à améliorer leur culture et leur montre les marchés possibles, avoue avec fierté Daniel Bangsi, rédacteur en chef de TFV. Si le journal traîne, ils vont m’appeler de partout pour le réclamer ». Du coup, une fois sortis de l’imprimerie, TFV et LVDP sont immédiatement déposés dans les kiosques, empaquetés et envoyés dans les différentes régions pour être distribués aux abonnés.

LVDP face à son destin

La fin de l’année 2016 été marquée par la fin de plus de deux décennies de collaboration entre le SAILD et l’ONG SOS Faim Luxembourg qui a décidé de se concentrer sur d’autres pays d’Afrique. Aujourd’hui, plus que jamais, le journal doit innover pour se maintenir dans la durée. « Produire de l’information rurale a un coût et la passion seule ne suffit pas. Il faut vraiment des moyens financiers, précise la rédactrice en chef, Marie Pauline Voufo. Notre vœu et notre souhait c’est que La Voix du Paysan et The Farmer’s Voice vivent pour que le monde rural ait la bonne information et se développe ». Les responsables du SAILD ont pris des mesures : réduction des charges au niveau de l’impression du journal, amélioration du design et accent mis sur les annonces pour doubler les revenus.
Hozier Nana préfère d’ailleurs parler de « rupture financière » et non de séparation. « En dehors du soutien financier, SOS Faim nous a aussi donné des idées pour promouvoir notre journal (…), dit le SG du SAILD. Nous allons nous battre pour les paysans du Cameroun. La Voix du Paysan est un outil identitaire ». Il n’a pas tort. A l’entrée ouest de la ville de Douala, la capitale économique, Léocadie Ntyame voulait élever des lapins mais ne connaissait aucun éleveur auprès de qui demander conseil. Elle s’est rendue à LVDP où les responsables lui ont recommandé un centre de formation.
Léocadie s’y est formée. Huit mois plus tard, elle est une abonnée inconditionnelle et est passée de 4 à 33 lapins. « Je me présente partout maintenant comme une éleveuse, se vante-t-elle, sourire aux lèvres. Je veux juste que La Voix du Paysan nous mette en relation avec d’autres éleveurs pour qu’on échange nos expériences ». Dans les fermes du Cameroun, les agriculteurs et éleveurs rencontrés ont presque tous la même doléance. Et encore : « La Voix du Paysan peut faire du business auprès des producteurs. Nous avons des freins pour mettre nos produits sur le marché. Ils peuvent nous proposer des plages publicitaires », propose Auréole Sinclair, agriculteur.
Depuis la création du journal, l’agriculture au Cameroun, comme partout ailleurs, connaît des évolutions constantes. Des mutations environnementales auxquelles les responsables du journal pensent sans cesse dans l’optique d’adapter leurs contenus aux réalités du moment et du futur. Aujourd’hui, l’heure est à la promotion de modes de production durables laissent entendre les responsables du journal.
Par Josiane Kouagheu, collaboratrice d’Agribusiness TV – juin 2017
Communiqué par SOS FAIM

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Publié le mardi 18 juillet 2017
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